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La Societe Contre L'Etat 3 Textes

Mémoire : La Societe Contre L'Etat 3 Textes. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires
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s, Éditions du Seuil, 1974.

soMMaire :

• L’anthropologie politique, une interview de 1974 — p. 4 • La question du pouvoir dans les sociétés primitives — p. 29 • La société contre l’État (chapitre 11) — p. 35

L’anthroPoLogie PoLitique

Qu’est-ce que, pour toi, « l’anthropologie politique » ? Comment te situes-tu dans ta démarche ethnologique actuelle (notamment par rapport au structuralisme) ?

La question du structuralisme d’abord. Je ne suis pas structuraliste. mais ce n’est pas que j’aie quoi que ce soit contre le structuralisme, c’est que je m’occupe, comme ethnologue, de champs qui ne relèvent pas d’une analyse structurale a mon avis ; ceux qui s’occupent de parenté, de mythologie, là apparemment ça marche, le structuralisme, et Lévi-Strauss l’a bien démontré que ce soit quand il a analysé les structures élémentaires de la parenté, ou les mythologiques. Ici je m’occupe, disons, en gros, d’anthropologie politique, la question de la chefferie et du pouvoir, et là j’ai l’impression que ça ne fonctionne pas ; ça relève d’un autre type d’analyse. Maintenant ceci dit il est très probable que si je prenais un corpus mythologique je serais forcement structuraliste parce que je ne vois pas très bien comment analyser un corpus mythologique d’une manière extra-structuraliste... ou alors faire des sottises, genre la psychanalyse du mythe ou la marxisation du mythe — « Le mythe, c’est l’opium du sauvage » — mais ça, ce n’est pas sérieux.

Tu ne renvoies pas seulement à la société primitive ; ton interrogation sur le pouvoir est interrogation sur notre société. Qu’est-ce qui fonde ta démarche ? Qu’est-ce qui justifie le passage ?

Le passage, il est impliqué par définition. Je suis ethnologue, c’est-à-dire que je m’occupe des sociétés primitives, plus spécialement de celles d’Amérique du Sud où j’ai fait tous mes travaux de terrain. Alors là, on part d’une distinction qui est interne à l’ethnologie, à l’anthropologie, les sociétés primitives, qu’est-ce que c’est ? Ce sont les sociétés sans état. Forcément parler de sociétés sans État c’est nommer en même temps les autres, c’est-àdire les sociétés à État. Où est le problème ? De quelle manière il m’intéresse, et pourquoi j’essaie de réfléchir là-dessus ? C’est que je me demande pourquoi les sociétés sans État sont des sociétés sans État et alors il me semble m’apercevoir que si les sociétés primitives sont des sociétés sans État c’est parce qu’elles sont des sociétés de refus de l’État, des sociétés contre l’État. L’absence de l’État dans les sociétés primitives ce n’est pas un manque, ce n’est pas parce qu’elles sont l’enfance de l’humanité et qu’elles sont incomplètes, ou qu’elles ne sont pas assez grandes, qu’elles ne sont pas adultes, majeures, c’est bel et bien parce qu’elles refusent l’État au sens large, l’État défini comme dans sa figure minimale qui est la relation de pouvoir. Par là même parler des sociétés sans État ou des sociétés contre l’État, c’est parler des sociétés à État, forcément le passage, il n’y en a même pas, ou il est d’avance possible ; et la question qui s’enracine dans le passage, c’est : d’où sort l’État, quelle est l’origine de l’État ? Mais c’est tout de même deux questions séparées : — comment les sociétés primitives font-elles pour ne pas avoir l’État ? — d’où sort l’État ?

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Alors, « l’ethnologie politique » ? Si on veut dire « est-ce que l’analyse de la question du pouvoir dans les sociétés primitives, dans les sociétés sans État, peut nourrir une réflexion politique sur nos propres sociétés ? », certainement, mais ce n’est pas nécessaire. Je peux très bien m’arrêter à des questions sinon académiques, du moins de pure anthropologie sociale : — comment la société primitive fonctionne-t-elle pour empêcher l’État ? — d’où sort l’État ? Je peux m’arrêter là, et rester purement et simplement ethnologue. D’ailleurs, en gros, c’est ce que je fais. Mais il n’y a pas de doute qu’une réflexion ou une recherche sur, en fin de compte, l’origine de la division de la société, ou sur l’origine de l’inégalité, au sens où les sociétés primitives sont précisément des sociétés qui empêchent la différence hiérarchique, une telle réflexion, une telle recherche peuvent nourrir une réflexion sur ce qui se passe dans nos sociétés. Et, là, d’ailleurs très vite on rencontre la question du marxisme.

Est-ce que tu pourrais préciser ? Quels sont tes rapports avec les ethnologues marxisants ?

Mes rapports avec ceux de mes collègues qui sont marxistes sont marqués par un désaccord au niveau de ce qu’on fait, au niveau de ce qu’on écrit, pas forcément au niveau personnel. La plupart des marxistes sont orthodoxes, je dis la plupart parce qu’il y on a qui. ne le sont pas, heureusement ; mais ceux qui sont orthodoxes, ils s’en tiennent beaucoup plus à la lettre qu’a l’esprit. Alors la théorie de l’État, dans ce sens là, qu’est-ce que c’est ? C’est conception instrumentale de l’État, c’est-à-dire, l’État c’est l’instrument de la domination, de la classe dominante sur les autres ; à la fois dans la logique et dans la chronologie, l’État vient après, une fois que la société est divisée en classes, qu’il y a des riches et des pauvres, des exploiteurs et des exploités ; l’État c’est l’instrument des riches pour mieux exploiter et mystifier les pauvres et les exploités. à partir de recherches et de réflexion qui ne quittent pas le terrain de la société primitive, de la société sans État, il me semble que c’est le contraire, ce n’est pas la division en groupes sociaux opposés, ce n’est pas la division en riches et pauvres, on exploiteurs et exploités, la première division, et celle qui fonde en fin de compte toutes les autres, c’est la division entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent, c’est-à-dire l’État, parce que fondamentalement c’est ça, c’est la division de la société entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui subissent le pouvoir. Une fois qu’il y a ça, c’est-à-dire la relation commandement/obéissance, c’est-à-dire un type ou un groupe de types qui commandent aux autres qui obéissent, tout est possible à ce moment là ; parce que celui qui commande, qui a le pouvoir, il a le pouvoir de faire faire ce qu’il veut aux autres, puisqu’il devient le pouvoir précisément, il peut leur dire « travaillez pour moi », et, à ce moment-là, l’homme de pouvoir peut se transformer très facilement en exploiteur, c’est-à-dire en celui qui fait travailler les autres. Mais la question est, que quand on réfléchit sérieusement à la manière dont fonctionnent ces machines sociales que sont les sociétés primitives, on ne voit pas comment ces sociétés là peuvent se diviser, je veux dire, peuvent se diviser en riches et pauvres. On ne voit pas parce que tout fonctionne pour empêcher cela précisément. Par contre on voit beaucoup mieux, on comprend beaucoup mieux, enfin plusieurs questions obscures se clarifient, à mon avis, si on pose d’abord l’antériorité de la relation de pouvoir.

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C’est pourquoi il me semble que pour y voir plus clair dans ces questions il faut carrément renverser la théorie marxiste de l’origine de l’État — c’est un point énorme et précis en même temps — et il me semble moins que l’État soit l’instrument de domination d’une classe, donc ce qui vient après une division antérieure de la société, et que c’est au contraire l’État qui engendre les classes. Cela peut se démontrer à partir d’exemples de sociétés à État non-occidentales, je pense particulièrement à l’État Inca dans les Andes. Mais on pourrait prendre aussi bien d’autres exemples parfaitement occidentaux, et puis même un exemple très contemporain c’est l’URSS. Naturellement je simplifie, je ne suis pas russologue ni kremlinologue... mais enfin si on regarde massivement, vu d’un peu loin, mais pas de très loin, la révolution de 17, qu’est-ce qu’elle a fait ? Elle a supprimé les relations de classe, tout simplement en supprimant une classe les exploiteurs, les bourgeois, les grands propriétaires, l’aristocratie et l’appareil d’État qui marchait avec tout ce qui était la monarchie, ce qui fait qu’il n’est resté qu’une société dont on pourrait dire qu’elle n’était plus divisée puisque l’un des termes de la division avait été éliminé, il est resté une société non divisée et par là-dessus une machine étatique (le parti aidant) détenant le pouvoir au bénéfice du peuple travailleur, des ouvriers et des paysans. Bon. Qu’est-ce que c’est que l’URSS actuelle ? Sauf si on est militant du parti communiste, auquel cas l’URSS c’est le socialisme, c’est l’État des travailleurs, etc., si on n’est pas dans la théologie et le catéchisme, si on n’est pas dans l’aveuglement et tout ce qu’on veut, l’URSS qu’est-ce que c’est ? C’est une société de classes, je ne vois pas pourquoi hésiter à utiliser ce vocabulaire, c’est une société de classes et une société de classes qui s’est constituée purement à partir de l’appareil d’État. Il me semble qu’on voit bien là la généalogie des classes, c’est-à-dire des riches et des pauvres,

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