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Etude Moderato Cantabile

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xplique le couple détruit; mais c’est le couple détruit qui rend possible ce qui se produit chez les vivants: la découverte et l’expérience d’une certaine forme de passion fascinée par la mort.” L’ensemble du récit repose sur cette “superposition variable de deux plans” ; l’univers modéré et rassurant de la bourgeoisie qu’illustrent les leçons hebdomadaires de piano, est opposé à l’univers triste, voire misérable du prolétariat dont est issu Chauvin et que nous découvrons au coucher du soleil, avec le retour des ouvriers épuisés. Le drame indécent et tragique du désir et de la passion charnelle unissant le couple inconnu, donne plus de vigueur à l’expérience intime qui déchire les âmes des deux interlocuteurs, mais cette fois il a lieu en profondeur, sur le plan intérieur, pressenti et donc invisible. La nature des propos échangés entre ceux-ci souligne l’opposition entre le désir nullement voilé qu’éprouve Chauvin et la faim sexuelle jamais avouée dont est proie Anne Desbaresdes.1 “Telle est donc la composition savante et efficace de Moderato Cantabile. Jamais la romancière n’avait mieux associé l’événement extérieur et l’événement intérieur qui sont les deux pôles de plusieurs de ses récits, ni si bien mis en valeur le rôle que le destin des autres peut jouer dans notre vie. Jamais surtout n’avait été plus clair et plus motivé son refus de la psychologie.” “Marguerite Duras se propose de nous faire épouser une aventure telle qu’elle est vécue: dans le secret de l’être. (...)/ Ce que Moderato Cantabile rend

1. Brisant l’atmosphère paisible de la leçon de piano à laquelle Anne Desbaresdes, épouse d’un jeune industriel, avait accompagné son enfant comme d’habitude, un cri éclate au café tout proche, juste au milieu de la sonatine de Diabelli, dont l’ouvrage porte le nom. Un homme venait d’assassiner sa compagne, avant de se jeter à son cou dans une étreinte passionnée. Étrangement bouleversée par ce drame, Anne ne put s’empêcher de pénétrer dans le café, tentant de découvrir les véritables raisons du meurtre. Elle y rencontra Chauvin, témoin du crime, et la conversation s’engagea. Anne se rendrait alors au café, à peu près à la même heure, le lendemain et les jours suivants. L’aventure singulière du roman se réduit à cinq conversations entretenues par les deux êtres dans l’espace d’une dizaine de jours. Anne et Chauvin vont essayer de refaire sous nos yeux l’itinéraire du couple tragique au point que — au moment de leur séparation — ils auraient déjà vécu virtuellement le drame qu’ils imaginèrent. 204 AS/SA

Moderato Cantabile de Marguerite Duras

admirablement sensible c’est que pour Marguerite Duras, aimer et désirer jusqu’à vouloir mourir n’est pas une réalité qu’on raconte ou qu’on analyse du dehors, mais une expérience qu’on ne peut comprendre qu’en la vivant.” Il serait néanmoins à noter que cette superposition entre les deux plans opposés entraîne l’un à se métamorphoser graduellement pour se confondre dans l’autre. La passion de Chauvin et Anne se confond parfaitement avec la fin du récit, avec le drame qui les a, au départ, rapprochés. Le décalage allant décroissant va finir par unir l’hypothèse et la découverte. L’explication du crime et l’expérience intime coïncident vers la fin pour se confondre exactement. “Le progrès de la passion chez Anne et Chauvin devient perceptible au lecteur non pas direcxtement (ce qui serait le déformer, le priver de sa réalité tout intérieur), mais par la compréhension croissante qu’ils manifestent à l’égard du couple détruit.” C’est alors que se dessine, sous les yeux du lecteur, ce mouvement dont l’œuvre constitue une véritable quête, “le mouvement vers l’autre, vers le... sortir de soi, si tu veux, se fondre dans.” Nous avons consacré la première partie du présent travail à l’analyse des divers plans ambigus, entraînant le lecteur habilement sur la voie d’une décroissance progressive de ce décalage, jusqu’à l’aboutissement de l’œuvre — la fusion parfaite des deux clans opposés. Il s’agit notamment des structures profondes de l’action. Nous avons de même cru indispensable de joindre à l’étude des parcours actantiels, celle des modes de narration. Or, selon Genette, “les deux principaux continents de l’univers littéraires” sont la fiction et la diction. Il fallait donc se pencher sur le caractère esthétique caractérisant les écrits durassiens. Une partie à part traite de ce contraste entre la parole et le sentiment, entre le verbe et l’indicible, entre l’éloquence et le silence qui constitue à proprement parler, le véritable pivot autour duquel tourne le récit; la pierre de touche sur laquelle se tisse l’intrigue. Or, c’est par certains procédés d’argumentation utilisés par les deux interlocuteurs que leur conversation nous entraîne vers la découverte de leur intimité. Enfin, une dernière partie est réservée à la rhétorique figuratique et son rôle persuasif. Nous découvrons alors comment Anne Desbaresdes représente l’éloquence de ce qui est tu, du non dit, alors que Chauvin, lui, dirigeant leur dialogue “avec habileté et ténacité”, réussira à “l’accoucher” de la vérité qui est en elle et “qu’elle se refuse à admettre ou à dire”. “De se dérouler entièrement dans la profondeur des corps et le secret des cœurs, cette aventure charnelle prend une intensité poignante.”

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Liliane AYAD

Comme dans tout roman, l’action de “Moderato Cantabile” a lieu dans une durée bien déterminée. La saison d’abord, c’est l’été “dont la lourde chaleur favorise l’explosion du drame, et qui est explicitement associé par l’auteur à des idées de pourrissement et de mort.” Anne Desbaresdes s’élance dans sa quête, éveillée par le meurtre qui a lieu dans le café. Mais ce n’est que progressivement qu’elle parviendra à découvrir la réalité du drame, celle du moins dont elle sera convaincue grâce à la version de Chauvin. “Marguerite Duras se plaît à évoquer, et avec un égal souci de poésie les moments d’attente et d’immobilité d’un être recueilli au milieu d’une (scène) gorgée de chaleur et d’été.” De plus, tout se passe en fins d’après-midi, aux crépuscules, quand la ville s’allume de toutes ses lumières. Tout au long des cinq rencontres entre Anne et Chauvin, l’accélération du temps et l’urgence, cette urgence de découvrir la vérité, rappelle à l’attention des lecteurs l’importance de ces entrevues. Elles ont lieu à la même heure; et “la progression du temps et la succession des minutes” sont soigneusement soulignés chaque fois. Au début, le couple perçoit la sirène des usines indiquant la fin d’une journée de travail, à six heures. Quelques minutes après, c’est le déferlement dans le café, des ouvriers épuisés. Et, les rencontres s’achèvent au moment bien déterminé où le soleil se couche. A cette urgence de vivre rendue plus accrue par la fuite du temps s’oppose la pesanteur, la lenteur dont est dépeinte la soirée dans la demeure bourgeoise, où il paraît que la relation entre le maître de la maison et son épouse Anne Desbaresdes est dépourvue de toute intimité. Il en ressort évidemment une lumière quant à la valeur du temps, son caractère fragile aux yeux des amoureux. “Il suffira en effet apparemment de dix jours, et de cinq rencontres qui les réunissent, pour que le couple présent parcoure le cheminement moral qui avait (...) conduit les deux amants tragiques au seuil de la mort.’ En outre, l’aventure de notre couple coïncide avec l’époque de la floraison des magnolias. Anne a l’habitude d’en porte une à son corsage lors des dîners organisés chez elle. Elle aura une, entre les seins, au cours de sa rencontre avec Chauvin. De cette fleur se dégage néanmoins, une odeur perçante, celle de la mort, au sein de la vie. “On devine dès lors quel symbolisme Marguerite Duras a délibérément associé à la fleur de magnolia. Si son épanuissement représente toute l’aspiration à la vie, la bouffée de sensualité et le désir de bonheur (...) son flétrissement rapide suggère, parallèlement au coucher de soleil qui préside à la fin de chacune des rencontres, la progression dramatique du temps et l’approche inéluctable de la mort.”

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Moderato Cantabile de Marguerite Duras

Le lieu de l’action s’avère alors d’une grande importance. Se déroulant dans une ville portuaire, la mer représente l’ailleurs, l’espace ouvert sans fin, symbole de la liberté. La mer c’est aussi le port; l’activité des hommes, le travail laboureux qui éloigne le vice et le vainct. Une ligne de démarcation se trace cependant, car les rencontres du couple ont lieu dans un espace clos. Le café reflète la contrainte de l’amour et le vin qu’on y sert nous rappelle l’immoralité. “Le cadre de vie et les états d’âme se mêlent, renforçant l’équivalence construite entre la situation spatiale et la situation affective.” Situé au centre de la ville, le café est à mi-chemin séparant les quartiers populaires dont les hommes travaillent dans le port et les usines, du quartier résidentiel “bourgeois”, habité par les propriétaires des usines et leur famille. Entre ces deux extrêmes, le café, lieu facilitant les relations de connivence, s’oppose par l’ambiance de la convivialité populaire

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