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Quelles Qualités Humanistes Grandgousier Révèle-T-Il Dans La Lettre À Son Fils Au Chapitre Xxix De Gargantua ?

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elle s’adapte au destinataire en vertu du decorum, mais elle est aussi une conversation différée et familière, gage de la continuité de relations souvent amicales ou affectives. Cependant, en plus de ce caractère de familiarité formelle, la lettre de la Renaissance peut aborder tous les sujets qui préoccupent les Humanistes, jusqu’à se transformer en traité ou en livre qui seront diffusés au-delà du cercle amical ou familial.

C’est donc à la forme érasmienne de la correspondance que se rattache le chapitre XXIX de Gargantua : la lettre devient à elle seule un chapitre du roman, permettant à Grandgousier d’envoyer à son fils une épître débarrassée des ornements superflus de la salutatio médiévale, avec ses formules redondantes, ampoulées et obséquieuses, sans avoir à contraindre sa pensée aux règles obsolètes d’une rhétorique dépassée. Cette lettre lui permet de poursuivre, au-delà du temps et de l’espace, la conversation entreprise avec son fils avant son départ à Paris : « La ferveur de tes études ... », ce début est marqué par le tutoiement familier d’un père à son fils et le rappel immédiat de l’importance des études pour lesquelles ils sont loin l’un de l’autre. Elle continue par des marques de confiance et d’affection qui adoucissent le message angoissé qu’il envoie malgré lui à son « filz bien aymé », son « treschier fils » à qui il exprime ses regrets de le plonger si vite dans les soucis et préoccupations royales, « ceste fatale destinée ès quelz plus je me repousoye ».

Mais c’est aussi, pour Rabelais, l’occasion d’opposer le temps paisible des études que Grandgousier qualifie de « philosophicque repous », que les Romains nommaient otium,

l’oisiveté qui s’oppose au negotium ou temps des affaires, et que les Grecs nommait ἡ σχολή, le loisir qui permet de se former et de se cultiver, d’apprendre à réfléchir donc à philosopher.

L’otium est mis en relation avec la jeunesse de Gargantua qui, même relative, contraste avec la vieillesse de son père ; cette relation souligne aussi que ces deux âges de la vie où l’otium s’exprime pleinement ( car si la jeunesse en fait l’apprentissage, la vieillesse la met en pratique sous la forme d’une sagesse et d’une prudence qui lui permet de gouverner), symbolisent le cycle de la vie qui pousse Grandgousier à transmettre autorité et pouvoir à son fils.

Monarque médiéval, Grandgousier se repose sur ses vassaux, « amys et anciens confederez » qui lui sont liés par un serment d’allégeance et de fidélité, le foedus, pour gouverner et, quand ceux-ci lui font défaut, quand ils ont « de present frustré le seureté de [sa] vieillesse », il n’a, pour seule ressource, que de se tourner vers son héritier : « force me est te rappeller au subside des gens et biens qui te sont par droict naturel affiez. »

Le droit de régner est un « droict naturel », non un droit divin : les Humanistes, s’ils ne remettent pas en cause l’autorité royale et le gouvernement monarchique, insistent sur la nature humaine et responsable de l’autorité royale qu’ils comparent à celle du paterfamilias ou du bon pasteur, comme Thomas More dans son Utopia. L’héritage royal impose donc plus de devoirs et de responsabilités que de droits et de privilèges car, comme le souhaite Thomas More, « Le roi doit s’occuper plutôt du bonheur de son peuple que du sien propre [...] car la dignité royale consiste à régner sur des gens prospères et heureux, non sur des mendiants. » (Utopia, I). Le chapitre précédent (XXVIII) illustrait déjà ces principes dans le discours de Grandgousier après l’annonce de l’invasion perpétrée par Pichrocole.

C’est ce souci qui explique l’attitude très diplomatique et conciliante de Grandgousier au moment de l’affaire des fouaces, car la guerre de conquête entreprise par son voisin est pour lui une « furieuse entreprinse avecques exces non tolerables à personnes liberes » d’autant qu’elle intervient « sans cause ny occasion ». Il affirme donc que la seule guerre possible pour le roi humaniste qu’il veut être, est une guerre de défense, une guerre qui, après qu’il a tenté toutes les négociations possibles pour l’éviter, lui permettrait de recouvrer sa liberté et celle de ses peuples. En effet, il ne souhaite ni « provocquer », ni « assaillir », ni « conquester », trois verbes qui reproduisent l’action de son ennemi et qui stigmatisent l’inanité et la folie de son désir de pouvoir. Sa « deliberation », sa réflexion et sa décision sont plutôt « de apaiser [...] defendre [...] guarder » son royaume et les gens qui le font vivre, ses « feaulx subjectz et terres hereditaires ».

Pour conduire efficacement cette guerre qui doit lui permettre de rétablir l’harmonie antérieure de son royaume, il souhaite l’aide active de son « filz bien aymé » qui fort de son éducation humaniste, pourra « secourir non tant moy [...] que les tiens, lesquelz par raison tu peuz saulver et guarder. » : il s’agit avant tout d’exercer son droit, sa « raison » à la liberté et à la sécurité, droit qui est du côté de Grandgousier et de son fils puisque Picrochole a outrepassé le sien en envahissant les terres de son allié ; il faut ensuite conserver cette raison qui lui évite de se laisser entraîner dans un désir de violence et de vengeance qui serait indigne de sa position et de la confiance que lui accordent ses sujets. C’est pour cela que Grandgousier insiste : « L’exploict sera faict à moindre effusion de sang que sera possible » : le but n’est pas la mort et la destruction des hommes et du royaume de Picrochole, il ne s’agit pas de se venger mais d’agir selon une nécessité, de rétablir et de refonder le droit et la justice. C’est pour cela qu’il précise : « Et si possible est par engins plus expediens, cauteles et ruzes de guerre » : la redondance des trois termes met en évidence la réflexion et l’organisation d’une stratégie qui évitent l’usage excessif et intempestif des armes dont Grandgousier, au début de sa lettre, a souligné la débilité et l’inefficacité « si conseil n’est en la maison », si aucune volonté et motivation morale ne les guident.

En effet, le vrai but du bon roi est de « sauver toutes les ames et les [envoyer] joyeux à leurs domiciles » : le pacifisme humaniste n’est pas un pacifisme béat et angélique ; il s’appuie sur la volonté et l’action, sur le synergisme qui allie la culture et la réflexion sur l’homme à la capacité d’action et de réaction face aux vicissitudes de la vie et du monde, car « vaisne est l’estude, et le conseil inutile qui en temps oportun par vertus n’est executé et à son effect reduict ». Le rappel de Gargantua est aussi le moyen de souligner qu’aucune théorie ne peut se suffire à elle-même pour gouverner les hommes et se gouverner soi-même. Il faut mettre ce qu’on apprend en pratique, faire des expériences, se confronter à la réalité pour devenir un homme complet.

Les études de Gargantua doivent donc lui permettre d’être ce roi idéal que souhaitent Érasme, Thomas More et même Machiavel : un roi, qui, conscient de ses devoirs et de ses limites, prend en compte tous les aspects et difficultés de l’humanité pour préserver la paix et la sécurité de ceux qui dépendent de lui. Un roi chrétien aussi, comme l’est Grandgousier qui pense que Dieu laisse aux hommes leur libre arbitre, à tous les hommes, même ceux qui, comme Picrochole, en usent de façon répréhensible et bien peu humaniste : « Dieu eternel l’a laissé au gouvernail de son libre arbitre et propre sens, qui ne peult estre que meschant sy par

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