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Passions Et Philosophie

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ssions est l’une de celles où la philosophie se trouve amenée à réfléchir à ce qui la nie, à ce contre quoi elle doit lutter pour se poser, à ce qui constitue donc son opposé. Dans la mesure où elle se définit par rapport à la raison, non seulement en tant qu’elle use de la raison, mais encore en tant qu’elle se rapporte rationnellement à la raison, elle se trouve nécessairement confrontée à ce qui s’oppose à la raison ou à ce qui lui reste étranger. En effet, la philosophie ne trouve pas la raison toute donnée, déjà accomplie et parfaitement définie, de telle manière qu’elle n’aurait qu’à s’en saisir ou à s’y soumettre, comme si elle était une voix qui pouvait parler sans l’action du philosophe et qu’il lui suffise d’écouter. En tant que la connaissance ou la sagesse n’est pas donnée, mais qu’elle doit être cherchée, et cela de manière autonome, il se pose pour le philosophe la question de la définition de la raison elle-même, et par conséquent de sa délimitation. Or les limites de la raison apparaissent sur le fond de ce qui n’est pas elle. Ce fond peut apparaître sous différentes figures, telles que celles de la réalité brute, de l’imagination, de la foi, ou, justement, celle des passions. Mais si c’est par confrontation entre la raison et ce qui n’est plus elle que la philosophie peut se poser, alors, en tant que les passions sont des forces qui s’exercent en nous et qui tendent à contredire la raison, c’est aussi à travers une sorte de lutte contre elles, semble-t-il, que la raison doit se définir et dessiner elle-même ses limites.

Par conséquent, dans l’effort pour distinguer la raison des passions et établir entre elles une frontière, c’est bien la question de la définition de la philosophie elle-même qui se pose, dans la mesure où l’activité philosophique est rationnelle et implique cette séparation.

On dit que la philosophie peut s’exercer à propos de n’importe quel objet, et c’est probablement vrai. Mais on constate pourtant qu’elle a des objets privilégiés. Et parmi ceux-ci, les passions, bien que souvent elles ne soient considérées que dans un cadre plus général, principalement dans les réflexions de caractère moral. Pourquoi les philosophes s’intéressent-ils donc aux passions ? Si l’on en croit l’opinion commune, c’est pour s’en libérer. Et cette opinion n’est pas seulement celle de ceux qui n’ont qu’une idée extérieure de la philosophie, mais également celle de beaucoup de ceux qui pratiquent cette discipline. Les moralistes utilisent souvent l’image d’une lutte entre la raison et les passions, qui représente la lutte du bien et du mal en nous. On se représente alors la vie morale comme une guerre constante entre une faculté bonne, la raison, et des tendances mauvaises, les passions, les deux partis du bien et du mal cherchant à convaincre ou à séduire notre volonté. Il va de soi, dans cette représentation, que l’attitude morale consiste à n’écouter si possible que la raison, qui donne toujours les meilleurs conseils, de la renforcer en soi, de la rendre aussi active que possible, tandis qu’on cherche de l’autre côté à faire taire les passions et à les affaiblir pour les soumettre au gouvernement de la raison. Dans cette perspective, l’opposition de la raison et des passions est donc celle qu’on peut se représenter entre les facultés du bien et du mal. Et de nombreuses morales, différentes entre elles, partagent ce point commun qu’elles se représentent la vie morale sous la forme d’une telle lutte entre la raison et les passions, dans laquelle l’enjeu est la soumission de l’une des facultés à l’autre, et, selon l’issue de la lutte, la victoire du bien ou du mal en nous.

Être moral revient donc principalement à être raisonnable, tandis que tout abandon aux passions éloigne de la voie droite et juste. Or, que cette morale de la raison soit fondamentalement celle de la philosophie, cela se voit à plusieurs caractéristiques. D’abord, le choix de la raison comme faculté directrice est généralement celui qui fonde justement la philosophie. Par opposition aux autres, le philosophe est celui qui lie connaissance et action, et qui, par conséquent, cherche des justifications rationnelles à tout ce qu’il fait. Il est celui qui se voue à la critique, qui accepte de tout remettre en question, qui fait de la discussion argumentée le mode de rapport principal entre les hommes, et même de l’individu avec lui-même. Bref, puisque la critique, l’examen de toutes choses, la discussion soumise aux règles de la logique sont des caractéristiques de la raison, le choix de la raison est celui de la philosophie aussi bien. En outre, le terme de passion indique un autre aspect de cette lutte, qui permet de voir comment l’image est liée avec celle de la philosophie. En effet, le terme par lequel nous désignons les passions met en évidence la passivité qui leur est liée. Cela ne veut pas dire évidemment que les passions elles-mêmes ne soient pas actives, car dans ce cas, elles ne pourraient entreprendre une lutte contre la raison, ni la mettre en danger. Il faut comprendre que les passions sont nos passions, c’est-à-dire que c’est l’homme sujet aux passions qui est passif en elles. Et s’il est passif, c’est parce que, dans les passions, quelque chose d’étranger à lui agit en lui. Peu importe quelle est la chose extérieure qui est censée agir en l’homme dans les passions, il reste que, emporté par les passions, l’individu n’est plus tout à fait lui-même, mais qu’il est soumis à des forces qui lui échappent ultimement. C’est ainsi qu’on dit de quelqu’un qui agit sous un fort accès passionnel qu’il est hors de lui. C’est ainsi aussi qu’on dit de ceux qui font des passions les principes de leur conduite qu’ils sont les esclaves de leurs passions. En revanche, la raison est considérée comme la caractéristique essentielle de l’homme, en tant qu’il est l’animal raisonnable, et par conséquent, elle est ce en quoi l’homme est chez lui. Et comme dans la raison, l’homme se retrouve, c’est le lieu de son autonomie, où il s’entretient avec lui-même, de manière intime, sans avoir à consulter la nature, comme s’il pouvait se retirer dans sa raison comme dans un monde à part, à l’écart des forces extérieures, pour n’obéir qu’à sa propre logique. Or la philosophie est la recherche de la sagesse, dans laquelle, par la connaissance, et notamment la connaissance de soi, l’homme parvient à l’autonomie et au bonheur qui y est lié. Telle est l’idée commune de la philosophie et de son rapport aux passions et à la raison.

Selon cette vue, dans laquelle le philosophe, se confiant à la raison et la fortifiant, devient autonome et réalise son essence ou sa liberté, en se dégageant des forces qui le soumettent aux turbulences extérieures et, par conséquent, à un ordre qui n’est pas véritablement humain, il semble qu’il y ait une ligne de démarcation nette entre les passions et la raison. En quelque sorte, la lutte morale entre ces deux forces en nous ne serait qu’une affaire pratique, ou du moins telle que la pratique y joue le premier rôle, tandis que les questions de connaissance y seraient réduites à un rôle subsidiaire, adjuvant. En effet, s’il est utile dans cette conception de connaître les passions, ce n’est pas parce qu’on ne sait pas les reconnaître en les distinguant de la raison, mais parce qu’il est utile de les connaître mieux pour les déjouer. Nous serions dans la situation d’une guerre habituelle, où l’ennemi est repéré, et où il ne se confond pas du tout avec les alliés, mais où il reste utile de le connaître mieux pour savoir quelles stratégies il est susceptible de mettre en œuvre et pour les contrecarrer. La connaissance des passions — déjà reconnues et situées dans un cadre bien déterminé, du moins dans des frontières qui les mettent clairement à l’extérieur de la raison — apparaît donc comme un approfondissement d’une sorte de connaissance essentielle que nous avons d’elles, plutôt que comme la recherche de ce que pourrait être leur essence en général. Et, comme les passions sont posées justement à l’extérieur de la raison, qui est la faculté chargée à la fois de leur faire la guerre et de mener l’enquête plus approfondie sur elles pour les déjouer, on peut même dire que cette connaissance des passions se présente aussitôt comme objective, en tant qu’elles apparaissent comme des objets placés en face de la raison, voire opposés à elle.

Si tel était le cas, la question des passions pourrait rester intéressante peut-être pour le philosophe, en tant que leur connaissance fait partie de ses moyens de se libérer plus efficacement des obstacles à la réalisation pour l’homme de l’idéal d’une vie autonome et libre. Mais, plus fondamentalement, l’existence des passions ne remettrait pas en question la philosophie. Elle représenterait un obstacle pratique à surmonter, mais pas une réalité qui mettrait en question la raison en elle-même. En effet, en principe, la raison serait déjà posée dans son autonomie, elle coïnciderait avec son essence, même si elle devait encore réaliser pratiquement cette autonomie dans les philosophes particuliers. Autrement dit, du point de vue de la pure connaissance, en soi, ou en droit, les passions n’affecteraient pas la raison, même si elles pouvaient l’empêcher en fait, de manière contingente, de se réfléchir dans sa pure essence. On pourrait même admettre que le problème ne soit pas que moral, et qu’il concerne aussi la connaissance dans une certaine mesure, justement dans la mesure où la connaissance est également

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