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L'Ile Des Esclaves

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sera son ancien seigneur.

La comédie larmoyante

Scène 7 : Cléanthis ordonne donc à Euphrosine de céder à l’amour d’Arlequin, meilleur parti que les anciens amants de sa maîtresse.

Scène 8 : Arlequin se lance maladroitement dans la conquête d’Euphrosine. Son entreprise déclenche les pleurs et la plainte de la jeune femme qui se voit accablée par le sort. Arlequin, ébranlé par la souffrance d’Euphrosine, en reste coi.

Scène 9 : Il se trouve ensuite en butte aux reproches de son ancien maître qui s’offusque de l’ingratitude de son valet. Arlequin, qui entend à plusieurs reprises des protestations d’amitié dans la bouche de son maître, est ému aux larmes. Il lui pardonne, reconnaît ses propres torts. À son tour Iphicrate fait grâce. Arlequin décide illico de retourner à sa condition de serviteur.

Scène 10 : Cléanthis est à son tour touchée par la générosité d’Arlequin. Iphicrate tente de convaincre Euphrosine de la sincérité des serviteurs. Elle est gagnée par l’attendrissement ambiant et reconnaît son injustice à l’encontre de sa servante.

Scène 11 : Trivelin vient conclure cette réconciliation générale. La vocation de l’île est bien vertueuse. Elle doit tout autant corriger les maîtres de leur dureté de cœur qu’apprendre la magnanimité aux serviteurs. Chacun ayant médité sur le hasard des conditions, chacun s’étant converti à la sagesse et à la bienveillance peut repartir vers Athènes réconcilié avec son semblable.

Le contexte

Artistique

Ces thèmes de l’île et du naufrage sont à la mode dans les années 1720. Qu’on en juge par la peinture du Pèlerinage à l’île de Cythère de Watteau, la publication du Robinson Crusoé de Defoe, des Voyages de Gulliver de Swift.

Philosophique

Marivaux reprend à la scène la tradition du roman utopique en vogue. Cette réflexion sociale lui tient tant à cœur qu’elle donnera deux autres pièces : L’Île de la Raison en 1727 et La Colonie en 1729.

L’île des esclaves exploite aussi le thème des Saturnales, fêtes de la Rome antique où, pendant un temps très court, les esclaves étaient libérés de leur servitude et changeaient de rôle avec leurs maîtres. Cette tradition s’est perpétuée dans le carnaval qui permet, un court moment, de lever les interdits communautaires afin de libérer dans l’anonymat les frustrations dommageables à l’ordre social.

Ainsi, dans L’île des esclaves, Marivaux réunit-il des traditions populaire et savante pour estomper l’acidité de sa critique sociale au moment où Les Lettres persanes de Montesquieu expriment une tout autre virulence sur d’autres aspects de la société française et son mode de gouvernement.

Social

Le terme d’esclave ne renvoie pas seulement à l’Antiquité mais à des réalités contemporaines bien connues des spectateurs, comme le commerce du « bois d’ébène ». Les personnes présentes savaient que les échanges triangulaires entre la France, l’Afrique et l’Amérique avaient fondé de solides fortunes qui ne voulaient pas être ébranlées.

Aussi, même avec l’excuse du mythe, appeler esclavage l’état de domesticité devait-il heurter les esprits de l’époque. C’est sans doute pourquoi Marivaux a recouru à la comédie et à la caricature afin que le spectateur ne se sentît pas trop menacé dans ses privilèges.

Le lieu utopique

Pour estomper un peu la vigueur de son propos, Marivaux a choisi non seulement le comique de situation du monde à l’envers, mais encore de placer sa critique dans un cadre utopique.

D’une part, l’utopie peut prendre corps grâce à l’éloignement dans le temps. Elle renvoie l’action dans un passé indistinct, celui de l’Athènes antique. D’autre part, dans la lignée de l’Utopia de Thomas More, le lieu prédisposé à l’accueillir est l’île. Isolée pour permettre que se développe une société en marge, mais non totalement inaccessible afin qu’elle puisse s’adjoindre de temps à autre des visiteurs étrangers, l’île constitue le laboratoire idéal qui permet de tester de nouveaux rapports sociaux. Elle prend même des allures de clinique pour restaurer les liens humains abîmés par l’indifférence, le mépris ou l’innocente cruauté. Ce lieu clos est proposé à l’observation du spectateur guidé par le seigneur des lieux, Trivelin. Ce maître de cérémonie est à la fois un expérimentateur, un pédagogue, un analyste, un thérapeute, le garant de la règle, un juge ; il possède plusieurs attributs de la divinité : l’omnipotence, la sagesse, l’omniscience, l’équité et la bonté paternelle. Tout lui est soumis, mais lui-même fait appel à l’adhésion libre de ses hôtes du moment. Tout ce qui pourrait rappeler la coercition, en particulier les anciens esclaves devenus seigneurs, apparaît seulement au début de la scène 2 pour mettre en place l’inversion des états de vie voulue par la constitution de l’île.

Marivaux a donc choisi de ne garder que deux couples symétriques et opposés, reprenant une constante de la tragédie classique : le personnage noble et son confident, devenu sous l’influence de la comédie, maître et serviteur. Ces quatre personnages, avec en leur centre le maître de cérémonie, prennent des allures de carré magique. De même, la détention qui est censée durer plusieurs mois se déroule en fait dans le temps très concentré de la représentation. Marivaux utilise à plein le lieu focal de la scène et l’épuration extrême de la convention théâtrale. Avec si peu de personnages et une intrigue minimaliste, il invite le spectateur à s’intéresser à l’essentiel : les variations du sentiment et du jugement quand surviennent les aléas du sort. Marivaux utilise donc les possibilités de l’utopie pour faire œuvre de moraliste. Avec lui, la comédie devient ici une épure rigoureuse, une forme simplifiée en même temps qu’une correction des mœurs par le rire libérateur.

Castigat ridendo mores

Dans cette forme utilisant l’esthétique de la brièveté et la virtuosité du retournement, Marivaux reprend les ambitions de la « grande comédie » qui, par le rire, prétendait instruire le public et le convertir aux valeurs de la sincérité et de la tolérance. Cet aspect est manifeste dans la deuxième partie de la pièce, l’épreuve des portraits : « Il est nécessaire que vous m’en donniez un portrait, qui se doit faire devant la personne qu’on peint, afin qu’elle se connaisse, qu’elle rougisse de ses ridicules, si elle en a, et qu’elle se corrige. »

Au cours de cet examen satirique, Marivaux établit le relevé des défauts caractéristiques tant des maîtres que des valets.

Les reproches faits aux maîtres

La paresse et la mondanité

Marivaux reproche aux aristocrates de mener une existence futile, dépensière, improductive. Leur peur de déchoir en exerçant une activité lucrative les conduit à l’inutilité sociale, à une forme de parasitisme condamnable. Aussi n’est-il pas étonnant d’entendre Trivelin admonester les futurs maîtres en ces termes : « Je vous apprends, au reste, que vous avez huit jours à vous réjouir du changement de votre état; après quoi l’on vous donnera, comme à tout le monde, une occupation convenable. »

Ces nobles sont frivoles. Euphrosine est « vaine minaudière et coquette ». Elle mène une existence superficielle dans les salons où la principale occupation est de séduire. Iphicrate est tout aussi vain, il dissipe son temps et son argent dans la conquête de jeunes beautés.

Cette vie galante est épinglée par la critique des petits maîtres et de leur fausseté. Cléanthis en brosse un portrait sans complaisance : « Il ne vous fera pas de révérences penchées ; vous ne lui trouverez point de contenance ridicule, d’airs évaporés : ce n’est point une tête légère, un petit badin, un petit perfide, un joli volage, un aimable indiscret ; ce n’est point tout cela ; ces grâces-là lui manquent à la vérité ; ce n’est qu’un homme franc, qu’un homme simple dans ses manières, qui n’a pas l’esprit de se donner des airs ; qui vous dira qu’il vous aime, seulement parce que cela sera vrai ; enfin ce n’est qu’un bon cœur, voilà tout ; et cela est fâcheux, cela ne pique point. »

L’orgueil

Les maîtres sont critiqués pour leur arrogance et leur mépris. Trivelin rappelle à Arlequin de ne pas tomber dans ce travers : « Souvenez-vous en prenant son nom, mon cher ami, qu’on vous le donne bien moins pour réjouir votre vanité, que pour le corriger de son orgueil. » L’attribut de ce pouvoir masculin impudent est l’épée. Marivaux semble vouloir critiquer la noblesse d’épée plutôt que la noblesse de robe plus affairée, plus policée et donc plus proche de ses aspirations.

Cette suffisance liée à son apparent pouvoir s’exerce dans deux domaines : l’aristocratie tutoie ses domestiques, alors que l’ancien esclave Trivelin marque son respect en vouvoyant tout le monde. Pis, le maître marque sa domination en dénommant sa domesticité comme bon lui semble. Marivaux insiste particulièrement sur cet usage. Le valet n’a pas de nom propre. Si le noble peut se rattacher à une lignée par son patronyme, le valet est en quelque sorte la propriété de son maître qui se l’approprie

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