Abstentionnisme

s nos scrutins sont majoritaires. Néanmoins, on discerne deux types d’abstentionnisme : l’abstentionnisme dû à l’indifférence ( de structure ) et l’abstentionnisme contestataire ( conjoncturel ). Devant la théorie et les faits, nous nous demanderons si l’abstentionnisme est l’illustration d’une crise citoyenne.

Afin de répondre à cette question, le développement de trois points semble nécessaire. Nous verrons tout d’abord si ce phénomène est inédit à la France actuelle puis discernerons les éléments déterminants de celui-ci. Enfin, nous affirmerons ou nous infirmerons le fait que l’abstentionnisme est un danger pour la démocratie.

* -La politique: terme désignant la scène sur laquelle s’affrontent les individus et les partis en compétition pour la conquête ou la conservation du pouvoir.

- Le politique: terme désignant l’ensemble des régulations publiques incarnées par le programme politique.

I- Est-ce un phénomène propre à la France actuelle ?

L’abstentionnisme paraît être pour la plupart un phénomène récent et local, cependant, il faut relativiser cette idée catégorique et comparer la situation actuelle à celle des autres pays et il faut observer les faits passés.

i/ Par rapport au reste du monde

Il semble nécessaire de rappeler en premier lieu que l’on partage notre méthode de calcul du taux d’abstentionnisme avec plusieurs pays tels que les Etats-Unis.

Bien que les lois électorales des Etats-Unis soient différentes, le pays présente un taux d’abstention moyen aux élections présidentielles de 29%. En Allemagne, le taux d’abstention aux dernières législatives était de 30% et celui d’Espagne de 31%. On peut alors dire que la France n’est pas un pays isolé.

ii/ Est-ce un phénomène récent ?

Sous l’histoire de la Ve République, on peut observer que le taux d’abstention est toujours resté plus ou moins élevé selon les élections. Cependant, on peut démarquer deux phases. La première est celle de 1960-1980 pendant laquelle la population portait un intérêt plus marqué pour la politique, et la deuxième est celle de 1980-2010 pendant laquelle les individus se sont concentrés sur leurs intérêts privés au dépit de l’intérêt public. Albert Hirschmann, dans Bonheur privé, le décrit et compare le phénomène à des « oscillations cycliques». Il discerne la période 1945-1960 (intérêts privés), 1960-1980 (intérêts publics) et la suite des années 80 à nos jours. La période 60-80 est marquée par des revendications sociales (1968, Coluche etc.) et un intérêt partagé de la politique.

Taux d’abstention des élections législatives en France depuis 1958

Ainsi, ce phénomène n’est pas inédit à la France aujourd’hui. On peut voir que le taux d’abstentionnisme augmente si la démocratie dans un pays est bien installée et nous avons pu discerner trois phases dans la vie politique française d’après-guerre mais qui n’empêche pas d’affirmer que le fait que l’abstention n’est pas un phénomène nouveau. Enfin, le phénomène se comporterait de manière cyclique dans le temps.

II- Déterminants de l’abstentionnisme.

L’abstentionnisme est dû à plusieurs causes : un phénomène de société, des causes individuelles, ainsi qu’à des revendications.

i/ La montée de l’individualisme

Dans le Tome 2 de De la Démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville est visionnaire et voit déjà que la montée de l’individualisme peut s’illustrer par le taux d’abstention. « L’individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse se ses semblables et à se retirer (…) après s’être créée une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même. »

La moyennisation des classes, phénomène issu de la fin du XIXe siècle, a stimulé l’individualisme. L’important est de faire fortune, de se servir de l’ascenseur social. Ainsi, aveuglé par leurs propres intérêts, l’individu « n’aperçoit plus le lien étroit qui unit la fortune particulière de chacun d’eux à la prospérité de tous. L’exercice du devoir politique lui paraît comme un contretemps qui le distrait de ses activité.

La moyennisation sociale résulte aussi sur une sensible égalité. Les individus des classes moyennes (dominantes en France) pensent qu’ils ne dépendent plus des autres, ils ont un sentiment d’autosuffisance. Ainsi, Tocqueville a vu dans la montée de l’individualisme un élément déterminant des comportements politiques.

Aujourd’hui, nous sommes dans une société de loisirs et de consommation dans laquelle la place de l’activité politique perd de son importance aux yeux des peuples occidentaux. En effet, les divertissements éloignent l’individu de la politique qu’il peut percevoir comme quelque chose d’ennuyeux.

Les individus aujourd’hui sont emportés par la mondialisation et ils ne saisissent plus l’intérêt de la politique intérieure. Ils préfèrent voir ce les bienfaits des pays étrangers (à travers la télévision, la musique, la technologie etc.) ce qui résulte sur la déclin du sentiment patriotique chez beaucoup de Français.

ii/ Selon les élections

Les Français tendent à voter selon l’importance des élections, leur médiatisation et des idées reçues.

Les élections européennes :

% France Ensemble UE

2004 57,2 47,2

1999 53 50,6

1994 47,3 43,2

1989 51,3 41,5

1984 43,3 39

1979 39,3 37

Les français restent dans l’ensemble eurosceptiques. Ils considèrent l’Union Européenne comme néfastes notamment parce qu’ils pensent qu’elle mènera notre économie à se libéraliser. Aussi, ils considèrent qu’elle n’est pas suffisamment sociale. Enfin, ils lui reprochent le fait de ne laisser à la France que peu de marche de manœuvre. Aussi, l’UE n’est pas très médiatisée ce qui entraîne les Français à penser que voter n’a aucune utilité. On peut voir dans l’ensemble que les Français sont plus méfiants devant l’UE que les autres Etats-membres et que cette indifférence s’est fait remarquer en progression depuis 1979. Ici, on assiste à deux types d’abstentionnisme : l’abstentionnisme de l’indifférence et l’abstentionnisme contestataire.

Afin de remédier à ce problème, il faudrait démontrer au peuple à travers la télévision, les organes de presse mais surtout par l’école que l’UE n’est pas une institution insignifiante et donc faire croître le sentiment d’appartenance européenne.

Les élections présidentielles :

Globalement, le taux d’abstentionnisme aux élections présidentielles reste le moins élevé. En effet, les Français considèrent que le poste de Président de la République reste le plus important dans la classe politique. Cette idée est issue du travail de Charles de Gaulles qui a voulu rétablir un pouvoir exécutif fort et redonner au Président un rôle important. Enfin, la médiatisation importante des campagnes présidentielles permette d’intéresser le peuple. Ils voient en la fonction de président de la République le pouvoir le plus important, d’ailleurs, d’après une étude de l’IFOP, 88% des Français pensent que les prochaines élections présidentielles seront importantes pour le pays.

Les élections législatives :

Quant au taux d’abstentionnisme des élections législatives, il reste inquiétant. Les Français ne perçoivent pas l’importance de ces élections et ceci est dû à la sous-médiatisation de l’événement en particulier. Bien que la décision d’établir le quinquennat du mandat présidentiel ait permis la réduction du risque de cohabitation (alignement des mandats), l’abstention à cette élection reste dangereuse. D’autant plus que le scrutin est majoritaire ce qui implique que chaque voix compte.

Elections régionales et cantonales :

(Evolution du taux d’abstention des élections cantonales depuis 1961)

(Evolution du taux d’abstention des élections régionales depuis 1961)

Le taux d’abstention à ces élections est très marqué. Ce sont les taux les plus forts des élections concernant le territoire français. Encore une fois, c’est la sous-médiatisation des élections et l’incompréhension de l’influence des instituions

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