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Ne Peut-Être Vendu

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de la place à regarder ce café où il ne se passait jamais rien. D'ailleurs, depuis le processus, plus rien ne se passait dans aucun café, dans aucun village, les grands appelaient cela le Niveau Idéal d'Equilibre (N.I.E.), il s'en dégageait, selon eux un état de béatitude et d'épanouissement total pour l'individu devenu insouciant, ludique et complètement dégagé de toute obligation matérielle, en un mot, selon leurs conceptions, libre ! Il resta là, mâchonnant un moment son tabac. Cela faisait des jours qu'il marchait au hasard. Tout à l'heure, à l'orée du bois, il avait attendu le lever du jour, à l'aube les réverbères s'éteignaient silencieusement, commandés par des capteurs de luminosité. Les basses cours caquetaient à nouveau. Alors survenait au loin le sale ronronnement des tracteurs industriels, véritables usines roulantes. C'était un "village libre" assurément.

L'après-midi de ce dimanche là finissait et le stylo continuait de courir sur la feuille. Par sa fenêtre, celui qui se prenait pour un écrivain pouvait, sans même cesser d'écrire, se pencher et observer tous les mouvements du village qui nécessairement s’effectuaient en passant par cette place en bas de chez lui. La vie était calme depuis le processus et souvent il s'ennuyait, alors il tentait d'inventer la vie, noircissait des pages, tenant plus que tout autre à cette forme de communication périmée qu'était l'écriture en ce milieu de XXIème siècle. Il aurait pu, comme tout un chacun, dans sa condition « d’Assisté Permanent », fournir le télécom d'élucubrations binaires qui auraient été diffusées dans tout le réseau européen, avoir de l'audience et des pourcentages de réception, mais cela ne l’intéressait pas. Il voulait écrire à la main, sur une feuille, et préserver au maximum l'authenticité antique de sa fonction sociale, créateur de rêves et de mystères, proposeur de réflexion, bouilleur d'idées, enfin, ce qui en faisait pour lui l'authenticité, tant dans son image que dans son corps lui-même. L'image pouvait ressembler à celle de tous les scribes des siècles passés, à quelques détails près, le corps, c'était lui-même, sa chair, son alchimie, et, puisque né homme, sa pensée.

Il faisait chaud et cela faisait un moment déjà qu’il était devant sa feuille , à la noircir, les idées se mettaient lentement en place dans sa tête, s'alambiquaient, cherchaient une forme pour s'exprimer, un bec de Cornue pour couler. Le titre s'était imposé de lui-même:

"Eloge à la médiocrité"

Il coulait telle la première goutte d'un long breuvage, celle qui donne la première l'information générale au palais, qui avertit l'organisme tel un "héraut" annonçant un invité : le flot, la parole écrite:

"De fait la non vie offre trop d'avantages pour se faire chier à se poser des questions dont on ne connaît pas la réponse. Pourquoi vouloir à tout prix se sortir de l'aliénation ambiante alors qu'il est si bon de se laisser emporter par l'état naturel des choses, la fatalité des vérités établies, l'immuabilité des rapports humains. D'aucuns voudraient nous forcer les méninges, nous pousser à la réflexion, que nous soyons responsables, autonomes ; voudraient chambouler la terre, modifier nos habitudes, déraciner nos fondements ; voudraient que nous soyons dignes de l'évolution de notre espèce, que nous sortions de l'ombre, que nous échangions nos doutes, nos angoisses. Ils rêvent qu'un jour nous soyons à même de nous élever contre notre condition de bêtes laborieuses anesthésiées par la misère, que nous découvrions nos possibilités faramineuses de compréhension et de prise en charge de notre destin humain. Ils fantasment sur nos capacités de nous unir et de nous concerter, de découvrir nos intérêts communs et de lutter ensemble, d'être solidaires de nos erreurs et de nos actes, de ne plus être soumis ni dominés ; en un mot ils nous voudraient libres pour être libres eux-mêmes et que nous développions nos facultés d'enrichir nos vies par l'épanouissement entier de toutes nos ressources. Mais que croient-ils ?

Avons nous tant d'énergie à dépenser là-dedans et perdre ainsi la tranquillité que nous offre notre immobilisme et notre soumission aux conditions existantes ? Qu'avons-nous besoin de nous mettre en mouvement et de nous fatiguer, de nous exténuer à sortir de notre domination? Qu'échangerions-nous contre cette tranquillité, si ce n'est la difficulté de maîtriser nous même notre devenir et l'accession douloureuse à l'existence véritable et incertaine d'une conscience que nous remettrions sans cesse en cause pour progresser ?

Alors restons calmes et insouciants, mais sachons être pervers, méchants et sournois, et défendre avec haine la certitude de notre sommeil légumineux ! Passons en aux moyens d'auto défense !

Car face à ces menaces grandissantes d'atteinte à notre paisibilité bovidienne, sachons nous garantir. Différents moyens simples et ayant fait leurs preuves au fil des années peuvent nous faire échapper à ces tourments. Tout d'abord, si possible est, ignorons le problème, nions l'existence de ces excités, restons chacun dans notre trou, écartons le danger en méprisant leurs discours, en réfutant sans raison leurs idées. Jouons-nous-la fatalistes et bornés, voir sous informés (Ah bon ! Je ne savais pas mais comment donc...) voir encore analphabètes ou moitiés idiots. Si malgré tout certains s'obstinent et qu'il faille se prémunir d'avantage de leurs propositions libératrices, passons mollement à l'acte et répondons par moqueries diverses, ragots personnalisés, diffamations déguisées, insultes réductrices, portons le débat sur l'artificiel et le détail, la virgule plutôt que le texte. Débat de ponctuation n'est pas réflexion mais divertissement agréable et facile. Beaucoup en seront écoeurés, déstabilisés, démobilisés, apercevant l'effroyable difficulté de poursuivre par la raison, baisseront les bras et nous rejoindront aisément. Pour les plus virulents, d'autres moyens ne demandant que peu d'investissement personnel peuvent être étudiés. Si malgré calomnies et railleries, discrédit et insulte, ils persistent et font preuve de détermination, voir d'obstination, laissons les s'agiter, se tuer à la tâche, s'unir et se regrouper.

Profitons de leur esprit d'ouverture et de leur volonté de dialogue pour nous infiltrer parmi eux et leur laisser croire que nous sommes tous-unis-tous-solidaires, établissons des rapports fraternels et affectifs, et profitons perfidement de tous les moyens qu'ils mettront en oeuvre en se gardant bien de les aider en quoi que ce soit. Là, deux attitudes possibles, toutes deux aussi nauséabondes et ne demandant aucun effort.

L'attitude paumée et approbatrice, autocentrée sur de fumeux problèmes existentiels nous rendra sympathiques et, tout en préservant les moyens d'éclate individuelle qui sont les leurs, nous permettra de pomper leur énergie à notre bénéfice exclusif ; coqs en pâte, consommant tout mais ne produisant rien, nous aurons la légitimité des misérables et le nid douillet. Autre attitude, plus perverse et plus excitante, mettons nous en avant des luttes, non par les actes, mais par la tchatche, soyons plus que plus, proposons sans cesse hors réalité, critiquons vertement les plus sincères et soutenons les plus mégalos, foutons notre merde en divisant, toujours de mauvaise foi, libérons nos fantasmes les plus fous, prenons les uns pour les autres et mélangeons tout, la dislocation n'est pas loin. Il n'est pas superflu à ce niveau d'intervention là, de se doter d'une sur conscience auto proclamée et d'une autorité morale obtenue par toutes sortes de pressions, chantages affectifs, violences verbales, prises omniprésentes de paroles, contestation systématique de toute proposition autonome. Le must reste encore de prendre sournoisement la tête de collectifs constitués, voir d'en constituer nous-mêmes, de soulever toutes les contradictions existantes, d'en inventer s'il le faut, montrer les uns contre les autres tout ceux qui pourraient s'apercevoir un jour de leurs intérêts communs, rendre inconciliable ce qui pourrait l'être, faire de divergences des oppositions, d'oppositions des guerres sans fondement et sans fin, refuser toute discussion réelle sur le fond et aviver au maximum les rancoeurs personnelles accumulées. Et si malgré tout cela une quelconque conscience progresse, la décréter médiocrité, si un quelconque individu résiste, le briser moralement et physiquement !

"Tous ensemble nous resterons moyens !

Sachons profiter pour bloquer toute évolution !

Dominus Domina Dominum Dominis Domini Domine "

Il faisait chaud ; mais ce n'était pas cette impression qu'il retiendrait. Non, la première impression qui lui reviendrait en mémoire serait la vision de la tranquillité, de la paisibilité, de la clarté immobile et insouciante de son village. Un jeune homme regardait le café au coin de la place ; peut-être était-ce lui et il se voyait lui-même comme dans un rêve où tout est plus réel que la réalité. Son

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