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Vol De Nuit

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aient.

Il ouvrit les yeux.

- Quelle heure est-il?

- Minuit.

- Quel temps fait-il?

- Je ne sais pas...

Il se leva. Il marchait lentement vers la fenêtre en s'étirant.

- Je n'aurai pas très froid. Quelle est la direction du vent?

- Comment veux-tu que je sache...

Il se pencha:

- Sud. C'est très bien. Ça tient au moins jusqu'au Brésil.

Il remarqua la lune et se connut riche. Puis ses yeux descendirent sur la ville.

Il ne la jugea ni douce, ni lumineuse, ni chaude. Il voyait déjà s'écouler le sable vain de ses lumières.

- À quoi penses-tu?

Il pensait à la brume possible du côté de Porto Alegre.

- J'ai ma tactique. Je sais par où faire le tour.

Il s'inclinait toujours. Il respirait profondément, comme avant de se jeter, nu, dans la mer.

- Tu n'es même pas triste... Pour combien de jours t'en vas-tu?

Huit, dix jours. Il ne savait pas. Triste, non; pourquoi? Ces plaines, ces villes, ces montagnes... Il partait libre, lui semblait-il, à leur conquête. Il pensait aussi qu'avant une heure il posséderait et rejetterait Buenos Aires.

Il sourit:

- Cette ville... j'en serai si vite loin. C'est beau de partir la nuit. On tire sur la manette des gaz, face au Sud, et dix secondes plus tard on renverse le paysage, face au Nord. La ville n'est plus qu'un fond de mer.

Elle pensait à tout ce qu'il faut rejeter pour conquérir.

- Tu n'aimes pas ta maison?

- J'aime ma maison...

Mais déjà sa femme le sentait en marche. Ces larges épaules pesaient déjà contre le ciel.

Elle le lui montra.

- Tu as beau temps, ta route est pavée d'étoiles.

Il rit:

- Oui.

Elle posa la main sur cette épaule et s'émut de la senir tiède: cette chair était donc menacée?...

- Tu es très fort, mais sois prudent!

- Prudent, bien sûr...

Il rit encore.

Il s'habillait. Pour cette fête, il choisissait les étoffes les plus rudes, les cuirs les plus lourds. Il s'habillait comme un paysan. Plus il devenait lourd, plus elle l'admirait. Elle-même bouclait cette ceinture, tirait ces bottes.

- Ces bottes me gênent.

- Voilà les autres.

- Cherche-moi un cordon pour ma lampe de secours.

Elle le regardait. Elle réparait elle-même le dernier défaut dans l'armure: tout s'ajustait bien.

- Tu es très beau.

Elle l'aperçut qui se peignait soigneusement.

- C'est pour les étoiles?

- C'est pour ne pas me sentir vieux.

- Je suis jalouse...

Il rit encore, et l'embrassa, et la serra contre ses pesants vêtements. Puis il la souleva à bras tendus, comme on soulève une petite fille et, riant toujours, la coucha:

- Dors!

Et, fermant la porte derrière lui, il fit dans la rue, au milieu de l'inconnaissable peuple nocturne, le premier pas de sa conquête.

Elle restait là. Elle regardait, triste, ces fleurs, ces livrs, cette douceur, qui n'étaient pour lui qu'un fond de mer.

[...]

12

Cependant, le courrier de Patagonie abordait l'orage, et Fabien renonçait à le contourner. Il l'estimait trop étendu, car la ligne d'éclairs s'enfonçait vers l'intérieur du pays et révélait des forteresses de nuages. Il tenterait de passer par-dessous, et, si l'affaire se présentait mal, se résoudrait au demi-tour.

Il lut son altitude: mille sept cents mètres. Il pesa des paumes sur les commandes pour commencer à la réduire. Le moteur vibra très fort et l'avion trembla. Fabien corrigea, au jugé, l'angle de descente, puis, sur sa carte, vérifia la hauteur des collines: cinq cents mètres. Pour se conserver une marge, il naviguerait vers sept cents.

Il sacrifiait son altitude comme on joue une fortune.

Un remous fit plonger l'avion, qui trembla plus fort. Fabien se sentit menacé par d'invisibles éboulements. Il rêva qu'il faisait demi-tour et retrouvait cent mille étoiles, mais il ne vira pas d'un degré.

Fabien calculait ses chances: il s'agissait d'un orage local, probablement, puisque Trelew, la prochaine escale, signalait un ciel trois quarts couvert. Il s'agissait de vivre vingt minutes à peine dans ce béton noir. Et pourtant le pilote s'inquiétait. Penché à gauche contre la masse du vent, il essayait d'interpréter les lueurs confuses qui, par les nuits les plus épaisses, circulent encore. Mais ce n'étaient même plus des lueurs. À peine des changements de densité, dans l'épaisseur des ombres, ou une fatigue des yeux.

Il déplia un papier du radio:

"Où sommes-nous?

Fabien eût donné cher pour le savoir. Il répondit: "Je ne sais pas. Nous traversons, à la boussole, un orage." [...]

Chaque trente secondes, pour vérifier le gyroscope et le compas, Fabien plongeait sa tête dans la carlingue. Il n'osait plus allumer les faibles lampes rouges, qui l'éblouissaient pour longtemps, mais tous les instruments aux chiffres de radium versaient une clarté pâle d'astres. Là, au milieu d'aiguilles et de chiffres, le pilote éprouvait une sécurité trompeuse: celle de la cabine du navire sur laquelle passe le flot. [...]

Pour le pilote, cette nuit était sans rivage puisqu'elle ne conduisait ni vers un port (ils semblaient tous inaccessibles) ni vers l'aube: l'essence manquerait dans une heure quarante. Puisque l'on serait obligé, tôt ou tard, de couler en aveugle, dans cette épaisseur.

S'il avait pu gagner le jour...

Fabien pensait à l'aube comme à une plage de sable doré où l'on se serait échoué après cette nuit dure. [...]

Il pensa qu'il était cerné. Tout se résoudrait, bien ou mal, dans cette épaissseur. [...]

Mais à quoi bon fixer les yeux sur l'Est, où vivait le soleil: il y avait entre eux une telle profondeur de nuit qu'on ne la remonterait pas.

14

La femme de Fabien téléphona.

La nuit de chaque retour elle calculait la marche du courrier de Patagonie: "Il décolle de Trelew..." Puis se rendormait. Un peu plus tard: "Il doit approcher de San Antonio, il doit voir ses lumières..." Alors elle se levait, écartait les rideaux, et jugeait le ciel: "Tous ces nuages le gênent..." Parfois la lune se promenait comme un berger. Alors la jeune femme se recouchait, rassurée par cette lune et ces étoiles, ces milliers de présences autour de son mari. Vers une heure, elle le sentait proche: "Il ne doit plus être bien loin, il doit voir Buenos Aires..." Alors, elle se levait encore, et lui préparait un repas, un café bien chaud: "Il fait si froid, là-haut..." Elle le recevait toujours, comme s'il descendait d'un sommet de neige: "Tu n'as pas froid? - Mais non! - Réchauffe-toi quand-même..." Vers une heure et quart tout était prêt. Alors elle téléphonait.

Cette nuit, comme les autres, elle s'informa:

- Fabien a-t-il atterri? [...] Mon mari a-t-il atterri?

Il y eut un silence qui dut paraître inexplicable, puis on répondit simplement:

- Non.

- Il a du retard?

- Oui... [...]

La jeune femme se rappela soudain qu'il fallait deux heures à peine pour se rendre de Commodoro à Trelew.

- Et il vole depuis six heures vers Trelew! Mais il vous envoie des messages! Mais que dit-il?...

- Ce qu'il nous dit? Naturellement par un temps pareil... vous comprenez bien... ses messages ne s'entendent pas.

- Un temps pareil! [...] Je veux parler au directeur! [...]

"Voilà,

...

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