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Analyse Dr. Rieux La Peste

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tes toujours foncées, mais qui lui vont bien".

Ce portrait, Rieux ne le reproduit qu’avec réticence, "à titre documentaire" par souci d’équilibre avec les autres protagonistes qu’il nous présente en quelques lignes à chaque fois. Mais s’il ne s’attarde pas sur son aspect physique - c’est que son activité de médecin pendant la peste lui laisse à peine le temps de penser à son propre corps, sauf en deux occasions: quand la fatigue commence à s’abattre sur lui, malgré sa grande résistance physique ; ou lors de la baignade nocturne avec Tarrou, quand il oublie quelques instants la pression quotidienne, et s’abandonne avec volupté à l’étreinte de la nature. Mais dans l’ensemble le docteur Rieux, malgré sa présence inlassable, reste pour le lecteur une silhouette, et nous le percevons essentiellement à travers les modulations de sa "voix".

C’est avec la même pudeur qu’il nous dévoile sa sensibilité, mais son portrait affectif s’enrichit de tout ce qu’il révèle involontairement de lui-même. Il semble vivre douloureusement la contradiction entre une sensibilité très vive, une soif de tendresse et de chaleur humaines, et les exigences de son métier, qui étaient déjà absorbantes avant la peste, et qui l’obligent désormais à une plus grande rigueur encore : il lui faut lutter contre l’abstraction, avec des moyens appropriés, en oubliant les individus et toute faiblesse due à la sensiblerie. Il a perdu beaucoup d’illusions, mais il garde la nostalgie d’un univers humain transparent et chaleureux :

Il s’adresse au journaliste Rambert avec "le langage d’un homme lassé du monde ou il vivait, ayant pourtant le goût de ses semblables". Celui-ci, dérouté par l’intransigeance de principe du docteur, contrastant avec sa tolérance à l’égard de son exigence de bonheur, finira par sympathiser avec sa profonde humanité.

À l’égard de sa femme malade et de sa mère, qu’il évoque avec une affection contenue, il opprime le même regret de s’être laissé absorber par son métier et l’usure du temps. Il quitte la première en lui disant "qu’il lui demandait pardon ; il aurait dû veiller sur elle, et il l’avait beaucoup négligée." Et plusieurs fois il s’arrête pour regarder sa mère : "Le beau visage marron fit remonter en lui des années de tendresse". Mais il refuse de s’étendre sur ces scènes trop pathétiques qui pourraient le trahir. II s’efforce le plus souvent de rattacher ses sentiments à ceux de l’ensemble de ses concitoyens.

Une seule fois, vers la fin de la peste, quand la fatigue semble distendre le masque d’impassibilité qu’il s’est imposé, Rieux laisse libre cours à son émotion profonde en voyant le vieil employé Grand pleurer devant la vitrine du magasin de jouets, plein de nostalgie au souvenir de la femme qui l’a quitté : "Rieux savait ce que pensait à cette minute le vieil homme qui pleurait, et il le pensait comme lui, que ce monde sans amour était comme un monde mort et qu’il vient toujours une heure où on se lasse des prisons, du travail et du courage pour réclamer le visage d’un être et le cœur émerveillé de la tendresse".

Nous voyons donc que le docteur Rieux ne ressemble pas à l’image de l’homme de science inhumain, imbu de sa supériorité et considérant les patients comme de simples cobayes. Toutefois, il ne faudrait pas non plus être dupe de sa modestie et s’imaginer que l’humanisme qu’il incarne se ramène à quelques "bons sentiments" accessibles à tous sans efforts. En fait, son action contre le fléau se fonde sur une énergie farouche et de grandes qualités intellectuelles et morales.

Dès le début de l’épidémie, il fait preuve de toutes ces qualités, conciliant les scrupules, l’honnêteté intellectuelle du savant habitué à soumettre son esprit aux leçons de l’expérience, et l’esprit de décision du praticien qui ne peut se permettre de tergiverser. Dès que les cas suspects, se multiplient, il fait une enquête auprès de quelques confrères car il ne se fie pas aveuglement à son seul jugement. Quand les symptômes convergent vers la reconnaissance de la peste, Rieux ne cache pas, devant Castel, son incertitude et sa surprise : "Oui Castel, dit-il, c’est à peine croyable, mais il semble bien que ce soit la peste". Mais c’est devant la commission sanitaire réunie à la préfecture qu’il manifeste le mieux sa grande rigueur intellectuelle, avec d’autant plus de mérite que son irritation va croissant contre les atermoiements des "politiciens" et la lourdeur bureaucratique : "J’ai pu provoquer des analyses où le laboratoire croît reconnaître le bacille trapu de la peste. Pour être complet il faut dire cependant que certaines modifications spécifiques du microbe ne coïncident pas avec la description classique." Mais cette honnêteté doit s’accompagner, pour lui, d’une action sans hésitation : il faut faire "comme si" c’était la peste, car il s’agit de sauver des vies humaines, non de rédiger une thèse de médecine.

Dans la période la plus critique de l’épidémie, Rieux montre qu’il ne se contente pas de "bien faire son métier", comme il le dit à plusieurs reprises (en l’occurrence il s’agissait plutôt d’isoler de force les malades que de les guérir), mais qu’il est capable d’appliquer son esprit et sa volonté à la recherche de solutions inédites. Il participe à l’élaboration d’un nouveau sérum, et c’est lui qui décide de la première expérience, sur le jeune fils du juge Othon. Le premier résultat sera tout entier négatif, puisqu’il n’aura servi qu’à prolonger les souffrances de l’enfant. Mais en véritable savant, Rieux refuse le découragement, l’humiliation et la résignation de l’homme devant un mystère qui le dépasserait, comme le suggère le père Paneloux. Il se remettra obstinément au travail, et quelques mois plus tard un nouveau sérum sera mis au point, qui commencera à sauver des vies. Mais, pour autant, il ne cède pas au triomphalisme, à l’exaltation des pouvoirs de la science : il ne fait pas abstraction des souffrances de l’enfant, qui l’ont, pour la première fois, fait sortir de sa réserve et de son calme ; d’autre part, il constate modestement que le recul de la peste provient davantage de l’évolution interne du fléau que de son action. Totalement étranger à toute forme d’idéologie scientiste, il ne croit pas à une quelconque libération définitive de l’humanité. C’est sans illusions qu’il continue à ’’faire son métier". Il illustre assez bien cette phrase de L’Homme révolté (essai de Camus, contemporain de La Peste) : "Dans son plus grand effort, l’homme ne peut que se proposer de diminuer arithmétiquement la douleur du monde. Mais l’injustice et la souffrance demeureront, et, si limitées soient-elles, elles ne cesseront pas d’être le scandale".

Les qualités d’honnêteté intellectuelle, de rigueur et d’humanité qui sont celles du médecin se retrouvent chez le chroniqueur de la peste d’Oran. La personnalité de Rieux peut s’analyser aussi à partir de son écriture, et Camus lui a prêté beaucoup de ses propres réflexions sur son métier d’écrivain.

Le narrateur, quand il décrit les symptômes de la maladie, les réactions de la population ou l’organisation de la lutte s’efforce d’adopter le ton précis et dégagé de l’historien. Il a réuni ses "documents" : son propre témoignage, auquel il ne veut pas accorder une place démesurée, le témoignage des autres et "les textes qui finirent par tomber entre ses mains" (notamment les carnets de Tarrou). Il s’efforce de faire alterner les passages de description détaillée, les faits (exemple : "La relation des premières journées demande quelque minutie") et les moments ou il fait la synthèse des sentiments pour dégager l’atmosphère générale de la ville. Il marque scrupuleusement les repères chronologiques. Il ne veut pas céder aux facilités de l’histoire romancée où l’auteur, par un mystérieux don d’ubiquité, remplit de sa présence l’espace et le temps : "II y avait aussi, dans la ville, plusieurs autres camps dont le narrateur, par scrupule et par manque d’information, ne peut rien dire de plus."

Rieux ne cherche pas non plus à embellir son récit en idéalisant, en choisissant les seuls traits "héroïques". S’il prend le parti de ses concitoyens contre le fléau, il ne dissimule pas les lâchetés, les compromissions, la spéculation, le marché noir. Il rapporte les faits sobrement, sans céder à l’indignation éloquente.

La grandiloquence est la grande ennemie de Rieux chroniqueur. Il se méfie des mots ronflants, des phrases bien cadencées qui ne servent en fait qu’à masquer la réalité. (Ainsi la presse évoquant "l’exemple émouvant de calme et de sang-froid", au lieu de diffuser les conseils utiles au début de l’épidémie ; ou les appels du monde extérieur à la radio : "Chaque fois, le ton d’épopée ou de discours de prix impatientait le docteur"). Cette méfiance instinctive l’amène à refuser le terme même d’héroïsme (qui, pense-t-il, "doit toujours être situé après l’exigence généreuse de bonheur"). Ainsi, il enregistre avec une "satisfaction

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