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Faut-Il Regretter La Multiplicité Des Langues ?

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la langue elle-même. Que l’humanité dispose d’une multiplicité de langues n’est donc pas regrettable en soi, dans la mesure où il serait insensé de la réduire voire de l’annuler : elle témoigne de la multiplicité des formations du sens, épousant les pratiques sociales des communautés.

Mais même si la linguistique tend à souligner le fait que la multiplicité est un fait à accepter, elle repose sur une vision trop réductrice de la langue : celle-ci est moins un instrument social destiné à l’entente au sein d’une même communauté que la manière dont une communauté s’approprie son monde. Regretter la multiplicité des langues serait regretter au non d’une vision techniciste et pauvre que les hommes puissent se rapporter multiplement au monde, comme le dénonce l’écrivain Erri de Luca.

I. La multiplicité des langues est regrettable car elle est à l’origine de la désunion de l’humanité .

Le mythe de Babel cristallise dans la Genèse tous les regrets que l’on peut formuler quant à la multiplicité des langues car il présente à la fois les avantages d’un idiome universel et les écueils dans lesquels l’humanité tombe inévitablement du fait de son inexistence. Les désavantages concernent tant les domaines politiques, sociaux et économiques que le domaine de la connaissance et de la recherche.

1) les effets dévastateurs de l’incompréhension mutuelle.

Que les hommes ne puissent universellement s’entendre parce qu’ils ne peuvent pas parler la même langue a pour conséquence principale l’incompréhension . Mais cette dernière n’est fâcheuse que si l’on en tire toutes les conséquences. Dans la mesure où aucun autre moyen naturel de communication ne peut être raisonnablement substitué aux langues, les hommes semblent condamnés à rester au sein de leur communauté linguistique sans pouvoir échanger durablement et significativement en dehors d’elle. Or, la parole tend à accompagner toutes les activités essentielles de l’homme : grâce aux paroles, des idées peuvent être échangées, mais aussi des connaissances, des techniques, des sentiments, voire des biens. Dans la mesure où elle est ce par quoi nous nous expliquons, elle devient primordiale lors de débats politiques, mais aussi pour les échanges commerciaux et diplomatiques. Dès que la communauté linguistique n’existe pas, nous ne pouvons plus comprendre l’autre et ses intentions, voire, nous le comprendrons mal et lui attribuerons des intentions, des idées, des préoccupations, des stratégies qu’il n’avait pas en fait. Aussi l’incompréhension ou la mécompréhension peut-elle entraîner le rejet pur et simple de l’autre, qui devient étranger car insaisissable dans ce qu’il pense et fait, voire l’objet de superstitions, de fantasmes, d’intolérance. Il est à ce titre significatif que pour les Grecs de l’Antiquité, le « barbare » était défini comme « celui qui ne parle pas la langue grecque » : aujourd’hui le barbare est celui qui ne se conduit pas humainement, mais originairement cela renvoie à une différence linguistique qui éloigne l’autre de moi et présente nos différences comme infranchissables. L’incompréhension suscite la méfiance, mais empêche tout aussi gravement le sentiment d’appartenance au même monde. Comment en ce cas rendre possible la coexistence pacifique des peuples, ainsi que les échanges commerciaux, voire scientifiques et techniques ? Ils ont certes existé de manière embryonnaire au cours de l’histoire, mais justement dans les cas où une puissance militaire et politique (Rome) ou spirituelle (l’Eglise) a su imposer aux différents peuples une langue devenant langue secondaire d’union de peuples parlant des idiomes différents. On comprend pourquoi tout projet politique et spirituel d’envergure, symbolisé par la tour de Babel, semble condamné à l’échec, voire même risque de ne jamais germer dans un esprit, au milieu des cinq mille langues répertoriées à ce jour.

2) les avantages d’un moyen de communication à vocation universalisante.

Par opposition, il est facile d’imaginer tout ce que pourrait offrir une langue que toute l’humanité pourrait partager, soit comme langue internationale auxiliaire (c’est-à-dire une langue servant à la communication mondiale que tout homme apprendrait en sus de sa langue maternelle), soit comme langue artificielle et universelle comme certains en ont rêvé.

Le linguiste Sapir indique à ce propos que disposer d’une langue internationale auxiliaire présente des avantages évidents et indiscutables. En effet, tous les efforts de traduction qui sont mis en œuvre dans le domaine commercial, politiquer et scientifique, souvent peu satisfaisants eu égard aux sommes et à l’énergie investis, deviendraient superflus. De plus, dans la mesure où les hommes s’accorderaient sur une langue commune, on peut supposer logiquement qu’ils en choisissent une, déjà existante, mais qui offre des facilités d’apprentissage, une simplicité des règles et un pouvoir créateur important. Ceci sera d’autant plus évident si les hommes choisissent d’élaborer artificiellement une langue auxiliaire. En effet, mieux vaut détruire les difficultés nées de la multiplicité des langues en leur substituant une langue artificielle plutôt qu’une langue naturelle culturellement ou économiquement dominante. Parler anglais aujourd’hui peut signifier devoir accepter les valeurs du monde anglo-saxon, ce que tous les hommes ne sont pas prêts à accepter. Par contre, adopter une langue artificielle serait plus facile, dans la mesure où la parler n’implique pas que l’on adopte le parler des autres, ainsi que l’hégémonie que ce parler véhicule. Dans la mesure où une langue artificielle n’a pas de passé, elle ne peut se pas se présenter comme une langue qui s’impose aux homes, mais comme une langue librement fabriquée et acceptée par des homes égaux devant elle. Bien évidemment, si ce type de langue était adopté, elle finirait bien un jour par avoir elle aussi une histoire. Mais c’est là qu’est toute la différence pour Sapir d’avec les différentes langues naturelles. Dans la mesure où elle serait langue commune, son histoire serait celle de l’humanité toute entière la parlant, sans distinction de races, de cultures, de religion. En définitive, son histoire ne pourrait pas être celle d’une quelconque discrimination et c’est pour cela qu’il n’est nul besoin d’attendre que les hommes se sentent unis (par que moyen d’ailleurs ?). Instaurer cette langue, c’est garantir à plus ou moins long terme une union des hommes entre eux.

Mais cette analyse est relativement étonnante pour le linguiste qu’est Edward Sapir. En effet, regretter la multiplicité des langues et envisager une langue auxiliaire comme remède , c’est présupposer qu’une telle langue ait un sens, que le projet même d’une langue artificielle soit réalisable et sensé. Or, il ne peut l’être que si l’on réduit les langues à des moyens de communication dont le seul nombre rend toute opération inutilement complexe. Mais c’est là présupposer que le sens puisse être donné indépendamment des langues, c’est présupposer qu’il suffit de faire correspondre aux différentes significations déjà données des équivalents linguistiques artificiels. Mais ce projet perd son sens dès lors que l’on comprend avec Saussure que les significations sont engendrées dans les différentes pratiques linguistiques.

II. Regretter la multiplicité des langues est vain et insensé.

1) les présupposés intenables des projets de langue internationale ou universelle.

Si l’on examine soigneusement les arguments de ceux qui ont regretté l’avant-Babel, on peut se rendre compte qu’ils en restent au problème de la communication des idées, dans la mesure où il est l’origine de tous les autres problèmes. Mais en ce cas, ils supposent implicitement que les significations sont déjà données et qu’il nous suffirait de trouver un moyen international et simple pour les véhiculer pour que toutes les difficultés disparaissent. Mais Avec la confusio linguae décidée par Dieu, est-ce seulement un moyen unique de communication qui a été fragmenté et éclaté en une multitude, ou n’est-ce pas plus gravement la formation des significations qui s’est différenciée et multipliée ? C’est bien ce que suggèrerait l’analyse saussurienne si on la rapportait au problème qui nous intéresse ici.

En effet, Saussure abandonne une conception pauvre du mot qui en faisait le simple véhicule du sens, car dans la pratique de la langue, le sens se construit plutôt qu’il ne se forme préalablement dans l’esprit pour se couler ensuite, en une seconde opération, dans la matière linguistique et sonore. Ce n’est en effet que par abstraction que nous dissocions la pensée et la parole, dans la mesure où la pensée même silencieuse s’articule en un discours intérieur, et dans la mesure où il n’existe concrètement pas de temps de latence pendant lequel nous imprègnerions nos pensées du matériau linguistique. Plus décisive encore est l’analyse saussurienne du signe linguistique : on ne peut concrètement dissocier le signifiant (image accoustique) du signifié (concept), car la modification de l’un entraîne la modification de l’autre dans l’histoire de chaque langue ; de même nous ne possédons une langue que lorsque nous possédons et l’un et l’autre, dans la mesure où nous savons

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