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Le Rire Selon Bergson

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un entre une bonne blague, une farce, une pitrerie, un quiproquo de vaudeville, une scène de comédie ? Quelle est « l’essence, toujours la même, à laquelle tant de produits divers empruntent ou leur indiscrète odeur ou leur parfum délicat ? ».

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1. Trois observations préliminaires

Bergson part de trois observations qu’il estime tout à fait décisives pour la compréhension du comique :

1) Il n’y a pas de comique en dehors de ce qui est proprement humain.

Cette proposition doit s’entendre de manière précise. Bergson écrit : « Un paysage pourra être beau, gracieux, sublime, insignifiant ou laid ; il ne sera jamais risible. On rira d’un animal, mais parce qu’on aura surpris chez lui une attitude d’homme, ou une expression humaine ». Bergson regarde bien sûr le rire de l’homme, il ne se pose pas la question de savoir si l’animal peut être doué d’humour. Quand on présente une vidéo amateur d’un chat qui s’étale sur les rideaux, parce qu’il s’est accroché par un fil au ventilateur, on rit, parce que c’est typiquement un cas de maladresse, de chute qui nous fait aussi rire chez l’homme et que nous déplaçons tout naturellement chez l’animal qui alors en devient risible. Il n’est pas très exact de dire que l’homme est un animal qui sait rire, ou de dire que le rire est le propre de l’homme, pour être plus précis, il faut dire que l’homme est un animal qui fait rire, et c’est justement par ressemblance avec l’homme que le reste fait rire aussi.

2) Le comique suppose une certaine forme d’insensibilité.

Le rire explose aisément au milieu d’une atmosphère figée et tendue. Il s’oppose naturellement à l’implication tragique de l’esprit à l’égard d’une situation d’expérience. Il est possible, c’est ce que nous devrons examiner que cela soit son ressort secret, un de ses mécanismes. En tout cas, l’opposition est nette. Bergson commente « je ne veux pas dire que nous ne puissions rire d’une personne qui nous inspire de la pitié, par exemple, ou même de l’affection : seulement alors, pour quelques instants, il faudra oublier cette affection, faire taire cette pitié ». C’est assez étrange comme nous pouvons basculer de la pointe du tragique, au comique le plus déridé. Il est remarquable que d’ailleurs les plus grands artistes comiques se reconnaissent justement en cela : une aptitude à passer du tragique, du drame à cet éclat de la drôlerie irrésistible. Buster Keaton ne souriait jamais. Charlie Chaplin reste très neutre dans son visage et il est très souvent pris dans des situations affreuses, dans la misère la plus totale par exemple dans La ruée vers l’or. Comme si il fallait presque pleurer pour rire.

Bergson emploie dans le texte le mot « sensibilité » dans un sens pathétique. Il veut dire que si nous en restons à l’identification au drame, à cette identification qui se produit dans l’émotion, alors le spectacle de la vie vous semble très sérieux. L’identification fait que si vous être pris par l’émotionnel, « vous verrez les objets les plus légers prendre du poids, et une coloration sévère passer sur toutes les choses ».

3) Le comique se développe au sein d’une conscience commune.

Nous connaissons les fous rires qui se répandent comme par contagion. Bergson prend une position originale en soutenant que le rire est une sorte de résonance collective qui implique en fait une « complicité avec d’autres rieurs, réels ou imaginaires ». Le rire est « social », autant que « culturel ». Beaucoup d’effets comiques sont intraduisibles d’une langue à l’autres, parce que « relatifs par conséquent aux mœurs et aux idées d’une société particulière ».

2. Le comique, du mécanique plaqué sur du vivant

Une fois ces considérations préliminaires posées, Bergson va au § II établir sa thèse, celle-là même auquel on réduit d’ordinaire Le rire de Bergson. La Vie est un mouvement permanent et ce mouvement est fluide et continu. Ce qui est en mouvement de manière fluide et continu ne nous fait pas rire, car c’est l’expression du naturel et de la spontanéité vivante. La traque d’un léopard dans les herbes hautes et son mouvement souple et régulier de félin n’ont rien de drôle. Nous y retrouvons l’assurance, la puissance, la souplesse, la beauté de la Nature. Mais si le fauve dérapait sur une pierre pour se ramasser par terre, cela deviendrait assez drôle. Une rupture inattendue dans le apparaîtrait dans le mouvement et de cette surprise pourrait jaillir un rire. Soyons encore plus précis. Ce qui compte, c’est que nous repérions une intention dans sa continuité et que, tout d’un coup, la continuité soit rompue. Un homme qui marche le long d’une rue c’est banal. Mais s’il se prend le pied dans le caniveau et tombe, cela devient drôle. S’il avait fait attention, il aurait évité l’obstacle. En manquant d’attention, il a donné au mouvement une raideur mécanique qui n’est plus la souplesse de la vie. Il est tombé sous l’effet de sa raideur et cela nous fait rire. la thèse de Bergson est la suivante : ce qui nous fait rire, c’est justement l’introduction de quelque chose de mécanique dans le vivant. La vie est écoulement, parce qu’elle est portée par la Durée, qui est le Temps dans sa puissance permanente de création. Tout ce qui vit est écoulement continue et sans rupture et c’est ce qui donne le naturel qui est simplicité et la simplicité ne suscite pas de commentaire, elle est et c’est tout. Par contre, le compliqué, ce qui est raide, mécanique, qui ne coule pas, retient notre regard. Et peu nous faire rire. Nous tenons là un principe et un procédé, avec lequel peut fabriquer des milliers d’effets comiques. C’est par exemple le principe de la farce. C’est le clown qui discute avec son voisin et se prend un poteau, qui s’assoie sur une chaise trafiquée et se retrouve par terre, qui trempe la plume dans un encrier et le ressort plein de colle etc. La mécanique de l’habitude porte le mouvement dans une direction, donc une continuité relative. Il faudrait épouser le changement. Mais, par une fixité de pensée, l’attention du sujet s’absente et hop ! Il y a un gag. Pour faire rire un enfant, c’est très facile. On mime une action connue et hop ! on introduit un raté et l’enfant s’esclaffe !Tout au long de l’essai de Bergson, cette thèse va revenir, car Bergson retrouve cet effet sous toutes les formes du comique.

Si le comique se résumait à cela, on pourrait penser qu’il tient surtout à des situations et non à la personne. Il n’en n’est rien. Le comique peut très bien s’installer dans la personne parce qu’elle a elle-même structuré en elle une rigidité mentale, ou une telle inattention que des effets comiques en résultent en permanence. Bergson prend le cas d’une personne qui manque de souplesse, d’adaptation au présent. « Un esprit qui soit toujours à ce qu’il vient de faire, jamais à ce qu’il fait ». C’est l’exemple type du distrait. Au cinéma, c’est le titre d’un film en noir et blanc, Le distrait de Pierre Etaix. Il est évident que quelqu’un qui continue « à voir ce qui n’est plus, d’entendre ce qui ne résonne plus, de dire ce qui ne convient plus » nous fera rire. Bergson prend un exemple dans les Caractères de La Bruyère, celui de Ménalque. Et c’est vrai que la caricature est si nette que nous pouvons toujours en rire, même avec le changement de la langue et du contexte historique par rapport au nôtre. Quand la personne se solidifie dans un personnage, elle prend un pli caractéristique qui peut prêter à rire. Bergson observe plus loin que le nom d’une comédie est très souvent le nom d’un personnage : L’avare, Les précieuses ridicules, chez Molière, La mégère apprivoisée de Shakespeare. Par contre, pour une tragédie, on a souvent un nom propre Richard III, Hamlet, Othello. Le tragique en effet appelle la complexité d’une individualité qui n’est pas réductible à un pli caricatural, il est donc assez normal de nommer une pièce tragique d’un nom propre.

De là suit que dans le comique s’effectue une mise en lumière du personnage, dans une volonté de le montrer, tout en le jugeant moralement. Bergson écrit : « Mauvais pli de la nature ou contracture de la volonté, le vice ressemble à une courbure de l’âme ». C’est un peu comme si une pensée fixée s’emparait de la vie d’un homme et la modelait à son insu, de sorte qu’elle forme un caractère tout à fait reconnaissable, on dit de l’un ou de l’autre : c’est un ambitieux, un pédant, un hypocrite, un vantard, un avare, un menteur etc. L’art comique va forcer les traits et mettre en relief ce pli rigide, face à l’écoulement de la vie dans des situations. Et le personnage va devenir drôle.

Il faudra creuser plus avant cette question, car pourquoi rit-on au fond, si ce n’est pour se moquer et corriger un vice dans ce cas ? Celui qui est possédé par un vice n’en n’a pas conscience. S’il se voyait réellement tel qu’il est, il brûlerait en quelque sorte ce personnage. La moquerie est comme un retour de l’image de soi. Bergson dit « un personnage comique est généralement comique dans l’exacte mesure où il s’ignore lui-même Le comique est inconscient

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