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Bac2012

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science, qu’on appelle, je crois, l’astronomie. — Quelle pitié! repartit le gouverneur; se conduit-on par les astres dans ce monde? et faudra-t-il que M. le marquis se tue à calculer une éclipse, quand il la trouve à point nommé dans l’almanach, qui lui enseigne de plus les fêtes mobiles, l’âge de la lune et celui de toutes les princesses de l’Europe? »

Madame fut entièrement de l’avis du gouverneur. Le petit marquis était au comble de la joie. Le père était très indécis. « Que faudra-t-il donc apprendre à mon fils? disait-il. — A être aimable, répondit l’ami que l’on consultait; et, s’il sait les moyens de plaire, il saura tout: c’est un art qu’il apprendra chez Mme sa mère sans que ni l’un ni l’autre se donnent la moindre peine. »

Madame, à ce discours, embrassa le gracieux ignorant, et lui dit: « On voit bien, monsieur, que vous êtes l’homme du monde le plus savant; mon fils vous devra toute son éducation: je m’imagine pourtant qu’il ne serait pas mal qu’il sût un peu d’histoire. — Hélas! madame, à quoi cela est-il bon? répondit-il. Il n’y a certainement d’agréable et d’utile que l’histoire du jour. Toutes les histoires anciennes, comme le disait un de nos beaux esprits(1), ne sont que des fables convenues; et, pour les modernes, c’est un chaos qu’on ne peut débrouiller. Qu’importe à M. votre fils que Charlemagne ait institué les douze pairs de France, et que son successeur ait été bègue?

— Rien n’est mieux dit! s’écria le gouverneur: on étouffe l’esprit des enfants sous un amas de connaissances inutiles; mais de toutes les sciences la plus absurde, à mon avis et celle qui est la plus capable d’étouffer toute espèce de génie, c’est la géométrie. Cette science ridicule a pour objet des surfaces, des lignes et des points qui n’existent pas dans la nature. On fait passer en esprit cent mille lignes courbes entre un cercle et une ligne droite qui le touche, quoique, dans la réalité, on n’y puisse pas passer un fétu. La géométrie, en vérité, n’est qu’une mauvaise plaisanterie. »

Monsieur et madame n’entendaient pas trop ce que le gouverneur voulait dire; mais ils furent entièrement de son avis.

« Un seigneur comme M. le marquis, continua-t-il, ne doit pas se dessécher le cerveau dans ces vaines études. Si un jour il a besoin d’un géomètre sublime pour lever le plan de ses terres, il les fera arpenter pour son argent. S’il veut débrouiller l’antiquité de sa noblesse, qui remonte aux temps les plus reculés, il enverra chercher un bénédictin. Il en est de même de tous les arts. Un jeune seigneur heureusement né n’est ni peintre, ni musicien, ni architecte, ni sculpteur; mais il fait fleurir tous ces arts en les encourageant par sa magnificence: il vaut sans doute mieux les protéger que de les exercer. Il suffit que Monsieur le marquis ait du goût; c’est aux artistes à travailler pour lui; et c’est en quoi on a très grande raison de dire que les gens de qualité (j’entends ceux qui sont très riches) savent tout sans avoir rien appris, parce qu’en effet, ils savent, à la longue, juger de toutes les choses qu’ils commandent et qu’ils payent.

L’aimable ignorant prit alors la parole et dit: « Vous avez très bien remarqué, madame, que la grande fin de l’homme est de réussir dans la société. De bonne foi, est-ce par les sciences qu’on obtient ce succès? s’est-on jamais avisé, dans la bonne compagnie, de parler de géométrie? demande-t-on jamais à un honnête homme quel astre se lève aujourd’hui avec le soleil? s’informe-t-on, à souper, si Clodion le Chevelu passa le Rhin? — Non, sans doute! s’écria la marquise de La Jeannotière, que ses charmes avaient initiée quelquefois dans le beau monde; et M. mon fils ne doit point éteindre son génie par l’étude de tous ces fatras; mais, enfin, que lui apprendra-t-on? car il est bon qu’un jeune seigneur puisse briller dans l’occasion, comme dit Monsieur mon mari. Je me souviens d’avoir ouï dire à un abbé que la plus agréable des sciences était une chose dont j’ai oublié le nom... mais qui commence par un B. — Par un B, madame? ne serait-ce point la botanique? — Non, ce n’était point de botanique qu’il me parlait; elle commençait, vous dis-je, par un b, et finissait par un on. - Ah! j’entends, madame, c’est le blason. C’est, à la vérité, une science très profonde; mais elle n’est plus à la mode depuis qu’on a perdu l’habitude de faire peindre ses armes aux portières de son carrosse: c’était la chose du monde la plus utile dans un État bien policé. D’ailleurs, cette étude serait infinie il n’y a point, aujourd’hui, de barbier qui n’ait ses armoiries; et vous savez que tout ce qui devient commun est peu fêté. » Enfin, après avoir examiné le fort et le faible des sciences, il fut décidé que M. le marquis apprendrait à danser. ]

Jean de La Bruyère (1645-1696), Les Caractères, « De l’homme »

Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard comme s’ils n’étaient point. Non content de remplir à une table la première place, il occupe lui seul celle de deux autres ; il oublie que le repas est pour lui et pour toute la compagnie ; il se rend maître du plat, et fait son propre1 de chaque service : il ne s’attache à aucun des mets, qu’il n’ait achevé d’essayer de tous ; il voudrait pouvoir les savourer tous tout à la fois. Il ne se sert à table que de ses mains ; il manie les viandes2, les remanie, démembre, déchire, et en use de manière qu’il faut que les conviés, s’ils veulent manger, mangent ses restes. Il ne leur épargne aucune de ces malpropretés dégoûtantes, capables d’ôter l’appétit aux plus affamés ; le jus et les sauces lui dégouttent du menton et de la barbe ; s’il enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en chemin dans un autre plat et sur la nappe ; on le suit à la trace. Il mange haut3 et avec grand bruit ; il roule les yeux en mangeant ; la table est pour lui un râtelier4 ; il écure5 ses dents, et il continue à manger. Il se fait quelque part où il se trouve, une manière d’établissement6, et ne souffre pas d’être plus pressé7 au sermon ou au théâtre que dans sa chambre. Il n’y a dans un carrosse que les places du fond qui lui conviennent ; dans toute autre, si on veut l’en croire, il pâlit et tombe en faiblesse. S’il fait un voyage avec plusieurs, il les prévient8 dans les hôtelleries, et il sait toujours se conserver dans la meilleure chambre le meilleur lit. Il tourne tout à son usage ; ses valets, ceux d’autrui, courent dans le même temps pour son service. Tout ce qu’il trouve sous sa main lui est propre, hardes9, équipages10. Il embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de maux que les siens, que sa réplétion11 et sa bile, ne pleure point la mort des autres, n’appréhende que la sienne, qu’il rachèterait volontiers de l’extinction du genre humain.

Notes

1 Son propre : sa propriété.

2 Viandes : se dit pour toute espèce de nourriture.

3 Manger haut : manger bruyamment, en se faisant remarquer.

4 Râtelier : assemblage de barreaux contenant le fourrage du bétail.

5 Écurer : se curer.

6 Une manière d’établissement : il fait comme s’il était chez lui.

7 Pressé : serré dans la foule.

8 Prévenir : devancer.

9 Hardes : bagages.

10 Équipage : tout ce qui est nécessaire pour voyager (chevaux, carrosses, habits, etc.).

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