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Commentaire composé incipit "Vivre vite" Brigitte Giraud

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Par   •  7 Janvier 2024  •  Commentaire de texte  •  2 252 Mots (10 Pages)  •  120 Vues

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Commentaire de texte – Brigitte Giraud, Vivre vite, 2022

        Brigitte Giraud, libraire, journaliste et écrivaine française, s’est illustrée dans le monde entier à travers plusieurs genres littéraires : le roman avec Un loup pour l’Homme (2017), ou la nouvelle, avec  le recueil L'amour est très surestimé (publié en 2007, cette œuvre reçoit le prix Goncourt de la nouvelle). Traduite dans une vingtaine de pays, et lauréate de nombreux prix littéraires (Goncourt, Jean-Giono), l’autrice est porteuse de plusieurs distinctions (Officière de l'ordre des Arts et des Lettres) et constitue aujourd’hui un pilier de la littérature française.

        L’extrait étudié est l’incipit de son roman Vivre vite, prix Goncourt 2022. Dans ce roman, à la limite du récit autobiographique, Brigitte Giraud tente de refaire l’histoire : celle de l'accident de moto qui tua son mari Claude au début de l'été 1999 à Lyon. Au moment de vendre la maison achetée ensemble vingt ans plus tôt, elle se pose cette question que l'on se pose tous lorsqu'on cherche à savoir si les choses de nos vies auraient pu être différentes : et si ?

        La romancière a pris le parti d’ouvrir son récit par un incipit in médias res, jetant le lecteur dans une histoire qui a déjà commencée, sans explication préalable sur la situation, les personnages, le lieu et le moment de l'action.

        Nous chercherons donc à comprendre l’enjeu de ce choix littéraire, en étudiant d’abord comment cet incipit réussit à accrocher, à séduire le lecteur, puis l’aspect annonciateur de cet extrait sur le roman en sa globalité, pour finir sur l’aspect cathartique de ce texte.

        

        Pour commencer, un des rôles principal de l’incipit est de donner envie au lecteur de poursuivre l’histoire. L’incipit de l’œuvre que nous étudions ne déroge pas à la règle, et ce, grâce à plusieurs éléments.

        Tout d’abord, l’action principale est banale, courante, et permet au lecteur de s’intégrer à l’histoire rapidement. Il s’agit en effet de la vente du maison, sous les « assauts des promoteurs qui [nous ? vous ? la ?]  pressaient de leur céder les lieux ». Cette vente engendre les souvenirs relatifs à l’achat de la maison, un compagnon, un fils. Une situation familière. Un cadre-spatio temporel précis accentue cette impression. L’achat de la maison date de l’« année 1999 », c’était « il y a 20 ans », nous sommes donc en 2019, en France, comme nous l’indique la précision « cette année ou les francs se convertissaient en euros ». Ce contexte précis, allié aux marques de la première personne récurrentes (« je », « me », « mon », « nous »), nous permet de replonger dans nos souvenirs. Et cette histoire devient la notre.

        Cet incipit est par ailleurs accrocheur grâce à l’impression d’oralité, d’une tirade à notre intention. Cela se justifie tout d’abord par un langage simple, parfois même familier (« tout saloper », « a gogo »), par une terminologie facile et par des apartés dans le récit à l’intention du lecteur, de l’auditoire. Avec par exemple l’explication du pronom défini « la », alors inconnu par le lecteur : « Quand je dis la maison, je veux dire la maison que j’ai achetée avec Claude ». Cette impression auditive est également renforcée par le champs lexical de l’audition : verbe « dire », « écouter », noms « silence », « musique », « sifflements ». Ce sentiment est enfin accentué par la forme même de ce texte, avec l’alternance de phrases très courtes, verbales (« Chaque once de nature était sacrée ») et nominales («Déménagement. », « A cause de l’accident. »), ou des phrases au contraire très longues (« Quand nous avons acheté, Claude et moi, cette année 1999 […] le secteur n’était pas constructible », soit 5 propositions). Cette alternance donne au texte un rythme prononcé semblable à celui d’une tirade, marqué par les respirations, plus ou moins fréquentes, ici symbolisées par une ponctuation omniprésente.

        Les deux derniers arguments évoqués peuvent être communs à tous les incipits. La particularité de celui-ci est un début in media res, direct dans l’action. L’autrice utilise alors un procédé littéraire nommé l’analepse, un retour en arrière, qui se manifeste dans ce texte par les changements de temps, présent/passé, mais aussi par les indications temporelles (« il y a 20 ans » par ex.). Ce procédé a une valeur explicative apportant des informations petit à petit, permettant au lecteur de comprendre au fur et à mesure le début in medias res, ici la découverte du décor du récit (une maison de campagne) et des protagonistes (l’autrice, son mari et son fils). Ces retours dans le temps, en dehors de leurs aspects explicatifs, permettent de créer le suspense et de maintenir l’intérêt du lecteur au fil des pages. L’autrice impose alors des effets d'attente qui ménage la surprise - et l'intérêt - du lecteur.

        Cet extrait est donc, grâce à la facilité pour le lecteur de s’identifier à l’histoire, par le rythme du texte le rendant plus vivant, et par la nature non linéaire du récit suscitant du suspense, un incipit accrocheur.

        L’un des autres objectifs d’un incipit est d'annoncer, de programmer la suite du texte. En effet, il définit le ton du roman et prépare le lecteur à la suite du texte.

        L’incipit commence sur une défaite, métaphorisée, assimilée à une reddition, après une longue lutte. La vente de la maison au promoteur est effectivement rapprochée à la guerre, comme l’atteste le champs lexical de celle-ci (« résister », « assauts », « armes »). Ce début donne le ton des paragraphes suivants, ou des allusions sombres attisent la curiosité du lecteur (« la maison que j’ai achetée avec Claude […] dans laquelle il n’a jamais vécu », « à cause de l’accident », « vendu mon âme »…). Cette ambiance sombre est renforcée à l’apparition  du mot « obsèques ». Le lecteur se fait donc une première impression sur le sujet du livre. C’est le récit de la mort d’une personne.

        Ce récit macabre est interrompu par l’analepse. Celle-ci projette le lecteur vingt ans en arrière, à l’époque de l’achat de la maison. Le premier point négatif évoqué est la passage  « où les francs se convertissaient en euros », les obligeant « à une règle de trois infantilisante ». Cet agacement passager et insignifiant contraste avec les allusions à la mort. Ce décalage nous pousse à considérer l’emploi de l’adjectif péjoratif « infantilisant », comme une marque d’ironie de l’autrice, envers l’insouciance et la naïveté de son « elle » d’autrefois. Le reste de l’analepse décrit les rêves du couple, une maison, la nature, un future radieux en perspective, comme nous l’indique le champs lexical de la joie (« séduire », « enthousiasme », « électriser »). On observe donc un contraste marquant entre joie et mort, passé et présent mais aussi des souvenirs altérés par les évènements qui les ont suivis comme l’atteste l’expression « faire des plans sur la comète » , renvoyant effectivement à la échafaudage de projets sans fondement solide et donc à un jugement des actions réalisées dans le passé.

        Cette opposition nette est cependant nuancée par la présence d’un humour décalé parfois absurde, que l’on retrouve à plusieurs endroits du texte. Par exemple, dans l’extrait « J’ai vendu mon âme, et peut-être la sienne. Le promoteur a déjà acheté plusieurs parcelles dont celle du voisin », le verbe « vendre », peut renvoyer a celui de la phrase suivante « acheter », du fait de leur appartenance au même champs lexical. Cela entraîne un parallèle absurde où le promoteur achèterait des âmes, et aurait déjà acquis celle du voisin. Ce quiproquo donne un autre ton au texte, celui de la mort tournée en ridicule par l’absurdité.  Cet extrait montre la présence d’ironie verbale dans la partie « sombre » de l’extrait. Cependant l’humour est également présent dans l’analepse, avec la  description minimaliste et absurde du voisin « qui comptait les arbres ».

        Cet incipit nous annonce un récit principalement macabre, avec néanmoins une certaine gaîté et un humour peut-être décalé et un peu triste, mais bien présent.

        L’objectif d’un roman autobiographique est par définition de restituer le passé. Il s’agit d’un moyen de revivre des moments de sa vie qu'ils soient heureux ou malheureux ; cela peut donc permettre de mieux se comprendre et de mieux se connaître ou encore permettre de se libérer d’émotions ou de souvenirs douloureux, on peut parler d’une fonction cathartique.

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