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Introduction Du Livre Mythes, Mémoire Et Mensonges. L'Intelligentsia Du Québec Et La Tentation Fasciste 1939-1960 Par Esther Delisle

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ne statue de trois mètres cinquante pesant quelques tonnes et représentant un Premier ministre (Maurice Duplessis) qui a dirigé la province pendant seize ans disparaît sans laisser de traces, sans que même une commission d’enquête ne parvienne à retrouver sa trace. Et une guerre mondiale (la seconde) met la planète à feu et à sang sans que personne ici ne semble s’en souvenir.

Au début des années 1960, les jeunes loups du souverainisme et les loups matures du fédéralisme créent le mythe de la Révolution Tranquille et celui de son corollaire obligé, la Grande Noirceur. Les premiers sont anxieux de dissimuler les origines idéologiques d’extrême droite de leur option politique tandis que les seconds veulent oublier qu’ils y ont adhéré dans leur jeunesse. Cette opération d’occultation du passé récent sert alors les uns et les autres : les premiers parce qu’ils peuvent poser comme des révolutionnaires en rupture de banc avec un clergé obscurantiste, et les seconds parce qu’ils peuvent prétendre leur avoir pavé la voie en s’opposant au régime de Maurice Duplessis. Ces deux groupes sont les architectes de la mémoire officielle au Québec, et leur succès étonne quand on songe à l’ampleur de la mystification. Ce succès s’explique en partie par le fait que ces deux groupes, souverainiste et fédéraliste, ont le vent dans les voiles dans les années soixante et s’installent aux commandes du pouvoir politique et intellectuel. Les mythes qu’ils créent et qui les servent si bien ne tardent pas à se muer en une orthodoxie aussi tranquille qu’inexpugnable.

La génération de René Lévesque et de Pierre Elliott Trudeau est une génération sans jeunesse. Pourtant, avoir vingt ans ou presque quand la Seconde Guerre mondiale éclate n’est pas rien. Lors de ce conflit d’une ampleur sans précédent dans l’histoire de l’humanité, que ressentent-ils, que pensent-ils, quels belligérants appuient-ils? À lire les mémoires de Pierre Elliott Trudeau, de Gérard Pelletier et de Gérard Filion, entre autres Canadiens français aux futures carrières prestigieuses, on pourrait croire qu’ils n’ont rien vu, rien entendu, rien dit et qu’ils ne s’intéressaient, et encore, qu’à la lutte contre la conscription. René Lévesque sera correspondant de guerre en Europe, mais il mentira sur quelques-uns de ses faits et gestes à cette époque. Il est remarquable de constater que Pierre Elliott Trudeau et René Lévesque expriment tous deux et en des termes presque similaires leur regret de n’avoir pas participé à ce qu’ils perçoivent comme étant la grande aventure des hommes de leur génération. Néanmoins, il y a plus à ces silences et à ces mensonges qu’une simple égratignure narcissique. Il y a la nécessité de dissimuler des partis pris devenus inavouables avec la victoire des Alliés. Ces hommes doivent oublier et faire oublier qu’ils ont succombé au chant des sirènes fascistes ou dictatoriales ou, au mieux, qu’ils ne s’y sont jamais opposés.

Omissions et mensonges sont les deux outils principaux par lesquels ils occultent leur jeunesse. En cela, ils retiennent bien les leçons de leur maître à penser Lionel Groulx et de leur mentor André Laurendeau. Dans ses mémoires, Lionel Groulx consacre quelques pages au sujet de la guerre, ce qui étonne quand on songe à ses tirades exaltées en faveur de Mussolini et son fascisme déclaré d’avant-guerre. Il montre la voie en ne parlant que du référendum sur la conscription et du Bloc populaire canadien.

Dans la même perspective que celle adoptée par Lionel Groulx, André Laurendeau rédige le livre tragicomique par excellence : La Crise de la conscription 1942.1 Voulant justifier son absence de critiques du régime de Vichy, il ment d’une manière absurde en prétendant avoir tout ignoré des conditions de vie en France occupée. Laurendeau s’approprie ensuite le drame dont il dit tout ignorer et écrit, sans rire, que le Québec a aussi ployé sous le joug fasciste durant ces terribles années. Sous la plume de cet habile prestidigitateur, le Premier ministre du Canada William Lyon MacKenzie King endosse le rôle de “führer” ou de “duce”, et le Premier ministre du Québec Adélard Godbout revêt les attributs du “collaborateur”. De quel crime abominable ce duo se rend-il coupable selon lui? De l’instauration d’un régime universel d’assurance chômage, rien de moins. Si à cette époque les braves gens de l’Europe occupée tremblent à l’idée que la Gestapo vienne frapper à leurs portes à minuit, les gens du Québec, eux, tremblent à l’idée de trouver un chèque d’assurance chômage dans leur boîte à lettres. Autres pays, autres frayeurs, faut-il croire! Laurendeau, que les années rendent de plus en plus déraisonnable, écrit au congrès national du Bloc populaire canadien le 4 février 1944 : “Cette réunion a lieu dans des circonstances tragiques au milieu d’une guerre qui aura semé le désordre, la misère et la mort.”2

Il y a quelque chose d’indécent à s’approprier le malheur d’autrui, et encore plus quand on appuie l’instrument de ce malheur. Toujours en 1944, André Laurendeau harangue les foules en réclamant pour la province de Québec un régime national et social qui la libérera du cauchemar du système parlementaire et qui châtiera les politiciens comme ils le méritent. L’expression de régime national et social (comme dans national-socialisme), prononcée en 1944 à quelques mois du débarquement en Normandie, n’est pas innocente. Surtout lorsqu’elle sort de la bouche d’un leader politique et directeur d’une revue nationaliste, qui a vécu quelques années en France durant les cruciales années trente. Le journal du Bloc populaire canadien, dont il est le secrétaire, regorge de propos élogieux à l’endroit du dictateur portugais Salazar et décrit la guerre comme étant le fait des Anglos et des youpins. Laurendeau ne lit-il donc pas le journal de son propre parti politique? Mais les gens, qui joignent les rangs du Bloc populaire canadien par haine des vieux partis et par nationalisme bien plus que par opposition à la conscription, ne s’y trompent pas, eux. D’ailleurs, le Bloc populaire canadien est fondé après le référendum sur la conscription, ce qui montre qu’il a bien d’autres chats à fouetter. La vérité est que Laurendeau renoue à la faveur de la guerre avec les convictions fascistes de sa jeunesse, si tant est qu’il ait jamais rompu avec elles.

En faisant de la conscription l’enjeu principal, sinon exclusif, de la Seconde Guerre mondiale pour les Canadiens français, Laurendeau crée la fable autour de laquelle se cristallisera la mémoire historique. Cependant, il n’est pas dupe de sa propre mystification. “Au sens plein et formel du terme, la conscription n’a pas eu lieu : cette longue histoire serait-elle donc une sinistre plaisanterie?”, se demande-t-il à la fin de La crise de la conscription 1942. Ce livre est d’ailleurs publié en 1962, au moment où se forgent les mythes de la Révolution tranquille et de la Grande Noirceur. La mystification est reprise par les fédéralistes d’âge mûr à la veille de devenir ministres dans le gouvernement fédéral et par les jeunes turcs nationalistes qui s’installent à demeure, croient-ils, dans les citadelles étatiques et universitaires québécoises. Sous leurs plumes empressées à refaire un passé virginal pour eux-mêmes et pour la nation, la crise de la conscription acquiert rapidement le statut d’un dogme. Avec de tels services rendus par un prestidigitateur aussi talentueux, on ne s’étonnera pas qu’André Laurendeau deviennent une figure de proue des deux camps.

À quelles activités s’adonnent les notables de la Ligue pour la Défense du Canada et du Bloc populaire canadien pendant la guerre, quand leur noble combat contre la conscription leur en laisse le loisir? Une partie de la réponse se trouve dans les archives du Secrétariat d’État américain et de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). On apprend par exemple dans les rapports acheminés au Secrétariat d’État par Rollin R. Winslow (le consul américain en poste à Québec) que deux jeunes hommes, âgés d’à peine vingt ans, sont arrêtés en mars 1942 pour distribution de propagande nazie. Raymond Chouinard et Lauréat Tardif font partie d’une organisation subversive clandestine dotée d’un nom aussi évocateur que sinistre : la Garde de fer. La saisie de documents par la GRC au domicile de Lauréat Tardif révèle que lui et son comparse ne sont que du menu fretin et que les dirigeants du mouvement sont certaines éminences nationalistes de l’époque : Lionel Groulx, Philippe Hamel, René Chaloult, Oscar Drouin et Paul Gouin, entre autres.

Raymond Chouinard explique alors à un agent de la GRC que le financement de la Garde de fer ne posait aucun problème jusqu’à ce que les États-Unis entrent en guerre. Depuis, confesse le jeune Chouinard, les choses sont plus difficiles, mais son organisation se débrouille pour obtenir les fonds dont elle a besoin. Cette information suggère donc que la Garde de fer est financée par une puissance extérieure. D’ailleurs, le carnet d’adresses de Lauréat Tardif contient les noms de plusieurs organisations et personnalités étrangères, dont entre autres celui d’Eugène Deloncle, un ancien membre de l’Action française et un important partisan de l’ordre nazi en France qui fonde le Mouvement social révolutionnaire pendant la guerre afin de mettre en pratique de façon violente ses convictions.

Tout cela se déroule sur fond d’émissions de Radio-Vichy et de Radio-Paris sur ondes courtes, annonçant les progrès de l’élimination des Juifs en Europe, vantant la formation

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