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ent de l’univers des Khmers rouges. Des histoires invraisemblables mais bien réelles, où une maman épouille le cadavre de sa fille, puis s’allonge sur les planches pour attendre son tour ; où deux gamins se lient d’une indéfectible amitié dans l’arrière-cour d’un hôpital où ils trient tous les matins les morts des vivants pour les porter dans la fosse ; où, toute une nuit, une mère raconte à ses enfants le cérémonial des funérailles, comme elles auraient été dans la tradition, de leur

Une maman épouille le cadavre de sa fille, puis s’allonge sur les planches pour attendre son tour

père, enfoui dans une rigole de rizière quelques heures plus tôt. Des histoires peuplées de véritables vampires qui vident leurs victimes de leur sang, d’ogres qui brûlent des enfants coupables d’être nés de parents bourgeois. Où l’on rencontre un personnage démoniaque du nom de Kaing Guek Eav, alias Duch, sujet du dernier film de Rithy Panh (Duch, le maître des forges de l’enfer, 2011) et éminent personnage de plusieurs livres, ce qui justifie une brève introduction. Duch ? C’est un fils de paysan, brillant élève (la deuxième note du pays au bac), amoureux de sa jolie voisine. Il ensei-

gne les mathématiques à des élèves qui l’admirent, il récite Alfred de Vigny. Embarqué dans la révolution khmère rouge, il organise le centre de torture et d’exécution S -21. Là, entre 1975 et 1979, il étudie plus de douze mille dossiers, qu’il va annoter dans la marge d’un « Torture moyennement forte » (encre bleue), ou « Réduis-le en poussière » (encre rouge), ou « Vous pouvez détruire » (encre noire), tandis que dans le camp il supervise le travail des interrogateurs tortionnaires. A la chute du régime Pol Pot, il disparaît de longues années. On le retrouve converti au christianisme, bénévole dans une association caritative. A son procès, il discute, rit et sourit ; en prison il réfléchit, demande des livres de grammaire et des crayons HB. Il n’apprécie toujours pas Van Gogh, encore moins Picasso, mais voue une vive admiration à Léonard de Vinci. Bref, il devient l’archétype du bourreau censé nous fasciner. Nous, peutêtre, mais Rithy Panh, un rescapé ? Lorsqu’on lit que son livre se veut le récit d’une confrontation hors du commun entre le cinéaste et le bourreau, le doute nous atteint, plus encore à la lecture de ces premières lignes : « … Je veux que Duch parle et s’explique – surtout lui ; qu’il dise sa vérité ; ce qu’il a été, ce qu’il a voulu ou pensé être, puisque, après tout, il a vécu, il vit, il a été un homme, et même un enfant. Qu’en répondant ainsi… le professeur de mathématique…, le révolutionnaire qui cite encore Balzac et Vigny, le dialecticien, le bourreau en chef, le maître des tortures, chemine vers l’humanité… » Lire la suite page 2

bonne compagnie Lydia Flem est tombée sous le charme de Casanova

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a Le

feuilleton Eric Chevillard se réjouit du dernier Patrik Ourednik

’heure est au bourreau hilare. Il sait que le public lui est acquis, cet humoriste féroce. Son numéro marche d’autant mieux qu’il joue sur un tour de passe-passe désormais bien connu. Un syllogisme attribué (à tort) à Hannah Arendt : tous les bourreaux sont des hommes ordinaires ; nous sommes tous des hommes ordinaires ; donc nous sommes tous des bourreaux. « Syllogisme boiteux » mais très en vogue, qui alimente aujourd’hui tant d’essais et de romans, comme l’a montré Charlotte Lacoste, jeune spécialiste de littérature, dans un livre paru l’année dernière sous le titre Séductions du bourreau (PUF, 482 p., 29 ¤). Cette version à deux sous de la « banalité du mal » nourrit ainsi l’humour de Duch, le bourreau du centre de détention S-21. « Sous les Khmers rouges, monsieur Rithy, vous auriez pu être à ma place ! Vous auriez fait un bon directeur de S-21 ! », lance le tortionnaire dans l’un des éclats de rire qui rythment son face-à-face avec Rithy Panh. « Pendant nos entretiens, Duch rit souvent, note le cinéaste cambodgien. (…) Pour partager. Pour que je le comprenne. Il rit pour que je sois lui. Que je sois à mon tour un bourreau, peut-être. » Duch le tueur, Duch le farceur multiplie les mots d’esprit. Il a beau jeu. Car le bourreau nous fascine, la victime nous fatigue. A trop remuer les cendres, cette pleureuse ne se perd-elle pas dans les points de détail ? D’ailleurs, ce qui fut a-t-il vraiment eu lieu ? Comme tous les assassins de la mémoire, Duch jette le soupçon sur le témoignage des suppliciés et les accable de sarcasmes. Face à ces ricanements, Rithy Panh tient bon, comme en atteste le livre qu’il signe avec Christophe Bataille, L’Elimination. Ce texte est un grand texte, au ton humble, à la portée universelle. Nous le saluons aujourd’hui sous la plume de Jean Hatzfeld, auteur d’une trilogie cruciale sur le génocide rwandais, et qui en sait long, lui aussi, sur le rire exterminateur. A son côté, Rithy Panh prend place parmi les rares figures qui ont partagé la conviction de Vladimir Jankélévitch : « Il ne s’agit pas d’être sublime, il suffit d’être fidèle et sérieux. » Laissons les gloussements au bourreau. p

a Essais Camus et Sartre : cessez le feu ! Olivier Todd a lu le dernier Michel Onfray

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a Rencontre

Anne Wiazemsky, l’égérie devenue écrivain

Cahier du « Monde » N˚ 20833 daté Vendredi 13 janvier 2012 - Ne peut être vendu séparément

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…à la Une

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Vendredi 13 janvier 2012

Suite de la première page

Le réalisateur de «Duch, le maître des forges de l’enfer» explique pourquoi il a voulu passer par l’écrit pour se raconter, et comment, avec Christophe Bataille, il y est arrivé

Que le lecteur se rassure : Rithy Panh ne croit pas à la sincérité d’un dialogue avec Duch, ni ne joue de ce dialogue avec nous. Dans son livre, Duch n’existe guère pour son témoignage et ses réflexions, encore moins pour ses tergiversations égotistes, mais pour ce qu’il récite. Ce qu’il incarne : l’Angkar (l’Organisation, celle de l’extermination), qui prône : « Il faut détruire l’ennemi visible et aussi celui qui est invisible : l’ennemi dans la pensée », ou : « La beauté est un obstacle à la volonté de combattre », ou encore : « La bêche est votre stylo, la rizière votre papier. » Représenter (formidablement) l’Angkar, machine du génocide khmer, nous faire pénétrer dans son monde délirant, voilà le sens des questions du cinéaste au bourreau. Et bien sûr, aussi, questionner pour tenter de se détourner de vides vertigineux, car, comme l’écrit Rithy Panh : « La fin de Primo Levi m’effraie. » Questionner pour surmonter ou fuir ses angoisses, se raconter. Ce livre est le récit d’une confrontation, plein de tendresse entre le cinéaste et le gamin de 13 ans qui errait là-bas dans les eaux boueuses. Rithy Panh est né dans la maison du bonheur, entourée de manguiers, potagers et poulaillers, aux abords de Phnom Penh. Fils de paysan, son père devient instituteur, puis haut fonctionnaire de l’éducation nationale. Fille de paysanne, sa mère rayonne sur la maison avec sa main verte, « une lecture du bois », des dons de cordon-bleu. Les vibrations du sol provoquées par les bombardements améri-

«Chaque mot amène une image»

entretien croisé

Propos recueillis par Julie Clarini

D

ans L’Elimination, qu’il a écrit avec l’aide du romancier et éditeur Christophe Bataille, le cinéaste cambodgien Rithy Panhraconte pourla première fois son histoire personnelle, de l’arrivée des Khmers rouges dans Phnom Penh, en 1975, à la chute du régime de Pol Pot, quatre ans plus tard. Le livre paraît alors que son dernier film, Duch, le maître des forges de l’enfer, sort sur les écrans le 18 janvier. Ce documentaire, présenté au Festival de Cannes, est consacré à l’ancien directeur du centre de torture S-21, aujourd’hui poursuivi par la justice internationale et écroué dans la capitale cambodgienne. Quel événement a déclenché l’envie de faire ce livre dans lequel vous racontez votre vie sous les Khmers rouges ? Rithy Panh Tout part de ce film sur Duch que j’ai mis des années à faire et qui a été très déstabilisant. Ce n’est pas Duch comme personne qui m’a fasciné, mais l’idéologie qui est la sienne, comment elle a été conçue, appliquée, la torture… Tout cela m’a ramené à mon histoire personnelle. Je savais depuis toujours qu’un jour il faudrait raconter, redonner leur place à mes proches. Mais, parmi ceux qui ont vécu des situations pareilles, certains ont envie ou besoin de témoigner, et d’autres non. Moi j’espérais, oui, j’espérais ne pas avoir à le faire, y échapper ; je me disais que mes films suffiraient. Mais la rencontre avec Duch a été tellement intense qu’elle m’a fait vaciller. Il fallait passer par les mots pour dire des choses qu’on ne peut pas dire dans un film.

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