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Atala

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age, qui devait durer neuf ans. Je me proposais de traverser tout le continent de l'Amérique septentrionale, de remonter ensuite le long des côtes, au nord de la Californie, et de revenir par la baie d'Hudson, en tournant sur le pôle [M. Mackenzie a depuis exécuté une partie de ce plan. (N.d.A.)] . M. de Malesherbes se chargea de présenter mes plans au gouvernement, et ce fut alors qu'il entendit les premiers fragments du petit ouvrage que je donne aujourd'hui au public. La révolution mit fin à tous mes projets. Couvert du sang de mon frère unique, de ma belle−soeur, de celui de l'illustre vieillard leur père, ayant vu ma mère et une autre soeur pleine de talents mourir des suites du traitement qu'elles avaient éprouvé dans les cachots, j'ai erré sur les terres étrangères, où le seul ami que j'eusse conservé s'est poignardé dans mes bras [Nous avions été tous deux cinq jours sans nourriture. Tandis que ma famille était ainsi massacrée, emprisonnée et bannie, une de mes soeurs, qui

devait sa liberté à la mort de son mari, se trouvait à Fougères, petite ville de Bretagne. L'armée royaliste arrive ; huit cents hommes de l'armée républicaine sont pris et condamnés à être fusillés. Ma soeur se jette aux pieds de M. de La Rochejaquelein, et obtient la grâce des prisonniers. Aussitôt elle vole à Rennes, se présente au tribunal révolutionnaire avec les certificats qui prouvent qu'elle a sauvé la vie à huit cents hommes, et demande pour seule récompense qu'on mette ses soeurs en liberté. Le président du tribunal lui répond : Il faut que tu sois une coquine de royaliste, que je ferai guillotiner, puisque les brigands ont tant de déférence pour toi. D'ailleurs, la république ne te sait aucun gré de ce que tu as fait : elle n'a que trop de défenseurs, et elle manque de pain. Voilà les hommes dont Buonaparte a délivré la France ! (N.d.A.)] .

De tous mes manuscrits sur l'Amérique je n'ai sauvé que quelques fragments, en particulier Atala, qui n'était elle−même qu'un épisode des Natchez [Voyez la Préface des Natchez. (N.d.A.)] . Atala a été écrite dans le désert et sous les huttes des sauvages. Je ne sais si le public goûtera cette histoire, qui sort de toutes les routes connues et qui présente une nature et des moeurs tout à fait étrangères à l'Europe. Il n'y a point d'aventure dans Atala. C'est une sorte de poème [Je suis obligé d'avertir que si je me sers ici du mot de poème, c'est faute de savoir comment me faire entendre autrement.

Je ne suis point de ceux qui confondent la prose et les vers. Le poète, quoi qu'on en dise, est toujours l'homme par excellence, et des volumes entiers de prose descriptive ne valent pas cinquante beaux vers d'Homère, de Virgile ou de Racine. (N.d.A.)] , moitié descriptif, moitié dramatique : tout

consiste dans la peinture de deux amants qui marchent et causent dans la solitude, et dans le tableau des troubles de l'amour au milieu du calme des déserts. J'ai essayé de donner à cet ouvrage les formes les plus antiques ; il est divisé en prologue, récit et épilogue. Les principales parties du récit prennent une dénomination, comme les Chasseurs, les Laboureurs, etc. ; et c'était ainsi que dans les premiers siècles de la Grèce les rapsodes chantaient sous divers titres les fragments de l'Iliade et de l'Odyssée. Je dirai aussi que mon but n'a pas été d'arracher beaucoup de larmes : il me semble que c'est une dangereuse erreur avancée, comme tant d'autres, par Voltaire, que les bons ouvrages sont ceux qui font le plus pleurer. Il y a tel drame dont personne ne voudrait être l'auteur et qui déchire le coeur bien autrement que l'Enéide. On n'est point un grand écrivain parce qu'on met l'âme à la torture. Les vraies larmes sont celles que fait couler une belle poésie ; il faut qu'il s'y mêle autant d'admiration que de douleur. Préface de la première édition d'Atala 7

Atala C'est Priam disant à Achille : Andros paidojonoio poti atoma ceir oregesqai. Juge de l'excès de mon malheur, puisque je baise la main qui a tué mon fils. C'est Joseph s'écriant : Ego sum Joseph, frater vester, quem vendidistis in Aegyptum. Je suis Joseph, votre frère, que vous avez vendu pour l'Egypte. Voilà les seules larmes qui doivent mouiller les cordes de la lyre. Les Muses sont des femmes célestes, qui ne défigurent point leurs traits par des grimaces ; quand elles pleurent, c'est avec un secret dessein de s'embellir. Au reste, je ne suis point, comme Rousseau, un enthousiaste des sauvages, et, quoique j'aie peut−être autant à me plaindre de la société que ce philosophe avait à s'en louer, je ne crois point que la pure nature soit la plus belle chose du monde. Je l'ai toujours trouvée fort laide, partout où j'ai eu occasion de la voir. Bien loin d'être d'opinion que l'homme qui pense soit un animal dépravé, je crois que c'est la pensée qui fait l'homme. Avec ce mot de nature on a tout perdu. Peignons la nature, mais la belle nature : l'art ne doit pas s'occuper de l'imitation des monstres. Les moralités que j'ai voulu faire dans Atala sont faciles à découvrir : et comme elles sont résumées dans l'épilogue, je n'en parlerai point ici, je dirai seulement un mot de Chactas, l'amant d'Atala. C'est un sauvage qui est plus qu'à demi civilisé, puisque non seulement il sait les langues vivantes, mais encore les langues mortes de l'Europe. Il doit donc s'exprimer dans un style mêlé, convenable à la ligne sur laquelle il marche, entre la société et la nature. Cela m'a donné quelques avantages, en le faisant parler en sauvage dans la peinture des moeurs, et en Européen dans le drame de la narration, Sans cela il eut fallu renoncer à l'ouvrage : si je m'étais toujours servi du style indien, Atala eût été de l'hébreu pour le lecteur. Quant au missionnaire, c'est un simple prêtre qui parle sans rougir de la croix, du sang de son divin Maître, de la chair corrompue, etc. ; en un mot, c'est le prêtre tel qu'il est. Je sais qu'il est difficile de peindre un pareil caractère sans réveiller dans l'esprit de certains lecteurs des idées de ridicule. Si je n'attendris pas, je ferai rire : on en jugera. Il me reste une chose à dire : je ne sais par quel hasard une lettre que j'avais adressée à M. de Fontanes a excité l'attention du public beaucoup plus que je ne m'y attendais. Je croyais que quelques lignes d'un auteur inconnu passeraient sans être aperçues ; cependant les papiers publics ont bien voulu parler de cette lettre [Voyez cette lettre à la fin du Génie du Christianisme. (N.d.A.)] . En réfléchissant sur ce caprice du public, qui a fait attention à une chose de si peu de valeur, j'ai pensé que cela pouvait venir du titre de mon grand ouvrage : Génie du Christianisme, etc. On s'est peut−être figuré qu'il s'agissait d'une affaire de parti, et que je dirais dans ce livre beaucoup de mal de la révolution et des philosophes. Il est sans doute permis à présent, sous un gouvernement qui ne proscrit aucune opinion paisible, de prendre la défense du christianisme. Il a été un temps où les adversaires de cette religion avaient seuls le droit de parler. Maintenant la lice est ouverte, et ceux qui pensent que le christianisme est poétique et moral peuvent le dire tout haut, comme les philosophes peuvent soutenir le contraire. J'ose croire que si le grand ouvrage que j'ai entrepris, et qui ne tardera pas à paraître, était traité par une main plus habile que la mienne, Préface de la première édition d'Atala 8

Atala la question serait décidée. Quoi qu'il en soit, je suis obligé de déclarer qu'il n'est pas question de la révolution dans le Génie du Christianisme : en général, j'y ai gardé une mesure que, selon toutes les apparences, on ne gardera pas envers moi. On m'a dit que la femme célèbre [Madame de Staël. (N.d.A.)] dont l'ouvrage formait le sujet de ma lettre s'est plainte d'un passage de cette lettre. Je prendrai la liberté de faire observer que ce n'est pas moi qui ai employé le premier l'arme que l'on me reproche et qui m'est odieuse ; je n'ai fait que repousser le coup qu'on portait à un homme dont je fais profession d'admirer les talents et d'aimer tendrement la personne. Mais dès lors que j'ai offensé, j'ai été trop loin ; qu'il soit donc tenu pour effacé, ce passage. Au reste, quand on a l'existence brillante et les talents de Mme de Staël, on doit oublier facilement les petites blessures que nous peut faire un solitaire et un homme aussi ignoré que je le suis. Je dirai un dernier mot sur Atala : le sujet n'est pas entièrement de mon invention ; il est certain qu'il y a eu un sauvage aux galères et à la cour de Louis XIV ; il est certain qu'un missionnaire français a fait les choses que j'ai rapportées : il est certain que j'ai trouvé dans les forêts de l'Amérique des sauvages emportant les os de leurs aïeux et une jeune mère exposant le corps de son enfant sur les branches d'un arbre. Quelques autres circonstances aussi sont véritables, mais comme elles ne sont pas d'un intérêt général, je suis dispensé d'en parler. Avis sur la troisième édition d'Atala. J'ai profité de toutes les critiques

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