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Quand La Musique De Fond Entre En Action

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ues.org/1310 DOI : en cours d'attribution Éditeur : Ministère de la culture / Maison des sciences de l’homme http://terrain.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://terrain.revues.org/1310 Document généré automatiquement le 26 octobre 2011. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'édition papier. © Terrain

Quand la musique de fond entre en action

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Tia DeNora

Quand la musique de fond entre en action

Pagination originale : p. 75-88

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En quoi peut-on parler de la musique comme d’un « ingrédient actif » efficace et producteur d’un certain ordre ? Je souhaite en effet traiter ici de la musique lorsqu’elle « entre en action ». En hommage à la branche de la recherche socio-technique appelée « Human-Computer Interaction » (HCI) ou « interaction homme-ordinateur » – qui étudie la manière dont les êtres humains interagissent avec leurs machines informatiques et sont configurés par elles (Woolgar et Latour en ont brillamment analysé les dimensions théoriques) –, je parlerai ici d’« interaction hommemusique ». L’intérêt de ce terme réside dans sa reconnaissance de ce que la musique n’est ni passive ni, objectivement, causale dans ses effets (cf. DeNora 2000). Une telle approche accorde à la musique l’efficacité qu’elle mérite (et qu’en fait elle possède en contextes d’écoute), tout en refusant d’en réifier la force sémiotique dans la terminologie aujourd’hui obsolète de « musique en elle-même ». Comment articuler une telle approche au niveau de l’expérience musicale ? Dans un premier temps, nous partirons de contextes de consommation et d’utilisation musicales en se centrant, d’un point de vue ethnomusicologique (et ethnométhodologique), sur la musique lorsqu’elle est attirée dans la spirale de l’autoproduction continue et réflexive d’une action efficace sur ses auditeurs, qui sont eux-mêmes constitués en agents esthétiques. Dans un deuxième temps, nous envisagerons la musique comme une incitation et/ou un référent pour (plutôt que comme un signifiant de) l’action, le sentiment et la pensée. Ce faisant, nous en revenons à ce que soulignaient les auteurs classiques, d’Aristote à Adorno, selon lesquels la musique « possède le pouvoir de produire un effet sur le caractère de l’âme » (Aristote 1946). Dans ce qui suit, je me propose d’analyser trois cas montrant la fonction de la musique dans l’ordonnancement d’êtres humains dotés d’une vie émotionnelle et esthétique. Je traiterai successivement de la musique et de l’autorégulation des émotions, de la musique dans son rapport à la remise en forme physique et à l’émotionnalité dans les cours d’aérobic et, enfin, du rôle que joue la musique dans la manière dont on « discipline » les intentions des consommateurs dans les magasins de vêtements 1.

Produire de l’émotion dans la vie quotidienne

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L’analyse de 52 entretiens approfondis sur le rôle de la musique dans la vie quotidienne de femmes américaines et britanniques (DeNora 1999 ; DeNora 2000) a fait apparaître la musique comme une source capitale d’autorégulation des émotions. Interrogées sur leurs

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rapports avec la musique (par exemple : « Pouvez-vous me parler de la journée d’hier, depuis votre réveil jusqu’au moment où vous vous êtes endormie, et me dire en quoi la musique a marqué votre journée ? S’agissait-il d’une musique que vous aviez choisi d’écouter ou qui vous était imposée, comme celle d’un magasin ? »), presque toutes les personnes interrogées évoquaient explicitement le rôle de la musique comme un moyen d’ordonnancement au niveau « personnel » (ainsi qu’au niveau pratique), comme un outil pour créer, renforcer, soutenir et modifier des états subjectifs, cognitifs et corporels ainsi que leur image d’elles-mêmes. Indépendamment de leur niveau de formation musicale, les interviewées se montrèrent extrêmement lucides quant au type de musique qu’elles « devaient » écouter dans des situations et à des moments divers en puisant dans leurs pratiques personnelles de programmation musicale. Elles avaient parfaitement conscience de la manière dont il leur fallait mobiliser la musique pour parvenir à certains états, pour les renforcer ou les modifier. Cette connaissance pratique mettait en évidence la manière habituelle et souvent tacite dont ces personnes se construisaient en tant qu’êtres socialement cohérents et disciplinés. On peut rapprocher ce travail d’une étude similaire de Gomart et Hennion (1999) montrant là aussi comment les femmes étudiées avaient pris l’habitude de « régler le son » de différentes manières afin de produire un événement musical susceptible de les « émouvoir ». C’est la combinaison de diverses pratiques musicales qui leur permettait d’obtenir cette passivité face à la musique et à l’« effet » émotionnel qu’elle induit. Il pouvait s’agir de la sélection de certains enregistrements, du niveau de volume sonore, de l’environnement matériel, culturel et temporel de l’audition (par exemple le choix d’écouter au lit, dans un rocking-chair, le soir dans son bain ou le matin en se préparant à sortir), de l’association et de la compilation d’œuvres musicales, de souvenirs, ou encore de contextes d’écoute passés et actuels… De sorte que l’on pouvait souvent percevoir les femmes interrogées comme étant – et c’est ainsi qu‘elles parlaient d’elles-mêmes – leurs propres disc-jockeys. Pour résumer, on peut dire que la musique était dans ce cas un moyen ou un dispositif en vue de ce que Hochschild (1983) appelle le « travail émotionnel ». Il le décrit comme « une coopération corporelle avec une image, une pensée, un souvenir – une coopération dont l’individu a conscience » (Hochschild 1979 : 551, cité dans Williams 1996 : 129). Les femmes décrivaient la manière dont elles utilisaient la musique, dans leur vie quotidienne comme dans des circonstances exceptionnelles, pour réguler leurs humeurs et leurs niveaux d’énergie, augmenter ou entretenir certains états affectifs ainsi que leur énergie corporelle (comme la relaxation ou l’excitation) ou encore pour diminuer ou modifier des états émotionnels indésirables (stress, fatigue). Ces femmes britanniques et américaines décrivaient par exemple comment les propriétés spécifiques de la musique écoutée, telles que son rythme, ses mouvements, ses harmonies ou son style, leur procuraient des idées ou des représentations de « l’endroit » où, pour reprendre leurs termes, elles souhaitaient « être » ou « aller » émotionnellement, physiquement, etc. Les interviewées, autrement dit, faisaient l’articulation entre les œuvres musicales, leurs styles ou leurs compositions, et certains modes d’action de celles-ci, utilisant la musique de manière à provoquer les émotions voulues ou partiellement imaginées et désirées. Les personnes interrogées engageaient souvent un travail conscient de réflexion sur la musique qui pourrait « marcher » afin de recréer des situations ou des états émotionnels passés. Une partie du travail visant à recalibrer leurs sentiments impliquait de réécouter la musique qui accompagnait l’état d’alors. Leurs articulations se basaient sur ce qu’elles pensaient pouvoir leur être apporté par la musique. Cette perception était façonnée à son tour par diverses considérations, au nombre desquelles figuraient les associations faites antérieurement par les interviewées entre certaines données musicales et des éléments d’ordre biographique, leur compréhension des implications émotionnelles des systèmes, genres et styles musicaux conventionnels, ainsi que les parallèles perçus (articulations/homologies) entre matériaux ou procédés musicaux et processus sociaux ou physiques.

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Abordons maintenant le rôle de la musique et son efficacité sur le corps dans le contexte des cours d’aérobic. Ce changement de cadre permet de montrer comment la musique est utilisée pour structurer le comportement corporel, la stimulation, la motivation et la subjectivité.

Le cours d’aérobic

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Le cours d’aérobic est un lieu privilégié pour cerner le rôle de la musique et son impact sur l’activité émotionnelle et physique. Pendant le cours, la musique peut être considérée comme un dispositif d’entraînement, comme un moyen d’« accélérer »,

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