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Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913, « Nuit rhénane »

Commentaire d'arrêt : Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913, « Nuit rhénane ». Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires

Par   •  1 Avril 2022  •  Commentaire d'arrêt  •  2 447 Mots (10 Pages)  •  533 Vues

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Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913, « Nuit rhénane ». (texte 17 )

        En 1901, Guillaume Apollinaire qui ne vit pas encore de sa plume devient le précepteur de français de la fille d’une famille aristocratique. Lors d’un séjour en Rhénanie (région de l’ouest de l’actuelle Allemagne qui doit son nom au Rhin qui la traverse) où il accompagne son élève et sa famille il commence à composer des poèmes qui se retrouveront dans le recueil Alcools sous le titre des « Rhénanes ». « Nuit rhénane » est le premier poème de ce cycle qui en comporte neuf au total, et dans lequel Apollinaire se réapproprie les mythes germaniques ; il a été écrit en 1902. Il est composé de trois quatrains réguliers et d’1 vers isolé, détaché du reste du poème, tous sont des alexandrins. Les rimes sont croisées,  régulières, et suffisantes ou riches. Il s’agit donc d’un poème de facture plutôt classique. Pourtant, le dernier vers, séparé des autres strophes par un blanc, propose un monostiche bien peu traditionnel et, à l’image du recueil entier, le poème ne propose aucune ponctuation. On peut d’emblée remarquer sa structure en boucle grâce à des effets de répétition entre le premier et le dernier vers. Le titre du poème est porteur de plusieurs significations. Il peut en effet référer à la nuit à proprement parler et évoquer un souvenir pittoresque, mais la nuit est aussi l’espace du rêve et de l’irrationnel. Conformément à cet horizon de lecture, Apollinaire fait du  Rhin et de ses paysages un lieu de prodiges et de sortilèges d’où le fantastique surgit avec force.

Problématique : nous montrerons comment l’écriture poétique, portée par une ivresse dionysiaque, métamorphose un univers prosaïque en une vision fantastique.

I) 1er quatrain : Une scène de taverne troublante

II) 2e quatrain : Une superposition de chants – une tentative pour rompre le charme

III) 3e quatrain : La plongée dans un univers fantastique légendaire

IV) Monostiche : L’ivresse poétique

OU

1er quatrain : Une scène de taverne

I) 2e quatrain : Une superposition de chants – une tentative pour rompre le charme

II) V. 9 à 13 : L’ivresse poétique

Ce découpage plus équilibré peut se justifier par le fait que le vers 13 du poème rime avec les vers 9-11. On pourrait donc lire le dernier mouvement comme un quintil bousculé par le blanc final.

 1er quatrain : une scène de taverne troublante

Le premier vers installe le poète comme narrateur du récit, par l’inscription immédiate de la 1e personne grâce au possessif (« mon verre ») et il introduit le thème de l’ivresse grâce aux termes « verres » et « vin », unis par l’allitération en V et grâce à l’hyperbole « plein d’un vin ». Ce dernier fait directement écho au tire du recueil et à plusieurs poèmes : il s’agit d’un thème essentiel dans Alcools. On retrouve également dès le v.1 l’alliance, fréquente dans le recueil, de l’alcool et du feu grâce à la comparaison du vin avec « une flamme » (les sonorités nasales + V et F créent ainsi un réseau sémantique de l’alcool dans ce 1er vers). Cette image renvoie au feu que l’ivresse allume dans le corps, le feu de l’alcool. On peut comprendre cette comparaison de deux manières : soit le vin semble bouger légèrement, en tanguant dans le verre, soit il est effrayé, tremblant de peur. Dans ces deux cas, ne peut-on pas voir une hypallage qui désignerait davantage l’état du poète (ivre ou effrayé) que celui de sa boisson ? Ces différents éléments invitent le lecteur à découvrir ce qui semble être une scène de taverne.

Le vers 2 introduit un nouveau personnage qui vient confirmer la dimension pittoresque de cette scène de caverne au bord du Rhin : « un batelier ». Le poète se met à l’écoute d’un autre poème (« chanson ») et invite le lecteur à l’imiter grâce au recours à l’impératif (« écoutez »). Au v.3, le verbe « raconte » instaure définitivement le batelier comme un nouveau narrateur dans ce poème qui cumule donc deux voix.

→ Le poète, en train de s’enivrer dans une taverne, écoute donc ce qu’un batelier dit ou chante.

Le vers 3 fait basculer dans la chanson du batelier. On peut noter que les sonorités nasales + allitérations en T confèrent charme et musicalité à sa chanson qui installe un univers particulier en renvoyant aux légendes germaniques. Il s’agit en effet d’un univers fantastique de légende rhénane dont l’atmosphère mystérieuse est immédiatement mise en valeur par le cadre nocturne, avec la mention de la « lune ». L’introduction à la fin du v.3 des personnages de la légende achève de faire basculer le lecteur dans une ambiance féérique. Il s’agit en effet de créatures étranges : « sept femmes » aux « cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds ». L’étrangeté est mise en relief par la position à l’hémistiche de l’adjectif « verts » (vers 4) et par la rime qui associe étrangement ces créatures aquatiques à l’élément du feu : « flamme » v.1 / « femmes » v.3. Ces créatures sont au nombre magique de sept et fascinent par la séduction sensuelle de leur chevelure (élément d’érotisme dans la poésie traditionnelle). Le chevelure verte, dénouée, tordue, évoque une sensualité puissante. Il s’agit de nymphes des eaux, probablement des nixes. La légende raconte qu’elles sont les filles du dieu Rhin, qui gardent précieusement l’or dissimulé par leur père au fond des eaux. Mais l’univers mythologique créé par Apollinaire est complexe puisque c’est dans la mythologie latine que les nymphes des eaux ont les cheveux verts… Le poète crée donc un syncrétisme troublant. Le verbe enfin « tordre », fort, connote la dangerosité de ces femmes.

→ Tout un univers légendaire se déploie alors dans l’imaginaire du lecteur grâce à la restitution du récit du batelier : la sorcellerie (sabbat), les sirènes (les cheveux des ondines sont verts comme des algues + proximité du Rhin)… En 4 vers, le poète parvient à nous faire passer d’une scène pittoresque de caverne rhénane à un univers fantastique troublant où le thème de l’alcool et de l’ivresse semble continuer à se déployer (v.1 « verre, vin », « flamme », « tordre » v.4 = tord-boyaux ? Eau de vie très forte, de mauvaise qualité, la couleur verte = absinthe?)

 2ème quatrain : une tentative pour rompre le charme

Le poète reprend la conduite du récit à nouveau sous la forme d’une injonction (« chantez plus haut » v.5) comme au v.2. Le destinataire de cette adresse reste mystérieux : le poète use de l’impératif à la 2e personne du pluriel, sans expliciter son identité. S’agit-il d’un auditoire spécifique, présent dans la scène de caverne ? d’un destinataire abstrait, rêvé ? Du lecteur ? On peut peut-être mettre au compte de l’ivresse ce trouble dans l’énonciation… Quoi qu’il en soit, il accorde à ce destinataire un pouvoir fort, rassurant qu’il exprime dans une 2e injonction. En effet, l’injonction du v.5 est redoublée par une seconde au v.7 « mettez près de moi toutes les filles blondes ». Le poète (dont le « je » réapparaît au v.6) exprime donc une demande particulièrement forte, que le subjonctif de souhait vient renforcer : « que je n’entende plus... ». Il semble vouloir rompre le charme exercé par la chanson du batelier et l'évocation des créatures en appelant un autre chant, « plus haut », et la présence rassurante de « toutes les filles blondes », présences féminines réalistes qui s’opposent en tout point à celles légendaires de la 1e strophe dans des antithèses : « blondes =/= verts » ; « cheveux repliés » =/= (cheveux) « longs jusqu’à leurs pieds ». Ces « filles blondes », convoquées de manière hyperbolique par le poète grâce à l’indéfini de la totalité (« toutes... ») évoquent l’image stéréotypée de la jeune fille allemande, le fait qu’elles soient des jeunes filles aux cheveux attachés s’oppose à la sensualité débridée des femmes aux cheveux verts. Peut-être peut-on lire dans la mention de la ronde un cercle protecteur dont la rotondité, tout en rappelant la « lune » inquiétante de la première strophe, représente ici une image rassurante et protectrice (enfantine peut-être // « filles blondes », « nattes repliées » -> aux fées maléfiques du premier quatrain, le poète opposerait l’image de la « bonne fée »).

→ Le 2e quatrain semble marquer une tentative du poète pour reprendre pied dans un univers réaliste et rassurant.

 3ème quatrain : la plongée définitive dans un univers fantastique et légendaire

On remarque que le « je » s’efface dans ce quatrain comme s’il n’était pas parvenu à reprendre pied dans un univers réaliste. En effet, le Rhin – mis en valeur à l’attaque du vers par la répétition – et l’univers fantastique semblent désormais occuper tout l’espace. Cet effacement du poète peut en outre être analysé comme le signe d’un état avancé d’ivresse que la répétition au début du v.9 signale. Quoiqu’il en soit, le paysage réel du « Rhin » - lieu de l’inspiration du poème - se métamorphose sous les yeux du lecteur par le biais de l’écriture poétique :

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