La Strategie Des Ressources Humaines
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© Éditions La Découverte et Syros, Paris, 1993, 2001. © Éditions La Découverte, Paris, 2004.
Introduction
La gestion des « ressources humaines » est devenue un sujet à
la mode et, plus encore, elle mobilise les réflexions comme les initiatives. Des pratiques d’intéressement aux dépenses d’investissement-formation, des cercles de qualité aux essaimages et à l’affirmation d’une « culture d’entreprise », le domaine traditionnel de la gestion du personnel se renouvelle en même temps que croît son importance au sein des firmes. Dans ce contexte, l’idée souvent avancée de « stratégies des ressources humaines » est naturelle, voire inévitable. Raisonner en termes de stratégies des ressources humaines, c’est poser comme stratégiques, ou essentiels, les choix de long terme effectués à l’égard de ses divers salariés par l’entreprise. L’expression « ressources humaines » par son pluriel souligne la variété des compétences et des concours qui doivent être rassemblés. Plus précisément, on peut entendre par stratégie un ensemble coordonné de choix à long terme, multidimensionnels et interactifs : – de long terme : les stratégies se distinguent ainsi des tactiques qui sont à plus court terme, et elles engagent durablement l’avenir ; – multidimensionnel : les décisions ne se réduisent pas à de simples maximisations mais mettent en jeu des gammes différenciées d’objectifs, de moyens et de contraintes ; – interactifs : les décisions sont prises en essayant d’anticiper les initiatives et réactions des partenaires et des concurrents. À l’évidence, ces trois dimensions sont présentes, et pour le moins latentes, dans les pratiques de gestion des hommes, et peuvent être explicitées, rationalisées. Les capacités d’adaptation et d’innovation, si prisées désormais, trouvent leur base
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LES
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dans l’élaboration d’une politique durable de recrutement et d’évolution des salariés. Ces préoccupations de long terme supposent le recours à des moyens très diversifiés, organisationnels, financiers, communicationnels…, car il s’agit aussi bien de concevoir un poste de travail que de choisir une formule d’intéressement ou lancer un journal d’entreprise. Gérer les ressources humaines c’est d’emblée construire ou subir des interactions tant avec les individus qu’avec les groupes et leurs représentants, notamment syndicaux. Ainsi voit-on se développer dans les grandes entreprises les DRH, ou directions des ressources humaines, qui prennent la place des anciens services du personnel, et élaborent leurs actions tout en les intégrant aux choix stratégiques d’ensemble. Pour le grand public, un double espoir de réconciliation transparaît dans cette démarche qui s’affirme dans les pays industrialisés : tout d’abord, entre notre mode de vie et les exigences de la compétitivité mondiale. S’il est exclu de lutter directement contre les très faibles coûts de la main-d’œuvre dans les pays en voie de développement et si les capitaux peuvent trop aisément voyager, la promotion systématique du potentiel humain permet d’exploiter le seul avantage comparatif qui demeure pour les pays plus anciennement industrialisés : la qualité des travailleurs mieux formés compense alors leur coût. Mais plus profondément encore, il y a dans cette affirmation directe de la dimension stratégique des ressources humaines un espoir que l’intérêt bien compris des entreprises coïncide (ou coïncidera) au moins partiellement avec celui de leurs salariés. Elles seraient amenées à proposer, de plus en plus, des tâches responsabilisantes, des filières « qualifiantes », des carrières évolutives et actives, à la place des postes déqualifiés et dépendants, du travail exploité et routinier. Il y a cependant loin de la coupe aux lèvres. La réalité de notre époque est certes faite d’efforts considérables de formation et de qualification, mais aussi de licenciements et de délocalisations. Par centaines de milliers, des salariés surnuméraires ou vieillissants sont mis à l’écart en dépit de la lente amélioration de la situation de l’emploi en Europe. Partout dans le monde, le fossé semble s’accroître entre le groupe des opérateurs qualifiés, et celui des travailleurs moins formés qui restent cantonnés dans des emplois d’exécution au contenu appauvri, et menacés d’exclusion. Le court terme est fait de rapports de force souvent défavorables aux salariés, de contrats précaires et de mobilité subie, d’érosion syndicale et de carrières de plus en
INTRODUCTION
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plus difficiles, et il vient apporter un démenti violent aux espoirs du long terme. Sur le plan intellectuel aussi, les choses sont loin d’être simples. Il existe une vaste littérature spécialisée dans la gestion des ressources humaines, souvent prolixe et prescriptive, qui présente les outils et indicateurs pratiques et réglementaires, les problèmes ; elle propose des solutions et plaide en faveur de la flexibilité, de l’imagination, du partenariat…, mais rares en définitive sont les travaux qui cherchent à apporter des éléments de réflexion plus générale sur les évolutions en cours. Cette lacune s’explique sans doute de deux façons. D’une part, les enjeux d’une telle réflexion sont considérables puisqu’il s’agit, en définitive, de la vie d’une écrasante majorité de personnes dans nos sociétés. Une seule question demeure désormais depuis que les alternatives communistes se sont effondrées : que peut-on vivre aujourd’hui et demain au sein du capitalisme fortement socialisé qui est et demeurera le nôtre ? Tout ou presque dépend d’abord des entreprises et du traitement qu’elles réservent à leurs membres. D’autre part, les outils intellectuels nécessaires pour avancer dans l’analyse, sans être difficiles d’accès, sont restés dispersés, et comme éclatés dans plusieurs disciplines. Les élaborations centrales sont certes dues aux travaux des gestionnaires spécialisés en ressources humaines, mais bien des indications doivent être recherchées en économie du travail et en économie des organisations. Cherchant à faire dialoguer ces différents points de vue, cet ouvrage est une contribution au débat. Il ne cherche pas à se substituer aux manuels de gestion des ressources humaines (voir la bibliographie), mais à établir comment il est possible de raisonner en termes de stratégies des ressources humaines, et quels apports résultent de cette perspective, tant sur le plan de l’explication des comportements des entreprises et des salariés que sur celui de l’analyse des mutations actuelles. Autant que faire se peut, on a évité les propositions normatives (dire ce qui devrait être) pour se concentrer sur les questions positives (expliquer ce qui est). Les trois premiers chapitres présentent une grille de lecture stratégique, tout d’abord en reprenant les évolutions pratiques et intellectuelles qui ont fait émerger les perspectives de stratégies des ressources humaines (chapitre I), puis en établissant les fondements des choix en la matière (chapitre II). Il est alors possible de construire et présenter une série d’options stratégiques de base (chapitre III).
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STRATÉGIES DES RESSOURCES HUMAINES
Les trois chapitres suivants prolongent l’analyse et utilisent cette grille comme guide pour l’étude de trois grands problèmes : la formation (chapitre IV), les syndicats (chapitre V), et la place des stratégies des ressources humaines dans l’économie et la société d’aujourd’hui (chapitre VI).
I / Les ressources humaines, de la gestion aux stratégies
Les ressources humaines constituent dans l’entreprise un
domaine difficilement isolable parce qu’il est en fait partagé, voire éclaté : la plupart des décisions qui affectent le fonctionnement quotidien de l’organisation ont une composante humaine, et la gestion des salariés n’est en ce sens que la mise en action de l’entreprise. Cependant, une « fonction ressources humaines », plus spécialisée, existe toujours. Sous sa forme la plus simple, elle rassemble les tâches d’embauche (recrutement, établissement du contrat de travail), de suivi (congésmaladie…), de représentation (délégués) et de rémunération du personnel (établissement du salaire). À partir d’une certaine taille (en pratique, une centaine de salariés) et d’un certain degré de complexité des tâches, elle peut être isolée sous la forme d’un service du personnel, puis d’une direction du personnel ou direction des ressources humaines. L’importance reconnue à la gestion du personnel est relativement nouvelle. Elle date pour la plupart des pays occidentaux des années soixante-dix. La gestion des ressources humaines constitue ainsi un vaste domaine émergent, dont les contenus et les contours commencent à être identifiés et analysés (pour un tour d’horizon très complet, tant sur les instruments que sur les doctrines, voir [1]*), mais dont l’importance stratégique demeure controversée.
* Les chiffres entre crochets renvoient à la bibliographie
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