Honoré De Balzac

ionnaire passionné. Tous ses personnages sont doués de l’ardeur vitale dont il était animé lui-même. Toutes ses fictions sont aussi fortement colorées que les rêves. Chacun chez Balzac, même les portières, a du génie. Toutes les âmes sont des âmes chargées de volonté jusqu’à la gueule. C’est bien Balzac lui-même ». Analysons de plus près cette critique.

Qu’entend Baudelaire par le terme de "visionnaire" ? Le visionnaire est celui qui annonce une parole, une autre dimension, qui voit au-delà du monde présent et actuel, qui y perçoit des tensions qui lui permettront d’en dépasser les apparences, les illusions pour se projeter dans l’avenir. La parole du visionnaire est toujours une interrogation prospective, anticipative. Il en ressort que l’observation des faits du monde réel porte une dimension particulière. Le visionnaire porte en lui l’innovation, l’originalité. De plus, sa connaissance des faits du monde doit être suffisamment précise pour pouvoir prendre du recul afin d’observer derrière l’anarchie chaotique apparente du réel un système de sens et de cohérence. Le visionnaire doit pouvoir embrasser le monde le plus largement possible ; ses connaissances doivent donc être humanistes, mais aussi enthousiastes et ambitieuses (ce point est accentué par l’adjectif très romantique passionné, qui indique que la soif de connaissance est une forme de l’élan tourmenté et viscéral de l’âme).

Chez Balzac, dit Baudelaire, tous les personnages – y compris des objets – sont signifiants, doués de génie, de l’ardeur vitale, d’une vie romanesque et sont hauts en couleur, comme dans les rêves (comparaison bien peu conforme à l’idée de réalisme). Tous les personnages balzaciens sont exceptionnels (Balzac dira d’ailleurs, reprenant une phrase biblique : « Les tièdes, je les vomirai de ma bouche »). Balzac employait l’expression beaux monstres : monstres car ce sont des créatures dignes d’être montrées car particulières, anormales, spectaculaires, dont l’individualité de caractère est portée à l’excès ; beaux car de tels personnages sont des représentations exemplaires du beau esthétique romantique. Tous les personnages balzaciens sont des monomaniaques : ils sont obsédés par un seule idée (richesse, ascension sociale, amour…) qui inévitablement les conduira, eux et tous les proches, à leur perte, à leur sacrifice, soit à la folie ou à la mort. Ils incarnent tous les passions humaines exprimées à l’excès, jusqu’à la ruine, la faillite, la tragédie absolue. Cette caractéristique balzacienne aura bien sûr une influence sur le récit. Tous les romans de Balzac sont construits sur un même schéma rythmique : le début est marqué par une statique, conférée par l’abondance des descriptions, placées là à dessein, comme clés pour la compréhension profonde du récit ; ensuite s’enclenche une dynamique, tout s’accélère, le mouvement s’en va crescendo, de plus en plus rapide, urgent et tragique, jusqu’au frénétique, pour se terminer de manière abrupte et souvent extrêmement brutalement.

Enfin, Baudelaire conclut en écrivant que Balzac insufflait beaucoup de lui-même, de sa puissance de tempérament dans ses œuvres. Prenons garde à ces paroles : l’œuvre balzacienne n’est absolument pas autobiographique (Balzac est d’ailleurs l’un des auteurs les plus pudiques quant à l’évocation de sa propre vie, pourtant passionnante). Par contre, il est très vrai que Balzac mit beaucoup de ses sentiments propres dans ses œuvres. En effet, à l’instar de ses personnages, passionnés, il était lui-même passionné de tout, un boulimique de l’existence. Voulant tout connaître sur tous les plans, il multipliera les expériences. Il se montrera extrêmement curieux non seulement sur les principes créateurs (littérature, peinture…), mais

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