L'Homme Est-Il Un Document Comme Les Autres ?

lise Marmion • Théories de la communication • Master 1 CRDM •Université Paris X

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Cependant, Jean-Michel Salaun, directeur de l’EBSI2 à Montréal explique qu’au fil des siècles se sont rajoutées à la notion de documents deux fonctions essentielles : transmettre et prouver3 . Selon cette conception, on peut considérer l’homme comme un document puisqu’il est effectivement capable d’externaliser sa mémoire sur tout type de support afin de transmettre son savoir. Par ailleurs, l’homme peut être lui-même porteur d’informations qui servent de preuves dès lors qu’il est observé (par exemple, en médecine, ou en anthropologie). Cela devient aussi le cas sur internet, puisque l’homme centralise une partie de son activité sur une plateforme surveillée : le web, et devient ainsi un objet observable. Par ailleurs, on peut considérer que grâce aux nouvelles technologies, on assiste à une virtualisation des individus : au travers d’identités virtuelles comme un avatar dans un réseau social numérique ou au travers d’un pseudonyme. Or, il reste à déterminer dans quelle mesure peut-on considérer ces autres identités virtuelles comme de véritables prolongations fidèles de l’identité d’un être humain ? En effet, ces identités peuvent être fausses, falsifiées, manipulées. Rien n’assure qu’elles représentent fidèlement celui qu’elles désignent. Pourtant, si ces autres identités numériques reflètent même partiellement un individu authentique, alors cette analogie surprenante entre un homme et un document mérite réflexion. D’ailleurs, c’est particulièrement frappant sur les réseaux sociaux. Ils développent en effet une sorte de catalogue humain dont nous fournissons nous-mêmes le contenu en nous identifiant à toute une production documentaire (photos, vidéos, renseignements personnels) que nous jugeons à même de refleter notre identité. L’homme serait-il passé d’un sujet-acteur à un objet-documentaire ? Olivier Ertzscheid, maître de conférence en sciences de l’information-communication est l’auteur d’un article « L’homme est un document comme les autres »4. Il explique notamment que les membres de notre société mettent la documentation au centre des processus sociaux. Ils pratiquent l’égodocumentation sur les informations qui les concernent. Ils échangent de la documentation avec les autres membres, et ce sont la réciprocité des

Carré sémiotique de nos identités documentaires

2 EBSI : Ecole de bibliothéconomie et des sciences de l’information 3 http://blogues.ebsi.umontreal.ca/jms/index.php/post/2010/01/02/Suis-je-un-

document

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http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/37/74/57/PDF/articledefOE.pdf

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informations divulguées qui créent les groupes sociaux, par affinités sexuelles, politiques, religieuses. Enfin, cet égo-documentation et cet inter-documentation entre les membres provoquent un besoin d’alter-documentation ; c’est-à-dire le besoin de partager ces documents, de les voir circuler et de se réapproprier des documents en provenance d’autrui (schéma ci-dessus). De plus, les risques liés à ces pratiques de documentarisation sont encore plus importants aujourd’hui puisqu’elles sont utilisées par les entreprises, à des fins managériales lorsque cela concerne les employés ou alors économiques lorsqu’il s’agit d’identifier une clientèle pour mieux cibler les offres publicitaires. De plus, les informations sont «redocumentarisées»5 . Cela amène le producteur initial à perdre le contrôle de ses propres données, tant dans leurs finalités que leurs contenus en permanence redéfinis. Ainsi, toutes nos traces sur le web sont indexées quel que soit leur nature et ensuite revendues comme des marchandises. La documentation des individus : une entrave à la liberté humaine L’indexation numérique des individus pose un grave problème puisque toute trace déposée sur la toile est irreversible. De ce fait, nous ne sommes plus maîtres de l’identité numérique que nous développons. Pire encore, le processus de traçabilité est si complexe qu’il se forme le plus souvent à notre insu, sans même que nous ayons conscience de ce que nos actions sur le web révèlent ou construisent parfois faussement de notre identité. En effet, les traces que nous laissons sur le web ne sont pas nécessairement représentatives de ce que nous sommes vraiment. Mais ce qui intéressent les industriels et les gouvernements, ce n’est pas ce que nous sommes, mais ce que nous faisons. Leur objectif est d’anticiper nos comportements sur le web, en tant que consommateurs, activistes mais aussi en tant que terroristes pour mieux nous convaincre et nous soumettre à leurs intérêts. Par ailleurs, nous sommes également tracés tout au long de nos activités quotidiennes dès lors que nous utilisons des machines de traitement d’information (borne de contrôle de tickets, achat par carte bleue, tickets de courses). Ainsi, la plupart de nos activités sont contrôlées, stockées et utilisées sans le savoir. L’homme doit pouvoir choisir d’être un document, contrairement aux autres Pourtant, l’homme n’est pas du tout un document comme les autres, dans la mesure où il doit pouvoir être libre de choisir quelles informations il souhaite communiquer, où, quand, dans quel contexte et à qui elles doivent être destinées. Ainsi, plutôt que d’anonymiser toutes nos données ou de rejetter totalement notre indexation sur le web, il s’agit au contraire de s’en

5 Définition de «redocumentariser» : Redocumentariser, c’est documentariser à nouveau un document ou une collection en

permettant à un bénéficiaire de réarticuler les contenus sémiotiques (la suite de la définition sur : http:// affordance.typepad.com/mon_weblog/2011/04/eloge-de-la-redocumentarisation.html)

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emparer pour en reprendre le contrôle. Pour cela, il est nécessaire que nous produisions notre documentation de manière intentionnelle et maîtrisée afin de rendre notre traçabilité plus cohérente avec

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