Joris-Karl Huysmans - À Rebours

jamais personne. Des Esseintes reste debout que la nuit. Il a aussi réglé les heures immuables des repas: à 17:00 le petit-déjeuner, vers 23:00 le déjeuner et sur 5:00 du matin, avant de se mettre au lit, il picorait une petite dînette.

La principale intrigue du roman est la façon qu´a des Esseintes de “tuer” son temps ce qu´il fait avec la grâce et l´expressions du dandysme. Il est amoureux des parfums, des couleurs et des sons, il s´amuse par la décoration intérieure, il fait incruster dans la carapace d'une tortue des pierres précieuses, il crée un jardin de fleurs vénéneuses qui semblent être fausses etc. C´est l´esthète par excellence qui adore l´artificiel et contre-naturel (par ex. la jouissance éhontée qu'il tire de son lavement nourrissant à la péptone). L’artifice paraissait à des Esseintes la marque distinctive du génie de l’homme. Comme il le disait, la nature a fait son temps, elle a définitivement lassé. Il évoque ses ‎souvenirs passés, c'est ce que l'on retrouve tout au long du roman. Souvent il a des rêveries névrotiques qui tournent au cauchemars. Toute sa vie il est faible au niveau de la santé, dans un moment la solitude est devenue pesante, mais il suffit un seul jour dehors et il retourne‎ chez lui.

« À rebours » marque également la rupture de Huysmans avec le naturalisme de Zola: le personnage de des Esseintes est exceptionnel contrairement au principe naturaliste de l´ordinaire et la plupart des thèmes présents dans l'œuvre sont ou seront associés à l'esthétique décadente. Des Esseintes lui-même préfère les ouvrages de l'Antiquité tardive aux auteurs classiques; Verlaine, Baudelaire, Corbière, Mallarmé (que l'ouvrage contribue à lancer dans le monde littéraire) sont ses poètes favoris. Chez les romanciers, il fait l'éloge de Poe, du Flaubert de « Salammbô », et surtout de Villiers de l'Isle Adam. Il a un goût raffiné, il ne retient qu'un petit nombre d'auteurs qui le satisferont. Il est aussi bien délicat et catégorique dans la peinture, au reste, il manifeste sa fascination pour « Salomé » de Gustave Moreau, une oeuvre, conçue en dehors de toutes les données du Testament, dans laquelle des Esseintes voyait enfin réalisée cette Salomé, surhumaine et étrange qu´il avait rêvée.

Quant à ma lecture personnelle, c´est un des meilleurs livres que j´ai jamais lu. Entre autres je dois accentuer la langue et le vocabulaire du livre qui m´a fascinée ainsi que le héros et son ironie et la raillerie de soi-même. Il était symbolique pour moi d´avoir choisi juste après « À rebours » le roman d'Oscar Wilde « Le Portrait de Dorian Gray » où Dorian Gray lit un livre à reliure jaune, qui influence profondément sa vision du monde. Cette cohérence des deux livres a marqué une période de ma vie car j'étais très absorbée par la lecture. Au reste, pour Serge Gainsbourg, mon artiste favori, « À rebours » était la bible, son modèle, sa référence secrète, il pouvait en réciter des passages entiers.

1 Colette Becker, Zola: le saut dans les étoiles, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2002 (p. 126)