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Albert Cohen, Belle du Seigneur, chapitre XXXV Le début de la séduction d’Ariane par Solal

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Par   •  3 Mai 2022  •  Commentaire de texte  •  4 248 Mots (17 Pages)  •  562 Vues

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Albert Cohen, Belle du Seigneur, chapitre XXXV Le début de la séduction d’Ariane par Solal

Présentation du texte et lecture de l’extrait

Contexte historique et littéraire

Belle du Seigneur est un roman publié en 1968, qui assure la consécration littéraire de son auteur, Albert Cohen. Il est encensé par les critiques, recevant le Grand prix de l’Académie française, et il est acclamé par le public, le livre se vendant particulièrement bien pour une œuvre aussi longue et exigeante.

Pour le contexte historique, il semble peu opérant : on pourrait être tenté d’interpréter cette date de mai 1968. Libération des mœurs, désacralisation et épanouissement des rapports amoureux, négation des hiérarchies sociales et dénonciation du capitalisme, ces différents sujets pourraient sembler communs à l’œuvre comme au temps de sa composition. Il faut rester prudent : quand Albert Cohen écrit Belle du Seigneur, il a 73 ans, habite Genève, et connaît des difficultés psychologiques graves, notamment névrotiques. Il ne faut donc pas immédiatement et par réflexe l’associer au mouvement de 1968, grandement porté par l’enthousiasme de la jeunesse.

Pour le contexte littéraire, il faut remonter au 19e pour bien comprendre les différentes dynamiques du roman : dans la première moitié du 19e, Balzac invente, avec La Comédie humaine, ensemble de plus de 90 livres, le système de passage de personnages d’un roman à l’autre, pour donner à voir le panorama d’une société entière et son évolution, sur les plans psychologiques et sociaux. Ce principe d’une œuvre conçue comme une grande fresque romanesque sera repris, sur un mode réduit (20 romans) par Zola, avec les Rougon-Macquart, mais également par Proust avec les sept tomes d’ À La Recherche du temps perdu, publiés entre 1913 et 1927. Dans cette œuvre majeure du 20e siècle, les livres marquent autant le monde littéraire par la virtuosité de l’écriture, les variations et la liberté de composition des phrases, que par les explorations psychologiques plurielles que permet le roman, Proust déployant le concept défini plus tard par le critique littéraire Bakhtine de polyphonie narrative, la présence dans le roman de plusieurs points de vue

non-unifiés par une instance narrative simple. L’œuvre de Proust, dans le premier tiers du 20e siècle, marque un tournant dans l’histoire de l’écriture romanesque.

Une autre référence qu’il faut connaître pour comprendre l’écriture et les romans d’Albert Cohen, c’est celle du flux de conscience, technique littéraire désignant la présentation directe, sans contrôle narratif, des pensées, perceptions et sentiments d’un personnage dans le roman. Le procédé est utilisé pour la première fois par des auteurs américains rapidement traduits en France dans les années 1920 : James Joyce, dans Ulysse (1922) et Virginia Woolf, Mrs Dalloway (1925).

Ce qu’il faut retenir, c’est qu’en cent ans, le genre romanesque a connu des bouleversements majeurs, dont les écrivains et écrivaine cités sont emblématiques, et qu’Albert Cohen a intégré toutes ces nouvelles données structurelles, stylistiques et psychologiques à son écriture, notamment dans Belle du Seigneur.

Présentation œuvre, genre et thème

Belle du Seigneur est donc un roman du vingtième siècle, dont le thème majeur est aussi vieux que l’histoire du roman : une histoire d’amour passionnelle et adultère. Pour nous contenter du triangle amoureux, Solal, sous-secrétaire général à la Société des Nations, désire séduire Ariane, la femme belle, cultivée et idéaliste d’Adrien Deume, un de ses inférieurs hiérarchiques, petit employé administratif sans relief ni réelle valeur, aussi ambitieux que paresseux. Il faut lire le roman, ne serait-ce que pour les pages où Albert Cohen décrit les stratagèmes procrastinateurs d’Adrien Deume, habile à tout faire sauf son travail. Notons que les personnages, notamment Solal, sont déjà apparus dans des romans précédents du même auteur, qui commence à écrire sur cette famille dès 1930, avec le roman éponyme Solal, qui préfigure en quelque sorte Belle du Seigneur.

Ce thème de l’amour adultère et de la séduction de l’épouse insatisfaite sont, comme je le disais, vieux comme l’histoire du roman. Des exemples majeurs : La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette, Bel-Ami de Maupassant, Madame Bovary de Flaubert. Albert Cohen s’inscrit donc dans ce que l’on peut appeler une tradition romanesque, qu’il se donnera notamment pour tâche de moderniser. Qui dit tradition et modernité, dit à la fois répétition et variation : que ce soit dans les scènes de séduction, d’amour, de doutes, de trahison ou de séparation, le roman fonctionne par répétitions et variations par rapport à ceux qui le précèdent. Si les étapes sont les mêmes, si des intentions, des paroles ou

des scènes, peuvent en rappeler d’autres, l’auteur innove, invente, pour déjouer les attentes du lecteur vis-à-vis de situations ou de thématiques qu’il croit connaître.

Situation du texte dans l’œuvre

Au chapitre XXXV du roman, le lecteur découvre une scène inévitable de ce genre de romans : la scène de séduction. Celle-ci s’avère extrêmement retorse, et exceptionnellement longue : sur plus de cinquante pages, nous assistons au quasi- monologue de Solal visant à persuader Ariane de succomber à son amour.

Au tout début du roman, Solal avait déjà tenté de séduire Ariane, en pénétrant par effraction chez elle, grimé en vieux Juif hideux, perruque longue et noire plantée sur les cheveux, dents coloriées en noires pour faire croire à un édenté. Il voulait la conquérir en dépit des apparences, pour que leur amour soit extraordinaire, qu’il ne se réduise pas à l’apparence physique qui selon lui décide de tout, malgré ce que l’on veut bien dire. Elle l’éconduit en l’écorchant près de l’œil avec un bout de verre.

Blessé physiquement et moralement, il ôte son déguisement et déclare avant de partir : « Femelle, je te traiterai en femelle, et c’est bassement que je te séduirai, comme tu le mérites et comme tu le veux ».

Pour ce faire, Solal va se rapprocher de Deume à la SDN. Il sympathise avec lui, lui offre une première promotion, et après un dîner manqué, l’invite dans sa chambre du Ritz. Ariane, qui avait refusé de s’y rendre sans en révéler la raison à Adrien Deume, se décide au dernier moment à faire plaisir à son mari. Entre temps cependant, ce dernier est parti parce que Solal lui a dit qu’il recevait la femme de l’un de ses collaborateurs : il a donc voulu laisser son patron tranquille.

Quand Ariane arrive au Ritz, elle se retrouve donc seule avec Solal. Celui-ci lui lance un pari : soit il arrive à la séduire en 3h, soit elle part de sa chambre avec la promotion de son mari. Seule condition : elle ne doit pas l’interrompre. Commence alors un quasi- monologue de cinquante pages, qui s’avère être un discours de séduction paradoxale (cf éloge paradoxal). Plutôt que de faire l’éloge d’Ariane, Solal dénigre tous les faux- semblants de la séduction, toutes les excuses morales que l’on peut donner à la pulsion physique primaire et animale. Le contenu de son propos est cynique et matérialiste : exemple des dents, symbole du primat du physique sur le moral (lecture p.347).

Après diverses considérations de cet ordre, Solal décide, dans son plan de séduction, d’exposer à Ariane les manèges qui le composent. Le texte que nous allons lire présente les trois premiers :

Lecture expressive du texte

Quelques remarques importantes :

- insister sur le mépris et le dédain de Solal

- appuyer les allitérations qui sont mimétiques de l’agacement consommé d’Ariane ou de « l’idiote émerveillée »

- changements de tons qui marquent les différentes parties du texte

—> il ne faut pas craindre de faire une lecture à la fois expressive et

démonstrative

- faire un choix sur les discours directs intégrés : les faire sur le ton neutre du dédain ou les lire avec un accent d’imitation caricaturale

- essayer de mettre en valeur la fonction démonstrative du discours

Enjeux de l’extrait

Comment, dans cette scène de séduction paradoxale, la variété des postures énonciatrices de Solal prend-elle Ariane dans une toile dont les fils rhétoriques la cernent de toute part ?

Par postures énonciatrices, je veux dire que Solal choisit de parler à Ariane de plusieurs manières différentes, avec différents tons, et que le rôle d’auditrice auquel elle est réduite est ambivalent : elle est à la fois un témoin extérieur aux réflexions de Solal, la cible de ses critiques, et la cible de son jeu de séduction. Solal va jouer sur ce triple statut pour déstabiliser Ariane, la rendre vulnérable.

Très simplement, l’énonciation désigne la production d’un énoncé et la façon dont on produit cet énoncé, ce discours. La posture énonciatrice désigne donc les attitudes verbales et physiques de l’énonciateur.

Mouvements du texte

Lignes 1 à 3 : Solal débute

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