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"Les Corbeaux", A. Rimbaud - Commentaire Composé

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ce. " Ce sont d’abord, dans le poème, les signes d’une nature hostile, « froide », d’un paysage hivernal, de « hameaux abattus », tristes dans la brume, d’une lande désolée, « défleurie » (c'est-à-dire autant dénudée de fleurs que profanée) qui fut –cela nous est suggéré au vers 14- le théâtre d’affrontements inconnus. Inconnus, car ce n’est pas explicitement que Rimbaud nous indique quelle bataille fit rage sur ce champ envahi de charognards. Ces « morts d’avant-hier » peuvent aussi bien être les soldats –Français ou Prussiens, « écarlates ou verts »- ayant succombé lors de la guerre de 70 que –encore faut-il admettre que le paysage décrit soit universel, plus lieu commun que lieu particulier- les victimes de la Semaine Sanglante, Communards écrasés par les Versaillais au printemps 1871. Ainsi, de ce poème sans date, il nous est possible d’affirmer que c’est au printemps, voire à l’été 1872 qu’il fut composé : l’expression « morts d’avant-hier » s’explique mieux un an après la fin des événements. Cette défaite militaire de la France, l’auteur l’utilise comme topos pathétique, celui du sentiment de vanité qu’éveille la contemplation d’une aire de combats, où l’omniprésence de la mort le ramène à la sienne propre et à l’oubli qui

l’attend. Nous avons plusieurs exemples de telle poésie, notamment dans l’art japonais du haïku (bien que je doute que Rimbaud les connût) : « Dans les monts d’avril / cadavres ensevelis— / vanité ! » (Takahama Kyoshi) ; « Herbes folles de l’été— / où frémit encore / le rêve des guerriers ! » (Matsuo Bashô) ; mais aussi dans un poésie française qui lui était contemporaine, celle d’un autre « poète maudit », Tristan Corbière qui, dans la Pastorale de Conlie –une pièce de ses Amours Jaunes dans laquelle il fait parler un mobilisé du Morbihan-, écrit : « …Ceux dont les pieds verdis sortent à fleur de terre / Se taisent… — Trop vert pour vous, ça ! […] Va : toi qui n’est pas bue, ô fosse de Conlie ! / De nos jeunes sangs appauvris, / Qu’en voyant regermer tes blés gras, on oublie / Nos os qui végétaient pourris,… ». Mais les morts « dorment » ; ce ne sont plus les cadavres ‘’frais’’ – passez-moi l’expression- qui nous émouvaient tel celui du Dormeur du Val. Quelque chose s’est tassé –apaisé, serions-nous tenté de dire, mais rien n’est plus incertain.

Il faut voir au-delà du sens littéral pour exhumer du texte le témoignage d’une autre défaite que celle des soldats : c’est le constat d’échec, peut-être du premier échec, du Voyant. En effet, dès 1871, Rimbaud s’était aventuré à investir le poète d’une mission de renouvellement du langage, d’élargissement de l’expérience à travers l’anti-ascèse dont on connaît les procédés : l’exaltation maîtrisée des sens. Ne s’amorce-t-il pas cependant ici la sensation d’une fêlure dans la belle assurance rimbaldienne ? Ce paysage, cette lande en friche, piquetée de calvaires, creusée de flaques turbides, de fossés, lacérée par les frimas, dont l’atmosphère lourde, pesante, est traversée du son lugubre de l’angélus du soir ; cette représentation presque convenue de la ruine et de l’affliction, n’est-ce pas la peinture d’un paysage intérieur ? Le climat mortifère du poème induit à lui seul un sentiment profond, inexplicable, de défaite. L’hiver y serait métaphore de stérilité ; les « fossés » et les « trous » rappelleraient les tombeaux, les fosses qui parsemaient l’âme et la pensée de Baudelaire… " Autre signe prégnant de la lassitude du poète-voyant face à son inaptitude à atteindre les objectifs qu’il s’était fixés : l’extrême sobriété aussi bien macro que micro structurelle de la complainte. Elle se compose de quatre sizains d’octosyllabes ; les rimes sont embrassées pour les quatre premiers vers de chaque strophe, puis suivies pour les deux derniers ; le poète fait preuve d’un respect presque sans faille des règles maximales de la poétique française, à l’exception peut-être de deux légères inexactitudes à la rime : « charmé » et « mai » ne s’associent qu’imparfaitement, en raison de la différence d’articulation des sons vocaliques finaux ; l’un est dit ‘’ouvert’’ (-é), l’autre ‘’fermé’’ (-ai). De plus, à propos du dernier couple de rimes « fuir » / « avenir », il est nécessaire de remarquer que, sans une consonne d’appui commune, la rime -ir est bancale. La structure est classique : la quatrième strophe s’oppose (sensiblement) aux trois précédentes par l’usage d’un « Mais » adversif à son début, façon on ne peut plus explicite, voire ‘’grossière’’. Pourtant, que dire de ces « erreurs » de rimes minimes, alors que Rimbaud se permettait, à la même époque, dans des poèmes tels Michel et Christine, Mémoire, une licence considérable, réduisant le plus souvent la rime à l’assonance ? Ce poème, certainement contemporain d’autres plus ‘’libres’’, issu d’une période de « second souffle » lors de laquelle Rimbaud se détachera d’un système trop normatif afin de dériver, avec l’impatience et l’énergie vampirique, iconoclaste dont il fait preuve tout au long de sa

brève carrière poétique, vers des rythmes personnels, ce poème relève en comparaison d’une facture étrangement classique. Il est vierge, en apparence, de toute audace, singulièrement plat –fade- même dans le choix des rimes, alliances de mots vues et revues (« cieux » / « délicieux » ; « chêne » / « enchaîne » ; etc.). Le rythme est neutre, paresseux, formellement juste et ennuyeux. La virtuosité, pourtant spontanée, de Rimbaud paraît avoir déserté ces vingt-quatre vers. Lui, en chef d’orchestre harassé, surmené, cultivant le paradoxe afin de donner l’illusion du mouvement : « Dispersez-vous ! Ralliez-vous ! ». On sent néanmoins que toute force évocatrice abandonne (à dessein ?) le poème qui, dans sa structure même, se révèle l’aveu d’un essoufflement. " Ce constat d’échec préfigure-t-il l’amer exposé de la Saison en Enfer ? Le Voyant, qui voulait repousser les limites de sa subjectivité, élargir son expérience au mépris des bornes de la personnalité, au prix du confort intellectuel –les comforts sont abhorrés-, comprend son fourvoiement, du moins commence à l’entrevoir, et dit la nécessité de revenir au monde réel, d’accepter la matérialité de sa condition et –par là- la défaite de l’entreprise poétique démesurée. C’est la retombée des embardées dévastatrices. Erosion des pics du désir, aplanissement des saillies mystico-littéraires. " Dans ce cas, si l’analogie est établie entre la défaite de la France et celle du poète, les termes symboliques –je pense en premier lieu à la figure du corbeau- sont transposables, conservent une équivalence. Nous savons que le corbeau est un oiseau charognard qui –à défaut de vautours, pourtant plus pittoresques, mais bannis de nos latitudes- hante les lieux de carnage ; sa connotation est, de fait, assez peu heureuse, voire maléfique. Cependant, Rimbaud remanie leur réputation ; sans la transformer il lui fait subir une inflexion significative bien que, finalement, un peu ambiguë. Dans un imaginaire collectif catholique, teinté de superstitions héritées du paganisme, les corbeaux sont, ainsi que Baudelaire imaginait qu’eussent pu être les chats, les « coursiers de l’Erèbe », intercesseurs des morts auprès des vivants. Sur le champ de cette bataille ‘’refroidie’’ par la rigueur de l’hiver et le temps qui a passé, ils raniment la mémoire, en sont les garants. Leur « armée étrange aux cris sévères » que le poète invoque doit faire ses croassements patriotiques ; est-ce bien là le « devoir » de mémoire conventionnel auquel appelle Rimbaud ? Cautionnerait-il cet entretien du sentiment revanchard, à la sauce Paul Déroulède ? Entretien du culte des morts, pour lui qui désire « tarir toutes les urnes » ? A quoi doit « chaque passant » repenser ? Le rôle du corbeau doit-il se limiter à la remémoration funèbre s’effectuant par son truchement *? " Le poète apostrophe le Seigneur dès le début du poème et lui demande de faire s’abattre les hordes des corbeaux sur les champs. Nous remarquons que, dans La Rivière de Cassis, les volatiles ____________________ * Notons que le « majestueux corbeau des saints jours de jadis », criaillant ses « Nevermore ! » dans l’illustre poème de Poe, engage le narrateur à estomper le souvenir de sa Lenore. Il colporte l’oubli. sont comparés à des anges dépêchés par Dieu : « La voix de cent corbeaux l’accompagne, vraie / Et bonne voix d’anges : […] Soldats des forêts que le Seigneur envoie, / Chers corbeaux délicieux ! ». Une incarnation de l’Ange peu orthodoxe, même contradictoire, que cet animal aux cris discordants, rauques, au plumage fuligineux…Et pour qu’ils

s’extirpent du ciel brumeux afin d’investir la lande, il faut attendre que les « longs angélus » se soient tus ; il s’agit vraisemblablement de l’angélus du soir, sonné à dix-huit heures. On sait que l’angélus est une prière réitérée trois fois par jour à heures fixes et qui renvoie à un épisode du Nouveau Testament : l’Annonciation, lorsque l’archange Gabriel vient, sur l’instance de Dieu, trouver Marie. Ainsi, l’imploration du poète (« Seigneur », « Faites ») semble opérer et les simulacres grotesques d’anges se ruent et tournoient dans les nues grises. " Quelle tâche assigner à ces

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