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Stéphane Leman-Langlois - Le Modèle De Vérité Et Réconciliation

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niversité de Montréal

Le modèle “Vérité et réconciliation”

Victimes, bourreaux et institutionnalisation du pardon

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Les commissions de vérité promettent de contourner les principaux écueils qui se dressent sur le chemin des pays nouvellement démocratiques : les demandes de justice des victimes, les appréhensions des responsables (dont certains sont toujours au pouvoir), les demandes de la communauté internationale et le fragile équilibre social qui s’est installé entre les différentes factions. Bref, les attentes sont énormes, les moyens sont généralement limités, et la question la plus immédiatement évidente – sans doute la plus importante pour les gouvernements qui se proposent de suivre ce modèle dans l’avenir – est de savoir si ces commissions ont eu ou non du succès. Malheureusement, il est à ce jour impossible d’y répondre de façon définitive ou même seulement satisfaisante, parce que les données du problème à résoudre doivent rester floues pour assurer la survie des nouveaux gouvernements.

Nouvelles démocraties et précarité politique

Depuis quelques années, il semble qu’il soit de plus en plus question, dans les pays du monde qui font face aux séquelles de crises politiques et humanitaires majeures,

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Informations sociales n° 127

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Les commissions de vérité qui ont été mises sur pied dans plusieurs pays du monde visent à trouver une voie non pénale pour résoudre des conflits nationaux profonds et ayant donné lieu à des violences graves. Il s’agit d’obtenir la vérité, à défaut de pouvoir rendre justice. En certaines circonstances, les gouvernements ont également offert une compensation aux victimes. Dans quelle mesure peut-on parler de justice alternative, et comment peut-on mesurer leur succès ?

Sanctions AU-DELÀ

DE LA SANCTION

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d’instaurer ce qu’on appelle généralement une “commission de vérité”, à l’occasion en ajoutant la précision “et de réconciliation nationale” (1). Les vocations multiples de ces institutions sont souvent incompatibles, voire contradictoires, et les résultats sont difficiles à évaluer. Si l’objectif consiste à la fois à chercher la vérité et à s’assurer la réconciliation des parties, il faut s’attendre à faire face à des questions impossibles à résoudre pour la satisfaction de tous. Doit-on insister auprès de membres de certains groupes considérés comme ayant été victimes pour comprendre leur rôle dans le système qui les a opprimés ? Doit-on permettre à une commission d’émettre des citations à comparaître, de fouiller des lieux et de saisir des documents sans égard, au risque d’attiser à nouveau les cendres du conflit qu’on vient tout juste de laisser derrière ? À l’opposé, en favorisant trop la réconciliation nationale, ne risque-t-on pas de tomber dans des formes variées de négationnisme, de “désinfection” systématique de l’histoire ? Voilà le numéro d’équilibriste qu’ont tenté les politiciens sud-africains, au milieu des années 1990, avec la Commission Vérité et réconciliation (CVR – en anglais, South African Truth and Reconciliation Commission, TRC). À ce jour, la CVR est sans doute l’accomplissement maximal du modèle, à la fois par les ressources financières et humaines engagées dans le projet, par sa durée, par l’ampleur de l’époque historique visée par l’enquête et par le nombre de personnes touchées. Elle se distingue également par ses origines parlementaires : contrairement aux autres institutions du genre (en Argentine et au Chili, par exemple), la CVR fut fondée par une loi adoptée par les membres de l’Assemblée nationale d’Afrique du Sud, qui fixait aussi ses objectifs et les modalités de son fonctionnement (Promotion of National Unity and Reconciliation Act, 1995-34). En plus d’en faire une institution réellement publique, ceci permit également de donner à la commission les pouvoirs d’émettre des citations à comparaître (subpoenas) et des mandats officiels permettant à ses agents enquêteurs de fouiller des lieux et de saisir des documents (pouvoirs qui furent très rarement utilisés). Face aux auteurs d’actes jugés répréhensibles, le prin-

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Sanctions AU-DELÀ

DE LA SANCTION

Éviter la sanction : les raisons politiques et financières…

Les commissions de vérité sont généralement adoptées dans des contextes sociopolitiques extrêmement difficiles, après des hostilités généralisées, des massacres à grande échelle, des périodes prolongées d’oppression gouvernementale, etc. Ainsi, il se trouve que toutes ces commissions ont deux éléments en commun. Le premier est bien sûr que l’histoire récente du pays a été marquée par des actes auxquels on juge devoir donner une suite officielle. Le second est la fragilité perçue de l’administration de l’État. Généralement le fait d’une transition politique très récente et souvent inachevée, le gouvernement adoptant une telle institution en décide dans ce qu’on pourrait qualifier d’état de crise – même si la situation paraît tout de même relativement stable pour la population locale, qui peut, par exemple, sortir tout juste d’une guerre civile. C’est un contexte fluide et confus où se mêlent l’insécurité à la paix relative,

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cipe de fonctionnement de la Commission était celui de la carotte et du bâton. Pour briser le mur du silence, on offrirait une amnistie inconditionnelle et complète (2) à tous ceux qui viendraient de leur propre gré avouer leurs fautes, expliquer les détails de ce qui s’était passé et révéler l’identité de tous ceux qui avaient participé, en particulier ceux qui avaient donné des ordres. Pour ce qui a trait aux victimes, la logique de la CVR était qu’en contrepartie de l’extinction instantanée de tous les recours légaux produite par l’amnistie, on pourrait enfin leur offrir la vérité au sujet de ce qui était arrivé. Ici, il faut comprendre que même dans les cas où les victimes savaient déjà ce qui s’était passé, le fait que cette vérité soit reprise et proclamée par une institution officielle produisait, au-delà de la simple connaissance, la reconnaissance de leur oppression passée. Ceci était d’autant plus important pour ceux que l’ancien État avait traités de criminels et de terroristes. Enfin, la CVR était également chargée de formuler des recommandations au gouvernement sur la meilleure manière de réhabiliter et d’indemniser les victimes, incluant compensation financière, services sociaux, monuments symboliques, etc.

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Sanctions AU-DELÀ

DE LA SANCTION

… et les raisons éthiques

Un discours éthique justifiant l’abandon de l’approche pénale conventionnelle fut assez rapidement mis en

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l’espoir au pessimisme, les attentes démesurées – qui ne manqueront pas d’être déçues – à de nouveaux droits dont on saisit encore mal la portée. En Afrique du Sud, le premier projet de loi de la CVR fut soumis à l’Assemblée nationale quelques semaines à peine après l’inauguration du premier gouvernement démocratique (sur la conception du projet, voir Boraine et Levy, 1995). Le gouvernement nouvellement formé faisait face à une crise sécuritaire, surtout dans la province du Kwazulu, où des affrontements politiques entre l’African National Congress (ANC) de Nelson Mandela et l’Inkatha (parti zulu local) continuaient de produire des dizaines de victimes. Peu avant les élections, des groupes d’extrême droite avaient (maladroitement) tenté de s’emparer de la province du Bophuthatswana. Ainsi, malgré les revendications de plusieurs groupes insistant pour que des procès soient tenus, surtout pour les dirigeants du Parti nationaliste (National Party), la haute direction

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