Moliere, Dom Juan, Acte I, Scène2
Dissertation : Moliere, Dom Juan, Acte I, Scène2. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresent que Don Juan remet en question les propos de Sganarelle, il réagit de façon agressive et vive. Il commence par un « Quoi ! » expressif, qui suggère que l’idée est impensable et inadmissible. Ce seul mot donne le thème de la tirade. Don Juan est dans le refus absolu de ce que lui dit son interlocuteur. Puis la question qui suit est une pure question rhétorique (l.40.42 ) : « Tu veux qu’on se lie (…) ? »Le héros n’attend évidemment pas de réponse et la forme interrogative est une façon de dénoncer des propos scandaleux. D’ailleurs la phrase construite avec une série d’accumulations semble présenter une liste de reproche ( « qu’on se lie » ; « qu’on renonce » ; « qu’on n’ait plus ») (l..43) Elle montre la lourdeur, le poids de ce que serait un tel comportement pour Don Juan. Le libertin continue de mettre à distance les propos de Sganarelle en utilisant ensuite l’ironie à travers l’expression « la belle chose » (l.42). Cette phrase signifie le contraire de ce qu’elle dit, il s’agit donc d’une antiphrase qui vise à critiquer ce que dit Sganarelle. Enfin la répétition du « Non, non » (l.46) achève de mettre en valeur l’opposition du maître aux idées de son valet. Ainsi tout le début de cette tirade montre que Don Juan s’oppose en s’attaquant à ce que dit Sganarelle.
On peut d’autre part constater qu’il y a une dépréciation systématique de la constance dans les propos du séducteur.
Le choix du vocabulaire révèle bien combien cette valeur est décriée. Elle est associée, chaque fois qu’elle est évoquée, à une idée de mort. On trouve tout d’abord deux expressions qui relèvent d’un champ lexical de la mort dans « ensevelir dans une passion » (l.44) avec l’image très nette d’une inhumation puis très explicitement le mot « mort » (l.44). A la fin du texte c’est le verbe s’endormir ( l. 70) qui véhicule la même idée. Ainsi Don Juan associe-t-il la constance à une perte de vitalité. Par opposition, et tout à fait logiquement, il valorise l’inconstance en lui associant l’idée d’un réveil « réveiller nos désirs » ( l.72). Ces jeux d’oppositions lexicales déterminent une échelle de valeurs où une des vertus suprêmes de la société, la fidélité, est dénigrée pour laisser place à un éloge de la liberté en amour.
Enfin le jeu des pronoms personnels révèle également les enjeux argumentatifs de cette tirade. Don Juan cherche à convaincre Sganarelle et pour cela il adopte une posture énonciative complexe : tantôt il s’affirme et revendique bien haut sa position, tantôt il s’abrite derrière des opinions qu’il présente comme déjà convenues et établies. L’emploi des pronoms dans la tirade est révélateur de ce jeu de cache-cache de Don Juan, utilisant toutes les formes d’énonciation pour mieux convaincre l’interlocuteur, pour le cerner. Ainsi on trouve la première personne « Pour moi » (l.50) fortement accentuée en début de phrase ou encore le « je » dans « je ne puis refuser mon coeur » (l.56) habilement mélangée avec un « on » (l.40) ou un « nous », (l.47). Ces formes de l’énonciation généralisent le discours, évitent au locuteur le statut intenable, quand il s’agit de convaincre, de marginal. Pour obtenir gain de cause il faut rallier les foules et Don Juan le sait bien. Quoique défenseur d’une thèse paradoxale il arbore une posture générale. De même la tirade prend parfois le ton de la maxime chère aux moralistes du siècle de Molière. Le style gnomique est bien repérable dans l’emploi du présent de vérité générale et dans la brièveté de la formule : « la constance n’est bonne que pour les ridicules » (l.46)
Quelle force rhétorique que celle de Don Juan qui n’hésite pas à prendre aux honnêtes hommes du siècle et dont il est l’opposé la façon de parler sentencieuse. L’immoral sinon l’immoraliste ici prend les armes du moraliste pour prêcher sa parole de suborneur. Ainsi nous avons pu voir dans cette première partie que Don Juan prenait la défense de l’inconstance et critiquait la position plus orthodoxe de Sganarelle, défenseur des valeurs prônées par la société. Cependant Don Juan ne fait pas simplement un éloge de l’inconstance il affirme aussi son innocence par rapport aux accusations de Sganarelle et se justifie dans une tirade qui prend la forme d’un plaidoyer. Accusé par son valet, Don Juan répond en se disculpant
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En effet le personnage se présente tout d’abord comme une victime de l’amour. Il ne peut donc être considéré coupable des manquements dont l’accuse son valet.
On remarque que de nombreuses phrases mettent en avant d’autres sujets que lui : « toutes les belles ont droit de nous charmer,... »(l.47), « la beauté me ravit... » (l.50), « un beau visage me le demande... » (l.57) Dans toutes ces phrases Don Juan est objet (« nous », « me », « me ») et ne semble pas prendre une part active au processus de séduction. Il semblerait que tout se déroule un peu malgré lui. De même dans la phrase « où la nature nous oblige » (l.56) se présente-t-il comme la victime d’une loi le dépassant et le contraignant à l’infidélité. On remarque que les phrases où il est sujet grammatical mettent également en avant une forme de faiblesse : « je cède »(l.51) ou encore une incapacité dans « je ne puis refuser mon coeur » (l.56). Ainsi, Don Juan accusé par son valet retourne la situation pour se présenter comme une victime de l’amour frappé d’aboulie face aux femmes.
Son désir de justification se manifeste également à travers l’emploi de termes propres au vocabulaire du droit. Il s’agit de couvrir ses méfaits d’un voile honorable, presque légal. On peut relever un véritable champ lexical : « droit » (l.47) l« avantage » (l.48) « juste » (l.49), « injustice » (l.53). Le séducteur se présente ici comme un objet du désir, victime de l’amour et soucieux d’établir une justice entre les femmes. Il va donc encore plus loin et passe de la position de victime à celle de juge impartial.
Enfin, il est intéressant de remarquer qu’il justifie également les méthodes qu’il emploie avec les femmes. Pour se disculper aux yeux de Sganarelle il évoque à plusieurs reprises la douceur de ses procédés. L’adjectif revient de très nombreuses fois dans ce texte. On trouve tout d’abord « On goûte une douceur extrême... » (l.61) puis sous une forme adverbiale « mener doucement »(l.67), enfin « il n’est rien de si doux » (l.74) Il évoque également sa méthode en parlant de « larmes et soupirs » (l.64) alors que l’on sait qu’il a enlevé Done Elvire d’un couvent et que l’on apprendra qu’il s’apprête à enlever une jeune femme mariée qui lui a résisté. Ainsi il y a dans cette tirade une justification de ses méthodes. Don Juan cherche à adoucir des procédés qui sont brutaux, à embellir la réalité qui n’est peut-être plus aussi riante qu’il la dépeint. En cette dernière journée de sa vie Don Juan ressent le besoin de se justifier devant son valet. S’il était aussi confiant qu’il le laisse entendre il n’aurait pas besoin de parler autant.
On le voit cette justification a un intérêt dramatique pour la pièce. Elle nous montre un séducteur peut-être affaibli qui ressent le besoin de faire son plaidoyer. Cependant cette tirade permet également à Molière de brosser un portrait du héros éponyme en ce début de pièce qui doit remplir les fonction d’une exposition. Les intrigues sont multiples dans la pièce et il importe de présenter le personnage de Don Juan qui confèrera son unité à l’ensemble.
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Don Juan illustre à merveille la figure du libertin du XVIIème siècle. Cependant on pourrait remarquer que cette tirade n’en fait pas un révolté pur. Il ne concentre pas sa parole sur la critique, ne cherche pas à remettre en question la religion et c’est d’ailleurs Sganarelle qui bien souvent le pousse à s’exprimer sur les sujets polémiques tout au long de la pièce. Don Juan, certes, s’oppose mais il ne vit pas en opposition systématique. Par rapport au portrait brossé par Sganarelle on constate que les aspects polémiques sont donc absents et que Don Juan insiste surtout sur son libertinage de mœurs et sur son côté esthète.
En effet la sensualité prédomine et il se dépeint comme un amateur de belles choses. Pour évoquer cette importance de la beauté il utilise un oxymore très expressif « douce violence » ( l.61) qui illustre sa
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