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Qu'Est-Ce Qu'Un Monochrome ?

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'est pas seulement l'institutionnalisation muséale de l'œuvre, mais aussi, et surtout, la fonction assumée par le monochrome : à l'évidence, la peinture y assume bien plus qu'une fonction décorative ou de protection. Mettons-nous face à l'oeuvre de Y. Klein, par exemple, dont le bleu intense - l'International Klein Blue (IKB), breveté en 1960 - reste présent dans toutes les mémoires. Ne considérons que les toiles couvertes d'une couche picturale surchargée de pigment, de manière à obtenir une matité parfaite (note 1) . Avec Klein, nous ne pouvons admirer ni la transparence ni la profondeur chromatique obtenues à l'aide des glacis typiques de la peinture flamande. Nous ne sommes pas en présence d'une surface analogue aux laques japonaises, produites d'un labeur artisanal de plusieurs mois. Le monochrome kleinien se réduit pratiquement au pigment.

Certes, Klein nous a fourni nombre d'objets monochromes, de l'éponge à la reproduction de la Vénus du Milo, tout y passe " au bleu ". Dans ces cas, la figuration peut faire illusion et l'ambiguïté qui subsiste dans le rapport entre la couleur et l'objet nous interdit de considérer ces oeuvres comme véritablement tautologiques : la Vénus bleue reste une Vénus. L'éponge reste une éponge ou pourrait passer pour un simulacre monochrome d'une éponge. Mais face à un plan uni qui, à lui seul, tient lieu d'oeuvre, que pouvons nous dire ? Sommes-nous face à un simulacre de tableau ? Nous aurions dans ce cas, n'importe quelle toile, vierge ou non, surpeinte uniformément de bleu. Le tableau, oeuvre rendue à sa virginité première par son passage au bleu, deviendrait dans ce cas une sorte de " ready-made ". Mais il n'en est rien. Le pigment bleu relève d'un geste pictural, et ne constitue pas - selon toute apparence - une surcouche voilant une oeuvre préexistante. En fait, Klein se charge de nous dévoiler l'essence de la peinture par la mise à nu du plan, du support, du subjectile, qu'il dégage de tout encadrement, pour mieux nous donner à voir ce minimum que la peinture requiert pour être.

blue

Le " bleu " que nous contemplons est son propre signe. Comment comprendre cette tautologie et comment déconstruit elle la fonction même de l'art ?

Classiquement l'oeuvre d'art se perçoit comme un simulacre, une mimésis. L'imitation étant à la fois la fonction de l'oeuvre et l'idéal de l'artiste qui, loin de créer, ne peut que reproduire plus ou moins fidèlement, une idée, fût-elle abstraite. Une oeuvre ne pourrait donc nous renvoyer qu'à un au-delà d'elle-même. Si dans l'art antique, médiéval ou classique, cet au-delà se cherche, la plupart du temps, à l'extérieur de la Caverne d'illusions dans lequel nous sommes enfermés, l'oeuvre ne pouvant être qu'un miroir de l'Idée, la modernité introduit la subjectivité de plein pied dans la production artistique. L'oeuvre renvoie soit à la perception phénoménologique du réel soit à l'imaginaire subjectif de l'artiste tout en occultant, par son efficacité même, le processus de médiation assumé par le code sémiotique usité par l'artiste. La mise en évidence du code restera l'un des acquis les plus précis de l'art contemporain - qui, on le sait et l'on répète à suffisance, commence avec Duchamp, mais pas seulement Duchamp : le Bauhaus, les suprématistes, les constructivistes - Malevitch en tête - poseront les actes de rupture qui introduisent à la contemporanéité.

Défi au sens commun, le geste monochromatique nous oblige à réinterroger le concept d'art. L'oeuvre est un signe, c'est à dire une articulation productrice de sens entre un signifiant, matériel, et un signifié. Ce schème classique de la sémiotique structurale, ne permet qu'imparfaitement de rendre compte de la complexité de la sémiotique visuelle, où le signifiant ne peut se réduire à l'univocité d'un phonème ou d'un morphème lexical. La sémantique et la syntaxe visuelle ne se décomposent en unités élémentaires qu'au prix d'un travail théorique propre, assumé par exemple par le groupe de sémioticiens belges Mu. De plus, l'oeuvre d'art comporte des signifiants surdéterminant l'oeuvre en tant qu'objet artistique et le différenciant de la masse innombrable d'icônes non artistiques.

Il n'empêche que quelques éléments peuvent être mis en évidence dans le cadre de notre propos. Usuellement, le matériau se trouve relégué, subjectivement, à l'arrière plan de la conscience par l'analogie structurale entre le signifiant et le signifié. La structure formelle, entendons par-là la répartition dans l'espace pictural des éléments visuels, entretien une relation iconique avec le représenté tel que le spectateur peut sans peine reconnaître la peinture comme l'image d'une réalité externe à l'oeuvre : la pomme de Cézanne renvoie au fruit, même si le code pictural utilisé apparaît, aux yeux du contemporain de Cézanne, comme d'une extrême audace. Mais à quoi renvoie le monochrome de Klein ? On peut se poser la question pour les objets peints : la vénus de Milo bleue se sert d'un fac-similé réduit de l'oeuvre originale comme subjectile recevant le pigment bleu : il nous renvoie en apparence à la sculpture grecque, mais l'intention de Klein est tout autre. Ce n'est pas de Vénus dont il est question, ni même de sa représentation iconique, et l'on ne peut dire que Klein se réapproprie en citation la " Vénus de Milo " authentique... les objets bleus s'accumulent dans la production kleinienne et l'existence de monochromes purs, simple toile, semble montrer que le signifié se trouve dans le signifiant lui-même.

Klein a pris soin de masquer toute indice de facture artistique : ses objets sont trempés et non peints, le pigment est d'une matité absolue, interdisant tout reflet parasite, mais aussi toute intensification chromatique par le jeu d'une transparence. Contrairement au " glacis ", nulle synthèse additive ne peut être escomptée dans le processus physique de réflexion et d'absorption lumineuse : ce que Klein nous donne à voir est le bleu résiduel d'une absorption parfaite du reste de la gamme chromatique.

Le bleu comme pigment tout d'abord. L'acte pictural est d'abord un geste matériel, la pose d'une surjectile sur un subjectile. La matérialité de la production artistique est mise en évidence de sorte que, contrairement à l'apparence dénudée, on pourrait compter Klein au rang des matiéristes, à l'instar de Bogart - qui tartine des plâtres violemment colorés - ou de Tapiès qui inscrit, griffe, blesse, incise, entaille et déchire une matière dense, sableuse, épaisse... mais chez Klein la matière se dévoile tout en se dérobant : la couleur apparaît comme seul phénomène d'une production artistique qui, par sa nature, interdit toute interprétation solipsiste ou subjectiviste de la perception. La couleur kleinienne n'est présente qu'à la faveur d'une matérialité assumée à la fois par le pigment et son support.

Le support importe peu finalement, au bénéfice du surjectile, du pigment, de la peinture elle-même, qui en fin de compte se montre seul, comme si le peintre voulait ne donner à voir que le seul matériau de son art. En effet, rien n'est exposé du geste pictural, ce qui n'est pas le cas d'autre monochromes, par exemple les oeuvres noires de Soulages, dont la texture et le relief répondent à un souci de composition quasi sculpturale. Nous ne bénéficions pas plus des effets d'estompage, de glacis ou de frottis que nous décelons chez M. Wery. De même, contrairement aux monochromes blancs de Malevitch et, plus tard, Ryman qui donne à contempler leur texture, le bleu de Klein - que l'on rapprochera plus de l'acte monochromatique de Rodtchenko (Couleur rouge pure, Couleur bleue pure, Couleur jaune, 1921) - se présente comme l'extrême limite du dénuement pictural, limite dont la transgression, ou plutôt le détournement, ne pourra passer que par l'usage de supports variés.

Les toiles de Malevitch - le carré blanc, Blanc sur Blanc 1917 - doit être considéré comme une synthèse et un aboutissement par fusion chromatique de toutes les couleurs possibles. S'opposant au nihilisme et prenant à contre pied la symbolique anarchiste du drapeau noir, tout comme il semblera étranger à la symbolique révolutionnaire, il cherche à faire de la toile le lieu de la révélation de l'absolu, d'une luminosité pure dans laquelle les formes élémentaires, la géométrie constructiviste, se dissolvent. Il n'empêche que nous ne nous trouvons pas face à un monochrome pur : la construction géométrique se distingue à travers les tonalités du blanc et, même dans les reproductions photographiques, le toucher du peintre reste perceptible. Rodtchenko (Noir sur Noir, 1918) répond négativement à l'entreprise de Malévitch, sans pour autant aboutir à la perfection formelle d'un effacement des variations de valeurs. La révolution monochromatique s'accomplira en 1921 par le suicide pictural de Rodtchenko : on sait qu'après la présentation de " Couleur rouge pure, Couleur bleue pure, Couleur jaune pure " - panneaux carrés ne montrant rien d'autre qu'un

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