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Le Salut De De Gaulle Ou l'Écriture Combattante

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Pierre Nora pose ainsi les données de ce problème: «Il existe un dilemme dès que l'on aborde la vie et l'œuvre de Charles de Gaulle. Ou vous accordez d'emblée de jeu au personnage l'exceptionnalité absolue qu'il revendique, et l'essentiel est abandonné, ou vous la refusez, et vous manquez l'essentiel.». Plus largement, les questions que l'on se pose sont les suivantes: est-il légitime comme écrivain? Ne l'a-t-on pas publié parce qu'il était un grand homme politique en son temps? Que vaut le style du Général? Autant de questions qui soulèvent toujours des débats[iii]. Le «cas» de Gaulle, si je peux le formuler ainsi, est celui d'un triple parasitageissu de la superposition de trois identités, celle du «soldat», de l'homme politique et de l'écrivain. Bon nombre de Présidents ou d'hommes politiques se sont lancés ou se lancent dans la rédaction de leurs Mémoires, très récemment encore: mais sont-ils des œuvres littéraires, dignes d'être étudiées en Terminale Littéraire? Il faudrait, il me semble, déplacer le problème: ce qui occulte De Gaulle écrivain, ce qui le rejette dans l'oubli et suscite son discrédit potentiel, c'est l'ombre de l'homme du 18 juin, du Président qui masque le travail de l'écrivain. Or, Charles de Gaulle, avant d'être l'homme public que tout le monde connaît, a été écrivain, depuis ses débuts de soldats, ce qui motive la belle formule d'Alain Larcan: «Le soldat écrivain». En De Gaulle - et c'est cela aussi qui brouille quelque peu les repères catégoriques que le littéraire peut avoir à l'esprit – le soldat ne se dépare jamais de l'écrivain car il est les deux à la fois.

Dans le cadre de cette introduction, j'exposerai donc successivement les origines de l'écrivain de Gaulle, les particularités de son style puis la conception et la réception des Mémoires de guerre. Conformément au plan que je vous ai distribué, je m'attarderai ensuite sur trois aspects essentiels pour l'enseignement en Terminale Littéraire en m'appuyant sur des exemples concrets de passages du Salut: le rapport au genre des Mémoires, la place de l'Histoire et enfin l'organisation des débats d'idées au sein de ce dernier volume des Mémoires de guerre.

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1. Aux origines de l'écriture: le soldat.

Selon Marius-François Guyard, «Très tôt, Charles de Gaulle a eu deux vocations: les armes et l'écriture. Deux vocations indissociables, au service de ‘notre dame la France'.»[iv]. Le verbe et l'action sont toujours liés chez lui, ainsi que le précise Adrien le Bihan: «Chez de Gaulle, l'action et le verbe s'engendrent simultanément. Il ne saurait concevoir l'un sans l'autre. De Gaulle soldat et de Gaulle écrivain sont nés ensemble.»[v]. On l'oublie trop souvent, les exemples de soldats-écrivains sont légion – sans mauvais jeu de mots – dans la littérature française: Blaise de Montluc, Choderlos de Laclos, Sénac de Meilhan, Chateaubriand, Stendhal, la lignée est prestigieuse. Je vous l'accorde, de Gaulle n'est pas Stendhal, pas plus qu'il n'est Chateaubriand. Son style lui est propre, il n'atteint sans doute pas au «génie» des plus grandes plumes de la littérature française mais il témoigne cependant d'une réelle qualité littéraire dont j'entends bien vous montrer les principaux aspects.

Comme le rappelle Francis Quesnoy[vi], l'affirmation littéraire de De Gaulle naît nécessairement du conflit: de même, il ne prendra la plume que pour raconter, dans ses Mémoires de guerre, ou plutôt pour revivre sa révolte, la reconquête puis le redressement de la France sous son impulsion face à l'envahisseur allemand de 1940 jusqu'à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Pour un soldat écrivain, on ne peut prendre la plume que comme une épée de la même manière qu'à la fin des Mémoires d'outre-tombe, Chateaubriand troque sa plume contre le crucifix et descend dans sa tombe d'où il parlera éternellement de manière prophétique. Ce modèle de l'écrivain-prophète sera d'ailleurs repris par De Gaulle, nous y reviendrons concernant l'écriture de l'Histoire. A l'origine de la vocation d'écrivain, le Verbe naît de la polémique: selon Adrien Le Bihan[vii], «le soldat est apparu, s'est mis en marche, et l'écriture l'a suivi comme son ombre». Ce serait à la suite d'une différend avec Pétain – déjà! – en 1928, que De Gaulle, qui était alors la plume du Maréchal, se rebelle devant les exigences de correction de ce dernier concernant son style. En 1938, De Gaulle prétend alors publier le manuscrit – intitulé «Le Soldat» - qui a suscité cette brusque rébellion d'écrivain et ce «sous sa propre signature»: il en avertit Pétain non sans lui spécifier «avoir scrupuleusement retiré de son texte tout ce qui n'était pas strictement de lui». Comme dans toute naissance, la rupture est de mise: celle de De Gaulle prendra la forme d'une véritable révolte de la plume. Brimé dans son style, gêné aux détours de ses phrases, il rompt avec éclat et part seul la plume à la main. Déjà, l'attitude volontaire et la forte personnalité du Général se font sentir sur le terrain littéraire, anticipant ce passage de la fin du Salut où il décide de quitter le pouvoir et de se retirer à la Boisserie (Le Salut, «Le Départ», p. 338-345).

La gestation de l'écrivain passe tout d'abord par la composition d'un ensemble d'ouvrages de réflexion et de stratégies militaires qui ne sont pas de la littérature et De Gaulle en a bien conscience: Alain Larcan rappelle que «De Gaulle fit très tôt la distinction entre ces travaux d'état-major et l'activité de l'écrivain»[viii]. Ses premiers écrits, comme Le Fil de l'Epée (1932) ou Vers l'Armée de Métier (1934), sont encore trop marqués par l'empreinte du devoir militaire. C'est en 1938, avec la publication de La France et son armée (1938), que de Gaulle se serait véritablement affirmé comme écrivain, «en possession d'un instrument littéraire» selon l'expression de Marius-François Guyard[ix]. C'est encore du conflit que naît l'écrivain, dans deux lettres envoyées à Pétain, avec des phrases du type«Du point de vue des idées et du style, j'étais alors – en 1927 – ignoré, je commence de ne plus l'être» ou dans une autre lettre: «Monsieur le Maréchal, vous avez des ordres à me donner en matière militaire, pas sur le plan littéraire». L'affirmation de l'écrivain a le mérite de la clarté. Les premiers écrits militaires et stratégiques permettent à de Gaulle d'exercer sa plume, de parvenir peu à peu à plus de maîtrise dans le style avant d'aborder son grand œuvre, les Mémoires de guerre, puis les Mémoires d'espoir. Penchons-nous donc sur les principales caractéristiques du style de De Gaulle, que nous explorerons plus précisément par la suite avec des exemples précis exploitables en classe de Terminale Littéraire.

2. «Je n'ai pas la plume facile»: du style de De Gaulle écrivain

Si l'on en croit Alain Larcan, De Gaulle est un écrivain infatigable: au-delà de ce que le critique appelle «l'imprégnation littéraire» du général écrivain, sur laquelle nous reviendrons rapidement, la préoccupation littéraire est constante chez lui, de même que l'ambition de devenir un véritable écrivain. Si «de Gaulle se reconnut très vite lui-même, et avec fierté, comme un écrivain», il n'y parvient pas sans mal. Si l'on suit le témoignage de ce même Alain Larcan, «il ne pouvait écrire longtemps et le faisait dans la douleur»: en atteste une lettre à Claude Mauriac. Ainsi, «il rédigeait son texte une première fois, de sa grande écriture couchée, le reprenait, l'ajustait. Il lui fallait du temps pour que celui-ci exprimât avec limpidité, à la pointe extrême de la concision, le fond de sa pensée, telle qu'elle s'était précisée et enrichie tout au long de son travail d'élaboration. Il corrigeait ses écrits jusqu'à ce qu'il fussent devenus presque indéchiffrables pour ses secrétaires!»[x]. Il le confesse lui-même dans Le Salut (p. 155): «Si ma mémoire me sert bien, je n'ai pas la plume facile». De Gaulle est un écrivain qui produit dans la souffrance, un anti-Chateaubriand. Cet aspect laborieux de l'écriture – autre combat, cette fois la plume à la main, contre soi-même, sur le champ de bataille de l'œuvre à écrire – explique parfois les aspects rugueux ou systématiques du style de l'auteur des Mémoires de guerre. Mais quels sont les éléments principaux qui caractérisent ce style?

Vous le savez sans doute, une thèse a été soutenue naguère sur le style de De Gaulle par l'abbé Francis Quesnoy, thèse qu'il résume dans un article intitulé «Le Style du général de Gaulle»[xi]. Il indique ainsi les principaux traits de l'écriture gaullienne. La culture classique et l'école de rhétorique du polytechnicien marquent profondément le style de De Gaulle, qui est concis et qui vise le plus souvent à rendre compte sèchement et efficacement de l'état des lieux d'une situation, notamment lorsqu'il s'aventure sur son terrain privilégié, celui du récit stratégique

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