La Mort De Kaya
Commentaires Composés : La Mort De Kaya. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresouleur»). D’après le recensement de 1972,
les hindous constituaient 51,8 % de la population
mauricienne, la population générale
28,7 %, les musulmans 16,6 % et les «Chinois»
2,9 %. Depuis 1983, le critère de communauté
est supprimé dans les recensements.
Si le terme de communauté est lié à la catégorisation
constitutionnelle, la notion de groupe
ethnique fait plus précisément référence aux
processus de différenciation à l’oeuvre dans
les interactions sociales; la différenciation s’exprime
en termes identitaires dépassant la simple
notion de communauté (clivages religieux, culturels,
linguistiques) et permettant ainsi aux acteurs
de se positionner par rapport aux enjeux sociaux
ou politiques. Ces délimitations des « frontières
des groupes» peuvent recouper la notion
de communauté, mais aussi distinguer, au sein
d’une même communauté, les groupes non
reconnus constitutionnellement: c’est le cas
des Franco-Mauriciens ou des créoles. La notion
d’ethnicité se justifie ainsi par référence à une
société plurale où le politique comme l’économique
sont organisés en termes ethniques. Bien
que la catégorisation ethnique soit de plus en
plus concurrencée par de nouveaux modèles
d’analyse (en termes d’exclusion sociale, de
réseaux), elle reste toujours une grille de lecture
fondamentale de la réalité mauricienne,
du moins au plan des perceptions et des interactions
sociales. Ainsi, il est communément
admis que les hindous détiennent le pouvoir
politique, la minorité franco-mauricienne le
pouvoir économique (l’industrie sucrière), les
musulmans et les Chinois les réseaux commerciaux,
les créoles se retrouvant généralement
exclus de cette répartition des pouvoirs. Pourtant,
il serait erroné de croire à une simple
coexistence de groupes étanches se répartissant
des monopoles économiques, politiques ou
sociaux. T. Arno et C. Orian ont montré qu’au
contraire les groupes sont articulés entre eux
au sein de la structure sociale, la fermeture de
chacun (endogamie) servant en réalité à masquer
la participation à un jeu social qui les engage
et les lie sur la base d’exclusions réciproques5.
Comment l’île Maurice, qui présentait au
monde un modèle de démocratie pluriethnique
réussie, a-t-elle pu basculer en l’espace
de quelques heures et de façon visiblement
MAGAZINE
154 Débat Terrain Documents
durable vers une rupture aussi dramatique
de son équilibre social, voire de son intégration
nationale ? La campagne pour les élections
partielles de septembre 1999, provoquées par
la démission d’un député de l’opposition au
Parlement à la suite des émeutes de février,
loin de permettre une résolution politique des
lignes de clivage qui traversent la société civile,
a produit un regain de tensions dans le pays.
À partir d’une lecture de la période allant du
début des émeutes de février aux élections
partielles de septembre 1999, nous analyserons
la résurgence multiforme des violences
ethniques à Maurice, et le défi nouveau
qu’elles posent à la construction nationale
mauricienne, notamment à travers leur impact
sur les formes d’expression de la sphère
publique et sur les mécanismes de fonctionnement
de l’espace politique.
De l’émeute au terrorisme :
la résurgence de la violence
ethnique
Kaya avait été arrêté et détenu dans le cadre
d’une enquête policière pour avoir fumé du
«gandia» (haschisch) en public – acte passible
de la peine de mort selon la législation mauricienne
–, le 16 février, lors d’un meeting du
Mouvement républicain qui militait pour la
dépénalisation de cette drogue douce. Contestant
le rapport officiel d’autopsie qui attribuait
la mort du chanteur à une fracture du
crâne qu’il aurait lui-même provoquée en se
frappant la tête contre le mur dans un état de
manque, le Mouvement républicain et l’épouse
du chanteur avaient demandé une contreautopsie.
Les premières violences de février se produisent
le soir du dimanche 21 février, à Rose
Hill, devant le siège du Mouvement républicain
où est exposée la dépouille mortelle de
Kaya. Les policiers venus chercher le corps
pour la contre-autopsie sont accueillis par des
jets de pierres. Puis les postes de police de
Rose Hill, mais aussi de Quatre-Bornes, où
résidait le chanteur, et de Roche-Bois, dont il
était originaire, sont saccagés: c’est le début
des émeutes.
Si l’hostilité envers la police constitue le
plus pur symbole de la dénonciation de l’ordre
étatique dans son monopole de la violence
légitime, cette contestation s’articule plus largement
à l’expression d’un sentiment d’injustice
portant sur l’accès à la sécurité et aux
ressources nationales de la communauté
créole: les violences se nourrissent en premier
lieu de la contestation de la thèse officielle du
suicide du chanteur, les émeutiers rattachant
sa mort à celle de deux autres créoles décédés
en 1994 et 1995 après leur arrestation par
la police. Le lendemain, alors que les violences
s’étendent à l’île tout entière, les cibles ne sont
plus seulement les postes de police (quatorze
postes de police sont saccagés et incendiés
entre dimanche et mardi), mais aussi les compagnies
de bus et, plus généralement, tous les
symboles du pouvoir d’État: les bureaux de
poste, le «Citizen Advice Bureau», le siège de
la télévision nationale, la maison d’un membre
du gouvernement. Parallèlement, 257 détenus
sont libérés de prison par les émeutiers.
La mort de Kaya cristallise toutes
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