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Aotourou Bougainville

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rement dit, B a dressé un premier portrait de l’homme sauvage : »C’est, à ce qu’il paraît, de la défense journalière contre les bêtes féroces qu’il tient le caractère cruel qu’on lui remarque quelquefois. Il est innocent et doux, partout où rien ne trouble son repos et sa sécurité ». Les pages qui suivent, centrées d’abord sur Aoutourou, semblent par conséquent continuer ce portrait grâce à la réponse positive de B « Je l’ai v u, il s’appelait Aoutourou. » On sait que dès l’accostage de l’ »Etoile » à Tahiti, un indigène était venu passer la nuit à bord, « sans témoigner aucune inquiétude ». Neuf jours plus tard lorsque l’expédition décida de repartir, il manifesta le désir d’embarquer, malgré les larmes de sa « jeune épouse ou amante ».. B prétend l’avoir vu à Paris pendant le séjour du personnage (mars 1769- mars 1770).

B répond à la première question de A (Avez- vous vu le Tahitien ?) par un récit à l’imparfait et au passé simple jusqu’à « il ne cessait de soupirer après son pays ». Ensuite, nous trouvons surtout les temps relatifs au discours ancré dans la situation d’énonciation (présent, passé simple, futur)

On peut ainsi distinguer deux mouvements : le récit de l’expérience d’Aoutourou vue par l’européen B suscite de nouvelles questions de A et de nouveaux commentaires. On voit comment le dialogue didactique d’alimente du contact de la réalité et des faits.

Dans ce qui suit, pourrait s’attacher à déterminer quels sont les caractères de l’homme sauvage, sans oublier que c’est un européen qui les formule : la représentation du sauvage en dira autant sur le sauvage que sur le portraitiste. En d’autres termes, l’enjeu de cette page, structurée par le dialogue entre A et B, est sans doute de montrer comment la question « qui sont-ils ? » conduit à se demander : « qui sommes-nous ?

Les deux représentations du sauvage :

L’étude des champs lexicaux permet de faire paraître deux images du sauvage :

1. Le sauvage vu à travers ses difficultés dans la société européenne :

-Ignorance : « il la prit pour la patrie du voyageur »

« trompé naturellement par le peu de distance des bords de la mer »

« il ignorât la véritable étendue de la terre ».

- Ennui : « il s’ennuyait parmi nous »

« il ne cessait de soupirer après son pays ».

Le récit de B, qui multiplie les négations, développe trois types de difficultés dans cet apprentissage de le société européenne par le Tahitien : -Ignorance de la géographie

-Ignorance des mœurs dans les rapports hommes- femmes (politesse de Tahiti)

-Incapacité à parler la langue (trop d’articulations étrangères et de sons nouveaux)

On remarque tout d’abord que tout est affaire de situation :

-Situation de soi dans l’espace,

-Situation par rapport à l’autre sexe,

-Position d’ »organes inflexibles »

A travers un récit en apparence anecdotique, le propos de B résume les trois axes des rapports entre les êtres : la distance, l’altérité, le langage.

Ce faisant, ce récit nous renseigne aussi sur la manière qu’à l’européen d’appréhender le sauvage : pour l’instant, il ne le fait qu’à travers des critères européens :

- la vastitude de l’univers

- le décalage entre la connaissance théorique et la connaissance expérimentale (« trompé naturellement par le peu de distance apparente des bouts de la mer qu’il habitait,à l’endroit où le ciel semble confiner avec l’horizon… »

- La retenue et la pudeur des rapports sexuels.

- L’idée que le langage exotique suppose une certaine simplicité et une certaine mollesse.

2. La vie sauvage doublement idéalisée :

Dans la deuxième partie du texte, les champs lexicaux employés pour caractériser le sauvage ou la « vie sauvage » changent de connotation, parce qu’ils sont opposés au champ lexical de la loi qui se rapporte à la civilisation : « usages », « lois », « entraves déguisées sous cent formes diverses », entraves qui ne peuvent qu’exciter l’indignation et e mépris d’un être en qui le sentiment de la liberté est le plus profond de tous les sentiments.

La vie sauvage se trouve aussi doublement idéalisée car :

- Elle est l’emblème de la jeunesse (donc du naturel, de la spontanéité, de l’avenir) parce qu’elle touche à l’origine du monde ;

- Elle est le domaine de la liberté.

Cet éloge de la vie sauvage est par conséquence révélateur des fantasmes européens de vitalité, de simplicité et de liberté à tel point que A se moque de B : « Est-ce que vous donneriez dans la fable d’Otaïti ? ». B refuse l’emploi du mot « fable » employé de manière provocatrice par A, dans son sens de mythe, ou de fiction, d’histoire peu crédible : il donne pour preuve de sa réfutation la « sincérité » du témoignage de Bougainville. Mais cette sincérité est, aux yeux du lecteur, tout à fait fausse, puisque le « Supplément » que propose B à A est un ouvrage fictif, qu’en réalité Bougainville n’a pas écrit, mais Diderot !

En outre, B dédaigne l’autre sens du mot « fable » qui est « apologue », récit au but moral, dont la fausseté est sensible, mais qui délivre un enseignement. Quand on connaît la suite du Supplément, ne peut-on voir dans cette remarque de A plus de profondeur qu’il n’y paraît. A semble décidément contre toutes les apparences, voir plus loin que B…

Cette représentation contrastée de l’homme sauvage en dit moins sur l’homme sauvage (B ne fait guère qu’énumérer des clichés) que montrer l’importance de la focalisation, rendue plus explicite par la forme dialogique : décrire l’autre, c’est se décrire soi dans nos aspirations ou nos dégoûts les plus profonds. En proposant une réflexion sur l’homme sauvage, Diderot propose en réalité une réflexion sur la société européenne et les valeurs de sa civilisation.

II. Examen détaillé du passage : « Le voyage de Bougainville est le seul (…) Ma foi non ».

Vision ethnocentriste ou relativiste

Le passage à expliquer est difficile puisque B fait l’économie de l’explication des liens logiques et que A répond par un exemple argumentatif dont il faut décrypter la thèse. Le dialogue permet ainsi de « sauter » les transitions laborieuses de l’argumentation classique, parce qu’il doit aussi imiter la spontanéité d’un échange qui en réalité complète le dialogue verbal de toutes sortes de signes (intonations, gestes, regards…) qui aident à la compréhension du massage par l’interlocuteur. Nous allons d’abord paraphraser ce passage, puis nous en expliquerons les implications, déterminantes pour mieux comprendre l’un des axes choisis pour cette lecture analytique.

Reprenons les propos de B et rétablissons les termes d’articulation logique sous-entendu. »Il ne cessait de soupirer après son pays, et je n’en suis pas étonné. En effet, le voyage de Bougainville est le seul qui n’ait donné du goût pour une autre contrée que la mienne, puisque jusqu’à cette lecture, j’avais pensé qu’on n’était nulle part bien que chez soi. C’est un résultat que je croyais le même pour chaque habitant de la terre, en raison de l’attrait du sol (…) qui tient aux commodités dont on jouit, et qu’on n’a pas la même certitude de retrouver ailleurs ».

A s’étonne : « vous ne croyez pas l’habitant de Paris aussi convaincu qu’il croisse des épis dans la campagne de Rome que dans les champs de la Beauce ». L’ »habitant de Paris », d’une certaine manière, c’est B, qui veut déclarer qu’avant la lecture du livre de Bougainville, il pensait que rien ne valait son pays. B a donc exprimé une vision ethnocentrique (tendance à privilégier le groupe social auquel o appartient et en faire le seul modèle de référence) dont il a montré que la lecture de Bougainville l’avait corrigé, c’est-à-dire qu’il a commencé à comprendre que tous les pays pouvaient avoir des « commodités » (les « épis » et les « champs ») équivalentes ; il est aussi passé à une vision relativiste (relativisme = doctrine d’après laquelle les valeurs morales ou esthétiques sont relatives aux circonstances et variables) des bienfaits de sa société.

Par conséquent, A s’étonne que le relativisme ne soit pas la chose au monde la mieux partagée. Or, il a fallu toutes les Lumières du 18ème siècle pour parvenir à une pensée relativiste. Et le contenu de l’exemple argumentatif de A le prouve, car A met en relation le parisien et le romain, comme s’il s’agissait d’étrangers aussi distants que l’européen et le Tahitien, alors que Rome représente en partie le berceau de la civilisation française. Ce qui pouvait apparaître comme une pensée avancée et moderne e révèle

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