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Cours sociologie politique

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Par   •  29 Octobre 2021  •  Cours  •  8 165 Mots (33 Pages)  •  446 Vues

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Chapitre 5 – Les gouvernants

On aurait tort de limiter la catégorie des gouvernants aux seuls acteurs occupant des postes politiques, à l’exclusion des hauts fonctionnaires. Le pouvoir d’État est en effet exercé par ces deux groupes qui peuplent, ensemble, les « sommets de l’État »1. Les hauts fonctionnaires participent de deux façons à l’exercice de ce pouvoir. D’abord, au sein des cabinets ministériels, ils contribuent activement à la conception de la politique gouvernementale. Ensuite, à la tête des différentes administrations, ils président à la mise en œuvre de cette politique (y compris au sein d’organes de régulation [autorités administratives indépendantes], du Conseil d’État [qui exerce aussi un fonction juridictionnelle qu’une fonction de conseil de l’exécutif] et de la Cour des comptes). Lorsque l’on veut comprendre qui gouverne la France (mais cela vaut aussi pour d’autres pays), il importe par conséquent de considérer la sociologie des acteurs politiques et des hauts fonctionnaires. Cela ne permet pas seulement de conduire une analyse plus exhaustive ; une semblable démarche est également utile pour comprendre les évolutions qui, au sein de chaque groupe, se sont produites depuis le XIXe siècle. En effet, la composition sociale de ces groupes a évolué en partie sous l’effet de dynamiques réciproques : les évolutions qui se sont produites dans la classe politique en ont provoqué d’autres au sein de la haute fonction publique et vis-versa.

Dans ce chapitre, nous aborderons la sociologie des sommets de l’État de la fin du XIXe à nos jours. Mais au préalable il est nécessaire de rappeler la situation antérieure.

Jusqu’en 1848 environ, élus et hauts fonctionnaires provenaient globalement des mêmes groupes sociaux. Ils passaient d’ailleurs facilement d’un type de rôle à un autre. Plus précisément, selon Pierre Birnbaum, pendant la première partie du XIXe siècle, « on assiste à une étroite fusion entre le monde des affaires et l’administration, celle-ci contrôlant à son tour le Parlement. Le monde des affaires se trouve par conséquent représenté au Parlement et au pouvoir exécutif, soit à travers les fonctionnaires, soit, directement, par des personnes qui lui appartiennent, celles-ci rejoignant au Parlement un fort imposant groupe de propriétaires. À cette époque, la fusion semble donc quasi complète entre le monde des affaires et le personnel politico-administratif »2.

1 Pierre Birbnbaum, Les sommets de l’État. Essai sur l’élite du pouvoir en France, Édition du Seuil, 1980, 192 p. 2 Pierre Birbnbaum, Les sommets de l’État, p. 30.

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Par la suite, deux grandes périodes peuvent être distinguées : celle qui court jusqu’à la chute de la IVe République (Section 1) et celle qui s’est ouverte en 1958 avec l’établissement de la Ve République (Section 2). Au terme de cette longue évolution, on observe qu’une fusion entre le monde des affaires et le personnel politico-administratif s’est de nouveau produite.

Section 1 – Du milieu du XIXe siècle à la fin de la IVe République

Tout au long de la IIIe République, les sommets de l’État ont été progressivement et partiellement renouvelés (§ 1). Sous la IVe, les mutations opérées se sont globalement maintenues (§ 2).

§ 1 – Le renouvellement progressif et partiel des sommets de l’État sous la IIIe République

Le renouvellement des sommets de l’État pendant la IIIe République concerne d’abord une classe politique qui s’est progressivement démocratisée (A) tandis que, pour l’essentiel, les classes dominantes ont consolidé leur mainmise sur la haute administration (B).

A – La démocratisation des rôles politiques

Après la chute de la monarchie de Juillet, l’établissement du suffrage universel a peu à peu bouleversé la composition sociale de la classe politique. Jusque-là, à la faveur du suffrage censitaire, les rôles politiques avaient en effet été accaparés par l’aristocratie et la grande bourgeoisie. L’universalisation du droit de vote a donc permis l’accès de nouvelles couches sociales aux rôles politiques. L’aristocratie et la grande bourgeoisie ont certes tenté d’en limiter les effets (en 1850, par exemple, avec l’exigence d’une résidence de trois années dans la commune, mesure destinée à limiter le vote des ouvriers itinérants), sans parvenir toutefois à les empêcher. Concurrencés par de nouveaux acteurs et de nouvelles organisations, ces groupes dominants ont donc abandonné le pouvoir politique pour se concentrer sur leur pouvoir économique et leur capacité de contrôle social (à travers la presse notamment). S’ils ont continué à investir la haute administration (voir ci-dessous), celle-ci était beaucoup moins bien représentée parmi les députés que par le passé. À tel point que Pierre Birnbaum évoque « la désagrégation complète de la masse des députés-fonctionnaires, si nombreux auparavant. » Le même auteur en conclut qu’« Au temps de la fusion de la classe politique [fusion entre les élites sociales et les sommets de l’État] succède pour longtemps celui de la dissociation et de l’autonomisation du personnel politique qui ne se recrute plus, dorénavant, ni dans la haute administration ni dans le monde industriel. L’État se trouve maintenant aux mains d’un

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personnel politique dont les intérêts ne coïncident pas nécessairement avec ceux de la haute administration ou des milieux d’affaires »3.

Cette évolution a amplement contribué à la professionnalisation d’organisations politiques consacrées à la conquête des suffrages. La politique est devenue une fin en soi (plutôt qu’un moyen de faire fructifier ses affaires) et elle est surtout devenue l’occupation d’acteurs spécialisés : « politicien » devient alors un métier. Dans ce sens, André Tardieu relevait à l’époque que les nouveaux élus n’avaient « d’autres qualifications dans la vie que celle de parlementaire » (ce qui est bien évidemment une grossière exagération). Cet auteur poursuivait ainsi : « Ils y tiennent. Car, en la perdant, ils perdraient tout »4.

Ce profond renouvellement de la classe politique est intervenu progressivement. Entamé dès 1948, il s’est accéléré après l’échec de Mac Mahon pour s’achever à la fin de la IIIe République5. Ce renouvellement s’est caractérisé d’abord par la contraction du contingent des parlementaires provenant des classes dominantes. Ainsi, les industriels, entrepreneurs, dirigeants de sociétés et propriétaires rentiers, qui représentaient encore 20 % des députés pendant les quatre premières législatures de la IIIe, ne représentaient plus que 13 % pendant les quatre dernières. Le renouvellement de la classe politique s’est produit, ensuite, avec l’augmentation significative des ouvriers au sein de la chambre basse : plafonnant à 2 % pendant les quatre premières législatures, ils atteignaient 15,5 % pendant les quatre dernières6. Mais l’évolution la plus importante a concerné la classe moyenne. D’une part la classe moyenne inférieure (employés, instituteurs, journalistes etc.) qui est passée de 11 % pendant les quatre premières législatures à 28,5 % pendant les quatre dernières. D’autre part la classe moyenne

3 Pierre Birnbaum, Les sommets de l’État, p. 33.

4 Pierre Birnbaum, Les sommets de l’État, p. 33.

5 Plusieurs explications sont avancées pour expliquer l’arrivée seulement progressive de nouvelles couches sociales sur le scène politique. D’une part la professionnalisation des partis politiques de gauche n’a pas été immédiate. D’autre part l’instauration du suffrage universel ne suffisait pas pour que les classes moyennes puissent conquérir le pouvoir, encore fallait-il que les postes politiques deviennent suffisamment rémunérateurs (ce qui n’était pas nécessaire lorsque la politique était essentiellement l’occupation secondaire de personnes très fortunées). L’augmentation de l’indemnité parlementaire de 9 000 à 15 000 francs, en 1906, y a amplement contribué.

6 Delphine Dulong relativise cependant cette victoire en trompe l’œil des classes les moins favorisées : « Non seulement les membres des classes populaires ne sont pas nombreux au début de la Troisième République, mais ils restent illégitimes aux yeux des autres élus. L’ethos des classes populaires étant mal ajusté au champ du pouvoir politique et à ses règles de fonctionnement « bourgeoises » qui requièrent éloquence, éducation, humour cultivé, etc., ils sont en effet fortement stigmatisés par leurs « pairs » et la presse spécialisée. Il faudra attendre plusieurs années avant que cette illégitimité soit retournée en emblème politique par le parti communiste. » La construction du champ politique, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 73.

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supérieure, petite et moyenne bourgeoisie, diplômée et bénéficiant d’une notoriété locale (médecins, pharmaciens, avocats, notaires etc.), qui représentait la majorité des députés7.

Selon Jacques Lagroye et ses coauteurs, « Globalement, la Chambre des députés de la Troisième République dessine les contours d’une classe politique où les diplômés des couches moyennes de la population sont fortement surreprésentés (plus de la moitié des députés pour la période

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