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Céline Voyage Au Bout De La Nuit

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nt » (page 16) ou d'une reprise ;

- le renoncement à la subordination au profit de la coordination, voire de la simple juxtaposition : « Et l'eau? demandai-je. Celle que je voyais dans mon gobelet, que je m'étais versée moi-même m'inquiétait, jaunâtre, j'en bus, nauséeuse et chaude tout comme celle de Topo. » (page 164), ces chevauchements pouvant s'étendre bien plus encore (pages 161, 287-288) ;

- la composition de phrases sans verbe souvent situées en fin de paragraphe : « Ca me redonna comme une espèce de courage comparatif. Pas pour longtemps » (page 180) – « Moi j'avais jamais rien dit. Rien. » (page 7) ;

- l'usage inhabituel de « trépignées » car c'est une personne qui trépigne (page 127) ;

- la construction « Après gentille comme t'as été avec moi » (pages 408-409) pour « Après que tu aies été si gentille avec moi ».

Céline recourt aussi aux transcriptions phonétiques : « J'pense plus à rien » (page 47) – « J'ai beau y dire et y redire » (page 107) – « Y regardent pas eux » (page 107) – « T'élèves des lapins à présent? » (page 304).

La liberté de la syntaxe produit des effets comiques :

- à propos de Lola : « Dès que je cessais de l'embrasser, elle y revenait » ; on croit que c'est aux baisers qu'elle revenait, mais la suite nous détrompe : « je n'y coupais pas, sur les sujets de guerre » (page 52) ;

- à propos de Musyne : « Des militaires terrestres la ravissaient à tour de bras, des aviateurs aussi » (page 77) ;

- elle mettait le récit de ses prétendus exploits guerriers « dans un certain lointain dramatique» alors que « nous demeurions nous combattants, en fait de fariboles [...] grossièrement temporaires et précis » (page 80) ;

- que n'aurais-je pas donné « pour avoir, par exemple, quand c'était si facile, prévoyant, volé quelque chose? » (page 15)

Céline, poussant plus loin les tendances de la langue populaire, forge des phrases qui paraîtront orales bien que nul n'en ait jamais entendu l'équivalent : « Je me pensais que j’aurais bien voulu le voir ici moi » (page 12) – « une galère bien ramée » (page 181) – « ils ne cherchent pas à comprendre, eux, le pourquoi qu’on est là » (page 199) - « Je me conclus » (page 479) – « J'en ai rien remarqué aux autres » (page 480) – « on la grelottait » (page 482).

En fait, le roman n'est écrit qu'en partie dans la langue populaire : il subsiste dans le texte bien des mots, des phrases entières et parfois des suites de phrases qui sont du français écrit conventionnel et même recherché.

Cependant, le lexique de Céline n'est pas uniquement populaire : il utilise aussi le français soutenu.

Comme il était médecin, il en utilise évidemment la langue de la médecine : « coliquer » (excréter par l'anus) – « courant faradique » (courant alternatif obtenu par induction (de Faraday, physicien et chimiste britannique) (page 431) – « drastiques vitaux » (médicaments qui redonnent de la vie de façon énergique) – « excrétat » (ce qui est rejeté par l'organisme, page 282) – « gastritique » (qui souffre de l'estomac) – « grands toniques » (médicaments qui fortifient, qui stimulent l'organisme) – « métrite » (maladie inflammatoire de l'utérus) – « sérosités » (liquides organiques) – « valériane » (plante dont la racine est utilisée comme antispasmodique et calmant) – « vibrions éberthiens » (bactéries découvertes par Karl Joseph Eberth qui a, en particulier, étudié le bacille de la typhoïde, page 282).

D'autre part, l'homme cultivé qu'est Bardamu utilise même des mots recherchés :

- « bacchanales » : danses tumultueuses et lascives comme celles que les Anciens avaient lors des fêtes célébrées en l'honneur de Bacchus

- « barde » : poète celtique qui célébrait les héros et leurs exploits (page 100)

- « bayadères » : danseuses sacrées de l'Inde

- « bénignités » : propos bénins, doux, sans importance (page 213) ;

- « cautèle » : prudence rusée, défiance, rouerie (page 210)

- « croisade apocalyptique » : guerre fanatique qui va conduire à la fin du monde décrite dans ‘’l'Apocalypse’’ (page 14)

- « garenne » : étendue boisée où les lapins vivent à l'état sauvage (page 24)

- « immondice » : chose sale, impureté, déchets, ordures (page 210)

- « lyriser » : création de Céline qui signifie « rendre lyrique, exaltant, passionnant » (page 218) ;

- « odorer » : verbe rare, employé élogieusement par des poètes, péjorativement par Céline (page 239) ;

- « presse » : multitude de personnes réunies dans un petit espace (page 117)

- « roman de geste » : on dit d'habitude « chanson de geste » (la geste étant l'ensemble des poèmes épiques du Moyen Âge relatant les exploits d'un même héros )

- « sociophile » : qui aime la société, l'humanité (page 83)

- « Titiennes » : des femmes d'un blond vénitien, c'est-à-dire tirant vers le roux et telles qu'on en trouve sur les toiles du peintre vénitien du XVIe siècle, le Titien (page 194)

- « vétillard » : qui s'attache à des vétilles, à des détails (page 26)

- « vulnérer » : blesser (archaïsme) (page 212).

Céline peut même, dans les formules signifiant l'absurdité de la vie, rivaliser avec le discours philosophique habituel. Mais le décrochage au niveau du français populaire vient changer le ton de cette philosophie tragique : on sent « son néant individuel », on prend conscience de « tout le ridicule de notre puérile et tragique nature » pour « se déboutonner devant l'Éternité ». La vie humaine est définie en français soutenu comme « faillite » (pages 332, 482), « désarroi » (pages 435, 436), « déroute » (page 482), « débâcle » (page 435). Mais avec « débine » (page 296), « tout n'arrive à rien, la jeunesse et tout » (page 364), on avance « sur le chemin de rien du tout » (page 458), on passe de l'autre côté de la frontière linguistique qui sépare le français écrit du français populaire : les formules sont populaires par la simplicité de la métaphore, par leur gaucherie, elles expriment une lassitude ou un épuisement d'ailleurs déclarés dans le contexte de chacune.

Céline se moque des phrases des gens distingués qui sont « mal foutues et prétentieuses mais astiquées alors comme des vieux meubles [...] On a peur de glisser dessus, rien qu'en leur répondant » (page 403). Il se livre donc à la satire du discours de Princhard, de son cabotinage, de sa futilité d'intellectuel (page 67), des allusions à « l'honneur de la famille » (pages 68, 261), des propos de la bru Henrouille à l'abbé Protiste (page 343). Mais Bardamu, pour sauver sa peau sur ‘’L'Amiral-Bragueton’’, sait bien recourir à la rhétorique, le temps de retourner la situation.

Céline se moque aussi de l'accent que les gens distingués gardent, même quand ils affectent de parler une langue populaire, cet accent qui a « comme un petit fouet dedans, toujours, comme il en faut un, toujours, pour parler aux domestiques » (page 403).

Cependant, sa syntaxe n'est pas toujours incorrecte. La première phrase commence par un passé composé, mais le passé simple, qui n'est pas employé à l'oral, ne tarde pas à réapparaître : « C'est tout à fait comme ça ! que m'approuva Arthur » (page 10). On trouve même l'imparfait du subjonctif : « D'où qu'ils provinssent décidément, ils ne pensaient qu'à cela » (et non à « ça ») (page 86).

Il va jusqu'à des coquetteries :

- « mander licence de », formulation de style archaïque pour « demander la liberté de » qu'il emploie pour se moquer de « la belle subventionnée de la Comédie » (page 98) ;

- « Voisines, de fort agréables candidates au dîner comme moi ne me disaient mie » : ce qui signifie « ne me disait rien », « mie » étant une ancienne particule de négation (page 206) ;

- « croustille, endémique, l’odeur des guerres » : l'emploi du verbe « croustiller » qui signifie « croquer sous la dent » est étonnant dans le cas d'une odeur (page 240) ;

- « Je l'aurais cependant bien dû tenter » : l’antéposition du pronom complément est caractéristique de la langue classique (page 262) ;

- « Il me souvient » : construction archaïque et recherchée (page 360) ;

- « Il fréquentait chez lui » : construction archaïque et recherchée (page 360).

Cette langue, qu'elle soit populaire

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