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Un Optimisme Technique Sans Illusion

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ésente pour Heidegger une perspective beaucoup plus sinistre, une menace de mort bien plus grande que toute menace de destruction physique de l’humanité par une guerre atomique »[5]. Ellul, quant à lui, disqualifie la possibilité d’une culture technique et d’une coévolution de l’humain et de la technique, tant il perçoit dans le système technicien un moyen de négation radicale de la liberté humaine.

Au centre de ces évaluations tranchées, la philosophie de la technique, en sa phase moderne, nous offre une exception dans l’approche du rapport de la technique à l’homme, à la culture et à la nature. Cette exception est le discours simondonien. La réévaluation de la relation homme-objets techniques prend, chez Simondon, la forme d’un optimisme sans illusion que nous nous proposons d’examiner à partir de la problématique suivante: quel est le fondement de la réévaluation optimiste des techniques opérée par Gilbert Simondon ? Cette nouvelle approche des relations homme-objets techniques n’est-elle pas une technophilie effrénée ? Si non, en quoi l’optimisme technique simondonien est-il sans illusion ?

Une approche critique de cette problématique peut partir d’une double hypothèse : d’une part, la technique est une cristallisation en structures fonctionnelles des faits, des gestes et des volontés humaines, d’autre part, l’aliénation technique résulte moins du mode d’existences des objets techniques que de l’incapacité des cultures closes à s’approprier l’avenir de l’humain caché dans le processus de concrétisation de la RDTS[6].

I-LA TECHNIQUE, UNE RÉALITÉ HUMAINE

Le tournant décisif amorcé par la technique moderne a suscité une levée de boucliers contre les objets techniques en général et contre les objets techniques modernes en particulier. Ainsi, nombre de penseurs qui réfléchissent sur les techniques modernes ont vu en elles une époque de l’oubli de l’être, d’aliénation de l’homme et d’arraisonnement de la nature. Jacques Dufresne affirme à cet effet que « nous sommes esclaves de la technique, incapables donc de la penser dans la mesure où nous entretenons en nous l’illusion de la contrôler »[7]. La technique moderne serait-elle alors incontrôlable par les penseurs, par les chercheurs et surtout par les différentes cultures closes ?

La réponse à cette interrogation ne se fait pas attendre. Les discours misotechniques, insistant sur l’enchaînement de l’homme par le système technique, ne perçoivent aucune véritable lueur d’espoir, d’autant plus que, selon Heidegger, « nous demeurons partout enchainés à la technique et privés de liberté »[8]. Même la perception de l’élément du salut ne signifie pas pour autant que nous sommes sauvés. " Nous regardons dans le danger et dans ce regard nous percevons la croissance de ce qui sauve. Ainsi nous ne sommes pas encore sauvés. Mais (seulement) quelque chose nous demande de rester en arrêt, surpris, dans la lumière croissante de ce qui sauve »[9]. L’arrêt que nous marquons donne, certes, un espoir. Mais cet espoir est illusoire. Car l’homme ne peut pas, selon le discours misotechnique, se sauver lui-même. L’homme, dit-on, est absolument impuissant face à la provocation technoscientique. Il a besoin du secours d’une essence supérieure. Cette idée est clairement expliquée par Martin Heidegger en ces termes : « l’action humaine ne peut jamais remédier à ce danger. Néanmoins, la méditation humaine peut considérer que ce qui sauve doit toujours être d’une essence supérieure, mais en même temps apparenté à celle de l’être menacé. Peut-être alors un dévoilement qui serait accordé de plus près des origines pourrait-il faire apparaitre ce qui sauve, au milieu de ce danger qui se cache dans l’âge de la technique (moderne) plutôt qu’il ne s’y montre ? »[10] Même l’essence supérieure heideggérienne ne nous sauve pas d’autorité. Elle ne peut que faire apparaitre l’élément du salut au cœur du danger que constitue l’essence de la technique moderne.

Cette évaluation de la technique est partagée par plusieurs penseurs, quelles que soient les nuances qui subsistent dans leurs réflexions sur les techniques. Ce constat est fait par Jacques Dufresne en ces termes : « Spengler, Mumford, G. Marcel, Scheler, Ellul, Illich, Heidegger, tous ces penseurs, si différents les uns des autres à tant d’égards, ont des idées convergentes sur au moins une question : la technique. Ils reconnaissent tous que la technique constitue pour l’humanité un danger, selon l’expression du plus optimiste d’entre eux, Martin Heidegger »[11]. Tous sont aussi d’avis que le progrès technique ne peut pas se poursuivre indéfiniment sans un contrôle total.. La détresse envahit ces penseurs face au pouvoir ‘’monstrueux’’ de la technique moderne.

Cependant, avec Gilbert Simondon, l’espoir renaît. Cette renaissance est fondée en raison. Elle est liée à la réévaluation de l’essence des techniques, fussent-elles artisanales ou modernes. Concrètement, quel est le contenu de cette nouvelle approche de l’essence de la technique entreprise par Simondon ? En d’autres termes, en quoi consiste l’essence de la technique moderne, selon Simondon?

Pour Simondon, la technique en son essence est la réalité humaine. En quel sens ? Dans la pensée de Simondon, la technique, du point de vue de son essence, renferme la réalité humaine pour plusieurs raisons. D’abord, toute technique est l’œuvre d’une invention. Or l’invention est purement une œuvre humaine et non diabolique. Les sociétés, confrontées à des obstacles, soit naturels, soit matériels, soit cognitifs ou psychologiques, soit spirituels, cherchent des solutions. Ainsi, la raison humaine se met en mouvement, en activité. Ce qui provoque la fabrication de l’objet technique. Face donc aux obstacles, l’univers mental de l’inventeur se met à bouillonner d’idées. Ces idées vont s’interconnecter pour donner des schèmes techniques dans l’entendement de l’inventeur. C’est donc comme idée qui préexiste dans l’entendement de l’inventeur que la technique renferme une réalité humaine. Chaque « objet technique s’enracine (toujours) dans un certain schème de fonctionnement»[12].

La deuxième raison pour laquelle Simondon estime que c’est la réalité humaine qui constitue l’essence des objets techniques est le fait que tout objet technique est la matérialisation, la concrétisation d’un faisceau de volontés humaines. Il n’existe point d’objet technique qui n’exprime pas une volonté humaine. La voiture est inventée pour le transport par exemple, le téléphone de son côté obéit à la volonté de communiquer. Même les techniques les plus ordinaires sont traversées par des volontés et des intentions humaines. Le stylo à bille que je tiens en main a été inventé pour transcrire les idées, le savoir, là où l’imprimerie répond à la volonté de conserver les pensées, permettant ainsi à la mémoire de se décongestionner. Pascal invente la machine à calculer avec la ferme volonté de libérer la raison des tâches mécaniques pour qu’elle consacre plus de temps à la spéculation. Mais, une fois l’objet technique inventé, l’utilisateur peut lui associer d’autres volontés. Certes, le téléphone obéit à la volonté de communiquer, mais, l’utilisateur peut en faire un objet servant à déclencher une bombe à distance.

La troisième raison qui fait de l’objet technique une réalité humaine est l’idée selon laquelle tout objet technique renferme un ensemble de faits et de gestes humains qui sont cristallisés en structures fonctionnelles. À ce sujet, Simondon fait cette déclaration novatrice : « ce qui réside dans la machine (comme dans tout objet technique) c’est la réalité humaine du geste fixé en structures qui fonctionnent »[13]. Les machines qui ont fait la grandeur et la puissance de l’industrie occidentale sont des objets dans lesquels on a su imprimer des gestes qui autrefois étaient purement humains. Le cas des robots est plus qu’édifiant.

En effet, dans ces machines, l’inventeur a pris soin d’imprimer, de cristalliser un ou plusieurs gestes qui, au cours du fonctionnement de l’objet technique, conduiront à accomplir des actions très précises. De là, Hottois, commentant la pensée de Gilbert Simondon, peut affirmer que la technique, bien analysée, est intrinsèquement humaine et humaniste. Certains objets techniques sont inspirés de l’organisme humain qui, dès lors, est posé comme un modèle, comme un archétype. Les mains ont inspiré la fabrication des pinces mécaniques. Les yeux sont des modèles naturels des jumelles et les dents pour les prothèses dentaires.

Pour Simondon, la technique est aussi proche de l’homme en ce qu’elle est un projet. Le projet fondateur de l’objet technique est un acte de réflexion, une construction de l’esprit humain qui veut prolonger les organes de l’homme. Cette idée à laquelle adhère Simondon fut celle d’Aristote et de Kapp. En effet, pour Aristote, la fonction précède l’organe et l’objet technique. En ce sens, la technique vient étendre et accroître les possibilités de l’organisme humain. Même Karl Marx, qui est un dénonciateur du progrès technique, reconnaît la dimension spécifiquement humaine de la technique. Marx distingue les opérations effectuées par certains animaux des inventions techniques. Alors que les opérations animales sont soudaines et instructives, la

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