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Kasmi

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re votre grand-mère, ou du moins que vous porteriez un autre nom à l’heure qu’il est. Mais les hommes ne comprennent rien à nos coquetteries. Ce sont ou des fureurs brutales qui nous indignent, ou bien ils se découragent comme des enfants et s’enfuient à toutes jambes chez quelque hospodar de Moldavie, comme l’a fait cet écervelé marquis que j’ai revu beaucoup plus tard et qui, par parenthèse, n’était pas devenu plus sage.

Pour en revenir à son panier de pêches, je vous dirai que je le reçus quelque temps avant son départ, le jour de la Sainte-Ursule, qui est ma fête et qui tombe, comme vous savez, au beau milieu d’octobre, époque où il est presque impossible d’avoir des pêches. Cette galanterie était le résultat d’un pari de d’Urfé avec votre grand-père qui me courtisait déjà et qui fut si déconcerté du succès de son rival, qu’il en eut des vapeurs pendant trois jours.

Ce d’Urfé avait bien le plus grand air que j’aie vu de ma vie, si j’en excepte le roi, qui, sans être jeune, passait à juste titre pour le plus beau gentilhomme de France. Mais à tous ses avantages extérieurs, le marquis en joignait un autre, dont l’attrait, je puis l’avouer à présent, n’était pas le moins puissant auprès de nous autres jeunes femmes. C’était le plus grand mauvais sujet de la terre, et je me suis souvent demandé pourquoi ces gens-là nous attirent malgré nous. Tout ce que j’ai pu trouver, c’est que plus un caractère est inconstant, plus nous avons de plaisir à le fixer. On se pique d’amour-propre de part et d’autre et c’est à qui jouera au plus fin. Le grand art dans ce jeu-là, mes enfants, c’est de savoir s’arrêter à temps et de ne pas exaspérer son partenaire. C’est surtout pour vous, Hélène, que je fais cette observation. Si vous aimez quelqu’un, mon enfant, ne faites pas avec lui comme j’ai fait avec d’Urfé, car Dieu sait si j’ai pleuré son départ et si je me suis reproché ma conduite. Je dis cela sans préjudice à mon attachement pour votre grand-père, qui m’épousa six mois après et qui certainement était l’homme le plus digne et le plus loyal qu’on puisse voir.

J’étais à cette époque veuve de mon premier mari, M. de Gramont, que je n’ai presque pas connu et que je n’avais épousé que pour obéir à mon père, la seule personne que je craignisse au monde. Vous pouvez vous figurer que le temps de mon veuvage ne me parut guère long ; j’étais jeune, jolie et parfaitement libre de mes actions. — Aussi je mis à profit cette liberté et aussitôt mon deuil fini, je me lançai, tête baissée, dans les bals et les réunions, qui, soit dit en passant, étaient bien autrement gais alors qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Ce fut à une de ces réunions que le marquis d’Urfé se fit présenter à moi par le commandeur de Bélièvre, un vieil ami de mon père, auquel celui-ci, qui résidait toujours dans son château des Ardennes, m’avait recommandée comme à un parent. — Cela me valait des exhortations sans fin de la part du digne commandeur, mais, tout en le ménageant et le cajolant de mon mieux, je ne faisais pas grand cas de ses remontrances, comme vous allez bientôt en juger. J’avais déjà beaucoup entendu parler de M. d’Urfé et j’étais fort curieuse de voir si je le trouverais aussi irrésistible qu’on me l’avait dépeint.

Quand il s’approcha de moi avec une aisance charmante, je le regardai si fixement, qu’il se troubla et ne put achever la phrase qu’il avait commencée.

— Madame, me dit-il plus tard, vous avez au front, un peu au-dessus des sourcils, un trait que je ne saurais définir, mais qui donne à votre regard une puissance étrange...

— Monsieur, lui répondis-je, on prétend que je ressemble beaucoup au portrait de ma trisaïeule, laquelle, d’après une légende de mon pays, aurait, rien que par son regard, fait choir dans les fossés un chevalier présomptueux qui s’étais mis en tête de l’enlever et qui déjà avait escaladé les murs de son château.

— Madame, dit le marquis en s’inclinant galamment, puisque les traits de votre trisaïeule sont aussi les vôtres, je n’ai pas de peine à croire à la légende ; seulement je vous ferai observer qu’à la place du chevalier, je ne me serais pas tenu pour battu et qu’aussitôt hors des fossés, j’aurais recommencé l’escalade.

— En vérité, monsieur ?

— Très certainement, madame.

— Un échec ne vous décourage pas ?

— On peut m’intimider une fois — me décourager jamais.

— Nous verrons, monsieur !

— Nous verrons, madame !

Depuis ce jour il y eut guerre acharnée entre nous ; fausse indifférence de ma part, galanterie persévérante de celle du marquis. Ce manège finit par attirer sur nous l’attention de tout le monde et le commandeur de Bélièvre me gronda sérieusement

C’était un singulier personnage que le commandeur de Bélièvre et il faut que je vous en dise deux mots. Figurez-vous un homme grand, sec et grave, très cérémonieux, très phraseur et qui ne souriait jamais. Dans sa jeunesse il avait montré à la guerre un courage qui allait jusqu’à la folie, mais il n’avait jamais connu l’amour et il était très timide avec les femmes. Quand je lui faisais quelque bonne cajolerie (ce qui arrivait chaque jour de poste, attendu qu’il envoyait régulièrement à mon père des comptes rendus de ma conduite, comme si j’étais encore une petite fille), c’est à peine s’il déridait son front, mais alors il faisait une si drôle de grimace que je lui riais au nez au risque de nous brouiller. Pourtant nous restions les meilleurs amis du monde, sauf à nous prendre aux cheveux dès qu’il s’agissait du marquis.

— Madame la duchesse, je suis désolé que mon devoir m’oblige de vous faire une remarque...

— Faites toujours, mon cher commandeur !

— Vous avez encore reçu hier le marquis d’Urfé...

— C’est vrai, mon cher commandeur, et avant-hier aussi, je le reçois encore ce soir, ainsi que demain et après-demain.

— C’est précisément au sujet de ces fréquentes visites que je désire vous entretenir. Vous n’ignorez pas madame, que monsieur votre père, mon honoré ami, vous a confiée à ma garde et que je réponds de vous à Dieu comme si j’avais le bonheur de vous avoir pour fille...

— Eh ! mon cher commandeur, est-ce que vous craignez que le marquis ne m’escamote ?

— Je suppose, madame, que le marquis connaît trop bien le respect qu’il vous doit pour oser former un pareil projet. Cependant il est de mon devoir de vous avertir que ses assiduités deviennent le sujet des conversations de la cour, que je me les reproche d’autant plus que c’est moi qui ai eu le malheur de vous présenter le marquis et que si vous ne l’éloignez bientôt, je me verrai, à mon grand regret, forcé de l’appeler en combat singulier.

— Vous plaisantez, mon cher commandeur, le combat serait vraiment singulier ! Vous oubliez que vous avez le triple de son âge !

— Madame, je ne plaisante jamais et ce sera comme j’ai l’honneur de vous dire.

— Mais c’est une indignité, monsieur, c’est une tyrannie qui n’a pas de nom ! Si la société de M. d’Urfé me convient, qui est-ce qui a le droit de m’empêcher de le voir ? Qui peut l’empêcher de m’épouser si j’y consens ?

— Madame, répondait le commandeur, en hochant tristement la tête, croyez-moi, cela n’est pas l’idée du marquis. J’ai assez vécu pour voir que M. d’Urfé, loin de songer à se fixer, ne pense qu’à tirer vanité de son inconstance. Et que deviendriez-vous, pauvre fleur des Ardennes, si après lui avoir abandonné tout le miel de votre calice, vous voyiez tout à coup ce beau papillon s’envoler comme un traître ?

— Allons, voici maintenant des inculpations indignes ! Savez-vous. mon cher commandeur, que si vous y allez de la sorte, vous me rendrez amoureuse folle du marquis ?

— Je sais, madame, que votre père, mon vénérable ami, vous a confiée à moi et que je mériterai sa confiance et votre estime au risque même de vous devenir odieux.

C’est toujours ainsi que se terminaient ces disputes. Je me gardai bien d’en faire part à d’Urfé, afin de ne pas le rendre plus présomptueux qu’il ne l’était déjà, quand un beau jour le commandeur vint m’annoncer qu’il avait reçu une lettre de mon père, par laquelle celui-ci le priait de m’accompagner dans notre château des Ardennes. La lettre du commandeur en contenait une incluse pour moi. Mon père m’y témoignait le désir de me revoir et pour que la perspective d’un automne à passer au milieu des forêts ne m’effrayât pas trop, il me faisait entendre que plusieurs familles de notre voisinage avaient préparé une fête à quatre lieues de chez nous, dans le château d’Haubertbois.

Il ne s’agissait ni plus ni moins que d’un grand bal costumé, et mon père m’écrivait de me dépêcher de venir si je voulais y prendre part.

Le nom d’Haubertbois éveilla en moi bien des souvenirs. Je me rappelai avoir entendu dans mon enfance des récits étranges sur ce vieux château abandonné et sur la forêt qui l’entourait. Il y avait

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