L'oubli est-il nécessaire pour se construire?
Dissertation : L'oubli est-il nécessaire pour se construire?. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Ismahane Nadji • 29 Mai 2019 • Dissertation • 2 845 Mots (12 Pages) • 2 015 Vues
L’oubli est-il nécessaire pour se construire ?
Les souvenirs sont la marque indélébile de notre individualité, notre signature personnelle, ceux qui nous permet de consolider l’image que nous avons de nous même, des autres ainsi que du monde extérieur. L’oubli quant à lui est un état caractérisé par l'apparente absence ou la disparition effective de souvenirs, une défaillance de la mémoire.
‘’Il est possible de vivre presque sans souvenir et de vivre heureux, comme le démontre l’animal, mais il est encore impossible de vivre sans oubli’’, cette citation de Nietzsche vient inverser l’idée généralement reçu du phénomène de l’oubli, le plus souvent perçu sous un angle négatif et non avantageux, pour le valoriser et le rendre même vitale a notre existence. On peut alors se demander si l’oubli ne serait donc pas nécessaire pour se construire ?
Pour répondre a cela, nous allons, dans un premier temps, démontrer que l’oubli et bel et bien indispensable à la construction de soi, puis, dans un second temps, analyser à quel point notre passé et les souvenir qu’on en garde nous définissent et sont cruciales dans notre avancement.
Bien que l’oubli s’oppose à la mémoire, il reste très lié a celle-ci. Il fait parti du processus de la mémoire, il la complète. C’est l’idée proposé par Freud selon laquelle le souvenir et l’oubli doivent être pensés dans leur cohérence comme deux faces d’un même phénomène. Il présente une approche de la signification de l’oubli, et de sa fonction protectrice de l’ego. On retrouve donc chez Freud l’idée du refoulement qui rejette hors de la conscience tout ce qui est insupportable. On oublie tout ce qui nous est nuisible. On retient ce qui nous est utile. La conservation de la totalité du passé, ce qu’on appelle la mémoire absolue, est donc non seulement impossible, mais serait également dangereuses avec des effets néfastes. L’oubli est le signe que notre organisme réagit pour se protéger d’un conflit intérieur, d’une agression externe ou d’émotions trop fortes. L’oubli permet de se construire et avancer dans notre vie future.
Étant indispensable à la construction ainsi qu’a la reconstruction de soi, nous ne pouvons pas nous en défendre ni lutter contre lui. C’est une obligation et probablement une nécessité vitale. Nous oublions des choses tout autant voire même plus que nous en avons en mémoire. Ce phénomène fondamental nous définit et est donc primordial tout autant que le souvenir. Même si ce mécanisme est souvent stigmatisé, il reste un remède à la mélancolie, la déception, le deuil, et bien d’autres chagrins qu’il serait bien difficile de porter au quotidien sans que leur douleur ne soit atténuée. L’oubli serai donc un bienfait, une chance et un réel avantage dont nous bénéficions.
Nietzsche défend cette thèse dans Considérations inactuelles. Selon lui, l’oubli est nécessaire à la vie. Il le valorise contre la mémoire, renversant la hiérarchie traditionnelle qui place la faculté de mémoire au sommet des exigences de la morale. Il explique que dans toute forme de bonheur, du plus petit au plus grand, il y a une seule chose qui permet que le bonheur soit un bonheur : la capacité d’oublier. Un homme incapable de s’asseoir au seuil de l’instant en oubliant tout les évènements du passé ne pourra jamais ressentir ce qu’est le bonheur. L’oubli a donc un pouvoir actif. Il doit rationnaliser notre relation au passé, laissant de coté tout ce qui peut troubler notre paix présente. Nietzsche va même jusqu’à en conclure que que nul bonheur, nulle sérénité, nulle espérance, nulle fierté, nulle jouissance de l’instant présent ne pourrait exister sans faculté d’oubli.
De cela en découle l’idée que la mémoire est un frein possible à la progression, car pour vivre au présent il est nécessaire de ne pas être prisonnier du passé. Avoir la possibilité de se souvenir de tous les détails jusqu’au plus minimes peut nous gâcher notre existence voir même nous détruire psychologiquement parlant. Ce problème est abordé dans l’épisode Retour sur image (ep03 saison01) de la série Black Mirror qui est une série satirique sur les dangers de la technologie et les conséquences imprévues de celle-ci sur nos existences dans un futur proche. Le personnage principal, Liam Foxwell, a une puce implantée derrière l’oreille, comme tout son entourage, qui lui permet de stocker ses souvenirs et de les consulter comme bon lui semble à l’aide d’une petite télécommande. Après un dîner chez des amis, il commence à avoir des doutes sur la fidélité de sa femme. Il va alors mener son enquête en utilisant les images enregistrées sur sa puce qu’il repasse en boucle jusqu’à trouver des preuves qui confirmeront ces doutes. L'histoire est réellement dramatique, surtout à la fin grâce a cette fameuse scène de couple qui va mener à la fin du personnage. Dépassé par les évènements, il décide de s’arracher cette puce qui a causé la destruction de son couple.
Ce scénario sidérant et particulièrement bien travaillé donne lieu à la réflexion. Avoir des souvenirs avec ce niveau de précision peu devenir très rapidement dangereux. Ce ressassement permanent conduit vite au malheur car certains détails douloureux devraient mieux être oublier pour pouvoir se construire et envisager atteindre un possible bonheur. L’oubli est donc un puissant sédatif de certaines douleurs, une force de vie. Il peut nous soulager de l’angoisse susceptible de se déclencher à l’évocation de souvenirs insupportables pour le psychisme qui peuvent nous déborder, et nous faire souffrir émotionnellement.
On retrouve également cette idée dans La nouvelle de Jorge Luis Borges, Funès ou la mémoire, qui présente un personnage incapable d’oublier quoi que ce soit. Son existence, ses pensées, ses perceptions sont parasitées en permanence par un jaillissement de souvenirs d’une précision inutile. Il devient incapable de vivre avec une telle mémoire, qu’il compare à un tas d’ordures, et s’enferme dans une pièce vide pour ne plus rien enregistrer. La vie a besoin d’oubli, d’un passé dont on ne se souvient pas ou mal. La pensée nait tout autant de la culture et de l’expérience que de son absence. Elle a besoin, pour se mouvoir, de bribes, de fragments, de trous à combler. La pensée nécessite donc un certain détachement, un certain recul. Borges le dit clairement à la fin de sa nouvelle : « Il avait appris sans effort l’anglais, le français, le portugais, le latin. Je soupçonne cependant qu’il n’était pas très capable de penser. Penser, c’est oublier des différences, c’est généraliser, abstraire. Dans le monde surchargé de Funès il n’y avait que des détails, presque immédiats ».
Dans À la recherche du temps perdu, Proust écrit que « l’oubli est un puissant instrument d’adaptation à la réalité parce qu’il détruit peu à peu en nous le passé survivant qui est en constante contradiction avec elle ». L’oubli est donc bel et bien nécessaire pour se construire puisqu’il permet d’échapper aux idées maniaques et obsessionnelles. Il permet également le pardon et donc d’apaiser les tensions au sein des différentes communautés ou entre différentes personnes.
De plus, nous passons notre vie à enchainer les mêmes gestes quotidiennement : se brosser les dents avant de dormir, se laver le visage au réveil etc. Quand nous oublions tout est neuf. Il nous sort de cette routine soporifique rendant notre vie tristement monotone et sans sens. Si nous ne fonctionnions qu’avec des souvenirs, nous passerions notre temps à nous répéter. Plus on répète, moins l’on pense. À l’inverse, plus nous oublions, plus nous inventons. Oublier nous libère. Plus nous oublions, plus nous sommes ouverts sur l’avenir, disponibles à la surprise et à l’invention. Cependant cet oubli ne connaît-il pas certaines limites ? Peut-on donc dans ce cas prétendre que toute information oubliée est bénéfique a l’homme dans sa quête de construction ? Pour pouvoir prétendre avancer, n’y-a-t-il pas une nécessité de s’appuyer sur nos souvenirs ? Que serions-nous sans eux ?
Tant de questions auquel le film Memento de Christopher Nolan tente de répondre. Leonard Shelby, un homme ayant une amnésie antérograde à la suite d’un traumatisme crânien, part à la recherche du meurtrier de sa femme, un certain John G. Son problème est que toute nouvelle information s'efface de sa mémoire au bout de quelques instants, il n'a donc aucun nouveau souvenir depuis le jour où il a reçu un coup à la tête entrainant la perte de sa mémoire à court terme.
Il existe plusieurs interprétations à la fin de ce film. La première étant que Leonard manipule sa mémoire pour pouvoir enfin vivre en paix. Sa vie n’a aucun sens à cause de son handicap. Il est contraint de chasser un homme probablement imaginaire pour poursuivre sa vengeance, toujours insatisfaite étant donné qu’il ne se rappelle pas de la précédente et toutes les antérieurs, toujours oubliée, afin d’abolir la vacuité de son existence. Il préfèrerait donc refuser la réalité et recommencer un autre puzzle l’entrainant dans un cercle vicieux sans fin.
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