Initiation À La Conception D'Une Monographie En Sociologie Ou En Anthropologie

En effet, la description du territoire permet de répondre à des questions plus larges comme la cohabitation interethnique, le changement social, la place de la famille dans les relations de voisinage, … Répondre à ces questions nécessite une recherche systématique d’un espace donné (quartier, cité, village) afin d’envisager les variations possibles de l’objet étudié. Pendant longtemps, les études ont consisté à juxtaposer des études sur le site, sur le bâti, sur les activités, sur les fonctions sans aborder le lien entre ces éléments et la recherche d’une problématique commune. Néanmoins, ces « plans à tiroirs », sont appréciés dans certains milieux professionnels. Ils permettraient d’envisager les besoins et ressources d’une population locale. Cette méthode est formalisée dans les études d’impact que l’on exige de toute collectivité publique réalisant une opération touchant l’environnement : construction d’une route, élargissement ou création d’une voie. Elle est aussi qualifiée de diagnostic, ce qui renvoie à une médicalisation de la ville.

La notion de monographie est cependant complexe parce que contextuelle. Pour reprendre Descola (2004 : 11), « on ne dispose pas d’un système canonique et cohérent d’interprétation du monde, il faut alors bricoler les structures de représentation des pratiques à partir d’un faisceau d’indices disparates ». Dans cette logique, Camelin et Houdart (2010 : 38) invitent au style monographique, qui a pour idéal « de faire l’inventaire d’une société, d’en épuiser les divers aspects. Dans la monographie, la préoccupation de donner à voir l’emporte sur la volonté de faire comprendre ». Dans la même perspective, Descola dans son ouvrage "La nature domestique" (2004 : 11) a estimé que « l’attention portée aux caractéristiques du milieu est une préoccupation méthodologique nécessaire pour rendre compte avec rigueur de l’organisation interne des systèmes de représentation ». Plusieurs travaux anthropologiques ou sociologiques sont d’inspiration monographique (Lahire, 2009 ; Lévi-Strauss, 2009 ; Descola, 2004 ; Affo, 2012). Après avoir présenté un bref historique des études monographiques en sociologie et en anthropologie, il sera d’une part, montré la spécificité de ce type de recherche. Ensuite, quelques nomenclatures de monographies seront étudiées. Enfin, l’étude monographique d’un quartier de la ville de Parakou ou de ses environs sera réalisée.

1. Bref historique des études monographiques en sociologie et en anthropologie

Il s’agira de produire dans un cadre méthodologique contrôlé, un ensemble de connaissances organisées sur une portion de « territoire », un lieu construit, perçu, conçu, agi et parcouru par des groupes d’acteurs ayant des usages, des représentations, des pratiques sociales du lieu, à décrire, à analyser, selon un angle déterminé en fonction du sujet de recherche sur un terrain spécifique. Ce terrain, au sein duquel se jouent des rapports sociaux, des représentations (stigmatisation, valorisation, rumeurs..) mais aussi des temps sociaux, des enjeux économiques, des formes matérielles (bâtiments, infrastructures, monuments, paysages), des rapports politiques et juridiques comporte des rapports spatialisés et vécus par des individus et des groupes. Ces aspects vécus peuvent apparaître dans la monographie.

Il s’agit d’un exercice difficile on est confronté aux préjugés positifs ou négatifs sur la société ou aux représentations dominantes attachées à tel ou tel lieu ou à tel groupe social, donc aux prénotions (Durkheim)

Une monographie est un travail à la fois modeste, dense et rigoureux, qui n’est ni du journalisme ni de la dissertation. Il revient au chercheur de construire la monographie à l’intérieur du sujet retenu, à partir de questions qui se posent et des centres d’intérêt ; tout en ayant à l’esprit que tout travail sociologique, ethnographique ou anthropologique implique une prise de distance. Il s’agit d’aller à la rencontre des « vrais gens » pour collecter les informations et construire les cadres d’analyse pour organiser des connaissances.

L’usage des études monographiques dans les sciences sociales et humaines doivent beaucoup aux travaux de Bronislaw Malinowski, Frédéric LePlay et des membres de l'École de Chicago.

1.1 Bronislaw Malinowski et l'observation participante

D’origine autrichienne, Bronislaw Malinowski, s’est réfugie dans les archipels mélanésiens et vit pendant trois ans dans les îles Trobriandaises. Cet anthropologue réalise ses premières observations sur cette population locale, ces us et coutumes extérieurs à sa propre personne qui donneront naissance à son ouvrage intitulé : Les argonautes du Pacifique Oriental.

Cette enquête de terrain de Malinowski, en fait, donne naissance à l'anthropologie moderne et l'observation participante y reçoit ses premières lettres de noblesse. Suivant la perspective de l'anthropologie de l'époque, Malinowski se donne pour tâche d'inventorier la culture de la société sous observation dans ses moindres traits.

La définition de l'observation participante est, suivant la perspective inaugurée par Malinowski, fort simple. Selon lui, il suffit à l'observateur de s'insérer progressivement au sein de la population locale, au gré de contacts réguliers s'étalant sur un long laps de temps, de se mêler à sa vie ordinaire et à sa culture, en évitant de les perturber par sa présence ou par les exigences de ses observations. Le recours à des informateurs-clés, avec lesquels le contact étroit est acquis, permet le recueil de propos en situation propices à éclairer les observations directes de la culture. Les observations et informations de première main doivent être soigneusement notées dans des carnets de terrain dont l'organisation doit évidemment favoriser la restitution fidèle des traits de la culture étudiée. L'organisation des observations et des informations au sein des carnets de terrain est évidemment tributaire des propos des informateurs et de la compréhension première qu'en a l'anthropologue sur le terrain.

L'étude des cultures doit être faite, dans ces conditions, au sein de populations locales, de petites communautés dont le caractère homogène met en relief leurs traits particuliers de façon condensée et dans des conditions de simplicité. Le village s'avère à cet égard un lieu d'observation privilégié de la culture puisqu'en raison de sa faible taille et de son caractère homogène, les traits caractéristiques de la culture se révèlent sous la forme d'une totalité.

Le village est un lieu de prédilection pour l'enquête monographique. Il n'a pas, en effet, un volume tel qu'il dépasse les capacités d'absorption d'un seul chercheur qui même en cas de spécialisation peut tenir une vue synoptique de l'ensemble du groupe. La faible différenciation culturelle permet de saisir l'ensemble des significations ayant valeur actuelle.

1.2 Ecole de Chicago et l'étude monographique

La monographie sociale occupe une place de choix dans les premières enquêtes sociales réalisées aux Etats-Unis, à la fin du XIXe siècle et au début du XX' siècle, par des travailleurs sociaux et les premiers sociologues américains. Ces premières enquêtes portent sur de petites communautés locales et des quartiers urbains où résident depuis peu des populations rurales et émigrées. L'insertion de ces populations dans ces nouveaux cadres de vie provoque de sérieux problèmes de chômage, de pauvreté, de délinquance et de violence.

La ville de Chicago était, au début du siècle, aux prises avec de tels problèmes. Ces problèmes, accentués dans ce cas par de fortes vagues d'immigration et une urbanisation extrêmement rapide, avaient surtout intéressé les travailleurs sociaux. Mais ceux-ci, peu enclins à s'y confronter directement, sur le terrain, les avaient surtout envisagés à travers des données statistiques officielles et des documents de seconde main de toutes sortes, dont divers écrits juridiques. L'analyse de ces matériaux était rarement confrontée au spectacle de la misère et de la violence qu'offrait pourtant la ville de Chicago à cette époque. Sous l'initiative de William I. Thomas, bientôt rejoint par Robert Park, sont mises en chantier, par le département de sociologie de l'Université de Chicago, un ensemble d'études de terrain donnant immédiatement lieu à toute une série de monographies sur ces divers problèmes de pauvreté, de délinquance et de déviance. L'étude monographique doit d'ailleurs faire preuve, d'une rigueur et d'une systématicité qui font défaut aux écrits journalistiques.

Ainsi, Park incite fortement ses étudiants à dépasser les documents officiels et aller se frotter aux situations de pauvreté et de déviance, carte de la ville et carnet de notes en mains. Le recueil de propos en situation, sous forme d'entretiens ouverts et de matériaux de toutes sortes, tels des papiers journalistiques et des documents personnels comme des lettres, est aussi préconisé. L'incitation au recueil de documents de cette facture fait écho aux principes d'études de William Isaac Thomas. L'Université de Chicago devient rapidement un haut lieu des études monographiques aux Etats-Unis et fait école au sens où il existe une harmonie entre les positions théoriques

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