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Poésie

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de l’art poétique en montrant, comme Michèle Aquien, que la poésie n’était pas que “linguistique”. Ainsi Michel Collot a souligné le lien irréductible qu’exige la poésie entre trois instances, celles du sujet, du langage et du monde. Dans La poésie moderne et la structure d’horizon, il affirme également que “l’écriture poétique, loin de se replier sur elle-même, vise constamment un dehors”. Il souhaite de cette façon prendre ses distances avec une conception autotélique du poème, en mettant en avant la notion de “visée” et d’”horizon”, en opposant l’image du repli, d’enfermement, à une image d’ouverture intentionnelle, en privilégiant un mouvement centrifuge extatique à un mouvement centripète, ou à un monolithisme vain. La poésie n’est jamais, selon lui, enfermée sur elle-même. Or, à diverses époques, des poètes ont prôné ce “repli”, ce retour, cette suffisance du poème à lui-même, dans un mouvement formaliste ou élitiste. Il est ainsi intéressant d’analyser la conception de l’écriture poétique de Michel Collot en montrant en quoi la fonction référentielle ne peut être totalement niée dans l’opération poétique, puis d’étudier certaines tentatives poétiques qui ont au contraire choisi cette voie du “repli”, pour enfin montrer que la poésie peut non seulement s’envisager comme “visée” d’un dehors, mais aussi comme exploration d’un dedans, celui de l’auteur (le sujet lyrique), voire de l’âme humaine en général.

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Soulignant l’impasse des recherches formalistes, qui aboutissent à l’enfermement du poème sur lui-même, quelques critiques et poètes ont mis en relief l’ouverture de l'œuvre poétique en faisant intervenir notamment le rôle du lecteur dans la réception du livre, qui n’est pas seulement un ensemble, mais aussi, selon les mots d’Umberto Eco, une “œuvre ouverte”. Pour Michel Collot, cette ouverture apparaît sous les termes de “dehors” et d’”horizon”. La poésie “vise constamment un dehors” écrit-il. Mais de quel “dehors” s’agit-il? Sur quel objet l'œuvre poétique porte-t-elle son attention? En fait, ce dehors peut être à la fois le premier destinataire du poème, c’est-à-dire le lecteur, un ensemble plus vaste représenté par la société ou encore le réel, le monde extérieur pris dans sa globalité.

Dans la poésie épique d’Homère, la poésie chantée des troubadours ou la poésie récitée des salons précieux ou mondains, l’aspect oral de l'œuvre poétique met en avant sa fonction d’échange, de communication et de destination. Même pour Jacques Roubaud, “compositeur de mathématique et de poésie”, la poésie doit être “dite”. Le poème ne peut vivre sans lecteur, sans auditeur, il est destiné à être lu, à haute voix ou en toute intimité, mais il semble en tout cas s’adresser à quelqu’un, à un destinataire qui peut représenter ce “dehors” visé par l’écriture poétique dont parle Michel Collot, s’apparenter en d’autres termes à la conscience du lecteur. dans son épitaphe, Villon s’adresse ainsi aux “Frères humains” de la postérité. Dans ses sonnets, Ronsard s’adresse à Hélène ou à Cassandre. Le poème se veut séduction dans tous les sens du terme, et notamment dans son sens étymologique et apologétique “se ducere”, d’amener à soi. La femme désirée est à la fois l’origine du poème et sa “visée”. Dans ses Fables, La Fontaine s’adresse également plus ou moins directement à des êtres humains, au roi ou à la cour, à travers ses morales. La poésie officielle du XVIIème siècle, comme celle de Malherbe, auteur de “l’Ode à la reine”, ou la poésie satirique “vise”, évoque ou interpelle des individus ou des lecteurs en particulier. Dans Les Fleurs du Mal, Baudelaire choisit comme destinataire “l’hypocrite lecteur”, son “semblable” et son “frère”. Le poème n’est pas considéré qu’en lui-même, mais comme une œuvre qui va être parcourue, comme des instants qui vont être partagés. Sartre dira ainsi qu’il n’y a d’art que “pour et par autrui”. Le lecteur pourrait de cette façon être ce “dehors” visé dès l’écriture poétique, dès l’élaboration du poème ou du recueil par l’auteur lui-même.

Mais “l’horizon” envisagé par Michel Collot pourrait également s’apparenter à un ensemble plus vaste, à la société entière. La poésie engagée semble en effet revendiquer la transmission d’un message destiné à la civilisation, aux hommes et à leur société. Elle se définit comme une action, une force agissante, comme une révolte contre toute forme de soumission ou d’acquiescement. Elle “vise” la tyrannie, la barbarie, la discrimination. Qu’il s’agisse des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné qui “vise” les guerres de religion qui “afflig[ent]” la France, des Châtiments de Victor Hugo qui “vise” et ridiculise Napoléon III, de La Diane Française d’Aragon, ou des “Feuillets d’Hypnos” de René Char, les mots deviennent des armes. Forger des phrases, c’est alors prendre les armes pour un corps-à-corps textuel, pour une lutte qui “vise constamment un dehors” monstrueux et injuste. Les poèmes sont des “chants égorgés” selon la formule d’Aragon dans “Elégie à Pablo Neruda”, ou des “voeu[x] en révolte” selon René Char. Le “dehors” peut s’apparenter au nazisme, à la guerre, à la torture, à la cruauté du monde extérieur. La voix poétique, la “voix qui monte des fers” comme l’écrit Aragon dans “La ballade de celui qui chanta sous les supplices”, s’élève et prend à partie cette insupportable et inadmissible ignominie. C’est un cri poussé, c’est une insurrection permanente contre l’horreur, mais aussi contre “les ennuis et les vastes chagrins / qui chargent de leur poids l’existence brumeuse”, nous dit Baudelaire dans “Elévation”.

Cependant, la visée poétique peut s’élargir encore davantage et embrasser le monde entier, le réel pris dans sa diversité et dans sa globalité. Refusant toute idée de repli, d’enfermement, toute attitude monolithique, certains poètes ont choisi de tendre vers un “horizon” terrestre ou céleste, de prendre la route en ne regardant que devant soi. Ces poètes nomades, tels que Blaise Cendrars, Apollinaire ou Saint-John Perse privilégient le mouvement. En marchant dans Paris, Apollinaire voyage parmi un kaléidoscope de visages, une foule d’êtres humains. Il dépasse la “zone”, le cercle en parcourant même les contrées de sa mémoire. dans la poésie persienne, les figures de conquérants, parcourant les plaines et franchissant les montagnes dans “Anabase” et dans “Vents”, reflètent la volonté du poète d’embrasser le monde entier, d’aller plus loin et plus haut pour dépasser ses limites. L’écriture poétique se veut mouvement, se veut quête ontologique et cosmique, confirmant la définition de Heidegger de la poésie comme “topographie de l’Etre”. Ce monde du dehors est parcouru et célébré également par d’autres poètes au début du XXème siècle, appartenant au mouvement du naturisme, tels que Francis Jammes ou Saint-Georges de Bouhélier. Tous ces différents poètes, en prenant des voies esthétiques et poétiques variées, ont tous en point de mire la nature et le réel dans sa beauté, dans sa diversité et dans sa simple présence. La poésie deviendrait alors un mouvement extatique, une tentative d’approche et de conquête de ce monde extérieur, ou comme l’écrit Adonis dans Autre Sud, l’écriture d’un “isthme” entre le monde et le poète.

L’opération poétique, en célébrant l’univers ou en le transformant, par une alchimie verbale ou par l’imagination, garderait ainsi le dehors comme l’objet premier de son attention et de son projet esthétique. Par conséquent, la place de la fonction référentielle tendrait à confirmer l’approche de Michel Collot de la poésie, non comme repli, mais comme ouverture sur un horizon qu’il soit “fabuleux” ou réel.

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Pourtant, le refus de l’engagement politique ou de l’épanchement, la volonté de restreindre le public récepteur, ont engendré chez certains poètes un mouvement de repli. Ces tentatives apparaissent à des dates diverses, la conception formaliste de “l’art pour l’art”, la recherche de l’hermétisme et l’élaboration du poème comme système autotélique peuvent être ainsi perçues comme des attitudes de “repli” sur l’objet poétique pris pour lui-même.

Tout d’abord, dans une perspective différente, les Grands Rhétoriqueurs qui privilégient le travail sur la matière verbale, l’ingéniosité, l’inventivité, et les précieux qui concourent pour faire les plus beaux poèmes, pour rechercher la perfection formelle, l’harmonie verbale, ont manifesté la volonté de mettre l’accent non sur le dehors, mais sur le verbe poétique. Au XIXème siècle, rejetant l’épanchement du romantisme sentimental, Théophile Gautier prépare lui aussi un retour au formalisme de “l’art pour l’art”. Dans Emaux et camées, il demande au poète de “sculpte[r]”, de “lime[r]”, de “cisele[r]”. Il faut que celui-ci taille dans un “marbre sans défaut”. Les courts poèmes deviennent des bijoux d’orfèvre. On retrouve cette même approche dans les œuvres de Théodore de Banville, qui remet en valeur les règles prosodiques dans Petit traité de versification française.

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