DissertationsEnLigne.com - Dissertations gratuites, mémoires, discours et notes de recherche
Recherche

Le Mariage de Figaro / Acte V, scène 3

Commentaire de texte : Le Mariage de Figaro / Acte V, scène 3. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires

Par   •  10 Mars 2022  •  Commentaire de texte  •  2 423 Mots (10 Pages)  •  1 013 Vues

Page 1 sur 10

OBJET ‘ÉTUDE : LE THÉÂTRE DU XVIIÈME AU XXIÈME SIÈCLE

Séquence 5 : Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, 1784

Explication de texte n°14 : Beaumarchais, Le Mariage de Figaro,  V, 3 (extrait)

Introduction : Voir introductions précédentes + situation du passage = Le mariage de Figaro et Suzanne a eu lieu à la fin de l'acte IV. À cette occasion Figaro a surpris le comte alors qu'il recevait un billet attaché par une épingle. Il apprend par Fanchette que cette épingle doit être rapportée à Suzanne comme « le cachet des grands marronniers » . Figaro, jaloux croit que Suzanne a rendez-vous avec le comte et qu'elle le trahit. Au début de l'acte V, il se rend sous les marronniers pour surprendre le comte et Suzanne et, en attendant leur venue, prononce ce long monologue dans lequel il revient sur son parcours de vie. Comment l'expérience de vie de Figaro lui permet-elle de prendre position sur la société de son temps ?

TEXTE

ÉTUDE LINÉAIRE

Figaro exprime d'abord sa rivalité avec le comte et critique les privilèges des nobles

Non, monsieur le comte, vous ne l’aurez pas… vous ne l’aurez pas. Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !… noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus : du reste, homme assez ordinaire ! tandis que moi, morbleu, perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes ; et vous voulez jouter !… On vient… c’est elle… ce n’est personne.

  • « Non, monsieur le comte, vous ne l’aurez pas… vous ne l’aurez pas. » : début de la réplique : négation + répétition d'une phrase négative qui exprime la volonté de Figaro : refus de laisser Suzanne au comte. Ton catégorique et virulent contre son rival.

« Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie!… » : structure symétrique de la phrase mais opposition entre « vous êtes » et « vous vous croyez » + parallélisme entre « grand seigneur » et « grand génie » > Figaro distingue la nature du comte et ce qu'il imagine être. Pour Figaro la naissance n'est pas signe d'intelligence ni de talent. L'exclamation exprime l'indignation de Figaro et les points de suspension laisse planer l'implicite : Figaro sous-entend ainsi que cette affirmation est fausse. Il va donc énumérer ce qui caractérise le comte : « noblesse, fortune, un rang, des places, » et en tirer une conséquence : « tout cela rend si fier ! » toujours sur le mode exclamatif qui souligne aussi le ton ironique de Figaro. Le pronom démonstratif « cela » est assez dépréciatif. Puis il va s'adresser directement au comte grâce à une question rhétorique : « Qu’avez-vous fait pour tant de biens? vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus: du reste, homme assez ordinaire! » > « donné la peine » = antiphrase + « rien de plus » > le comte ne s'est donné aucun mal

  • « tandis que moi, morbleu » : opposition avec la situation de Figaro qui va mettre en avant ses mérites. La conviction se ressent dans le juron : »morbleu » + « perdu dans la foule obscure » : le groupe nominal souligne sa banalité, rien ne le distingue de la masse. « il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes; » : très longue phrase qui souligne le mérite de Figaro et sa volonté de réussir. Verbe de nécessité « il m'a fallu » + verbe « déployer » = ampleur de la tâche. La comparaison entre sa stratégie et le gouvernement de l'Espagne = amplification comique. Figaro est un héros ! La phrase qui suit, très courte : « et vous voulez jouter!… " est encore une adresse directe au comte et permet de souligner l'infériorité du comte. Le verbe « jouter » = référence au vocabulaire de la chevalerie ; grande maîtrise du discours de Figaro qui ne cesse de jouer avec l'implicite et le sous-entendu. Ici ce sont les points de suspension qui suggèrent que la joute est inutile , Figaro est supérieur au comte.

Le début de la vie de Figaro : son mérite n'est pas reconnu


— La nuit est noire en diable, et me voilà faisant le sot métier de mari, quoique je ne le sois qu’à moitié ! (Il s’assied sur un banc.) Est-il rien de plus bizarre que ma destinée ! Fils de je ne sais pas qui ; volé par des bandits ; élevé dans leurs mœurs, je m’en dégoûte et veux courir une carrière honnête ; et partout je suis repoussé ! J’apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie ; et tout le crédit d’un grand seigneur peut à peine me mettre à la main une lancette vétérinaire !

Ce monologue qui retrace le parcours de la vie de Figaro depuis sa naissance, est un autoportrait qui vise à montrer l'énergie du personnage et les talents déployés pour réussir sa vie

  • Figaro fait d'abord un constat en partant de sa situation présente : « me voilà faisant le sot métier de mari, quoique je ne le sois qu’à moitié! » 1°personne = récit personnel. Puis il va revenir sur son parcours : « Est-il rien de plus bizarre que ma destinée! » : constat qui annonce une explication qui va suivre
  • Puis il revient sur ses origines : « Fils de je ne sais pas qui; volé par des bandits; élevé dans leurs mœurs, » : origines obscures, insistance sur l'absence de “naissance” > Figaro doit donc avoir plus de mérite que les autres; « je m’en dégoûte et veux courir une carrière honnête » : présent de narration: actualisation : la vie de Figaro se déroule sous les yeux du spectateur. “je veux” : volonté de réussir honnêtement Figaro prend en main sa vie et veut contrarier sa destinée de départ. Figaro s'est fait tout seul malgré les obstacles que lui oppose une société figée par l'immobilisme social. : Énumération de sciences “la chimie, la pharmacie la chirurgie”= difficulté / opposé à « peine une lancette vétérinaire » > mérite non reconnu : “et partout je suis repoussé.” Sa condition ne lui a pas permis d'obtenir le succès espéré

Figaro change de voie et devient écrivain , ce qui lui donne l'occasion de critiquer la censure.

Las d’attrister des bêtes malades, et pour faire un métier contraire, je me jette à corps perdu dans le théâtre : me fussé-je mis une pierre au cou ! Je broche une comédie dans les mœurs du sérail : auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule : à l’instant un envoyé… de je ne sais où se plaint que j’offense dans mes vers la Sublime Porte, la Perse, une partie de la presqu’île de l’Inde, toute l’Égypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d’Alger et de Maroc ; et voilà ma comédie flambée, pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l’omoplate, en nous disant : Chiens de chrétiens ! — Ne pouvant avilir l’esprit, on se venge en le maltraitant.

  • Après une première expérience dans le domaine scientifique il va tenter l'écriture et devient dramaturge : succession d'étapes : « Las d’attrister des bêtes malades, (…) je me jette à corps perdu dans le théâtre » : opposition entre « las » et « à corps perdu » : le dynamisme de Figaro ne s'émousse pas. Il change de domaine pour tenter autre chose > l'accent est mis sur sa capacité à exercer des activités très différentes : « pour faire un métier contraire » , ce qui montre qu'à l'opposé du comte, lui, a du talent ou du génie!
  • Mais très vite expression du regret : « me fussé-je mis une pierre au cou! » + explication qui montre l’efficacité de la censure. « Je broche une comédie dans les mœurs du sérail »: choix du sujet de sa comédie « dans les moeurs du sérail » = sujet lié à une société lointaine, exotique.” auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule”. L'opposition “espagnol”, “Mahomet” met l'accent sur la distance et le modalisateur rend compte des précautions prises. Mais ces précautions seront sans effet. L'indice temporel : « à l’instant »  souligne la rapidité de la censure. A peine écrits tous les textes de Figaro sont immédiatement censurés. L'énumération qui suit : «j’offense dans mes vers la Sublime Porte, la Perse, une partie de la presqu’île de l’Inde, toute l’Égypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d’Alger et de Maroc » est hyperbolique et a pour seul but de montrer sur le mode comique l'étendue de la censure. La censure est rapide car elle reflète une volonté politique : “pour plaire aux princes mahométans” et Figaro en est victime. Les oeuvres sont détruites ou leur auteur se retrouve en prison; évocation de la situation des auteurs au XVIII° siècle. Beaumarchais et d'autres ont pu en faire l'expérience. Le résultat est annoncé dans une phrase concise : «et voilà ma comédie flambée ». Figaro va généraliser sa critique et en tirer une conclusion au présent de vérite générale : « Ne pouvant avilir l’esprit, on se venge en le maltraitant. » > le valet est ici le porte parole de l'auteur, le langage est plus soutenu, ce n’est plus celui d’un valet. L’auteur défend ainsi le droit à la liberté d’expression ; supériorité de l'esprit (les auteurs) / infériorité de la violence (les censeurs). La censure règne partout. Représentée comme une entité toute puissante; Organe qui exerce une surveillance perpétuelle. Désignée par « on » (indéfini) « on se venge »

La ruine et la prison

— Mes joues creusaient, mon terme était échu : je voyais de loin arriver l’affreux recors, la plume fichée dans sa perruque ; en frémissant je m’évertue. Il s’élève une question sur la nature des richesses ; et comme il n’est pas nécessaire de tenir les choses pour en raisonner, n’ayant pas un sou, j’écris sur la valeur de l’argent, et sur son produit net : aussitôt je vois, du fond d’un fiacre, baisser pour moi le pont d’un château-fort, à l’entrée duquel je laissai l’espérance et la liberté. 

Les difficultés financières vont obliger Figaro à trouver une nouvelle activité : «  Mes joues creusaient, mon terme était échu ». « n’ayant pas un sou ». Figaro fait alors un nouveau choix et va changer de genre : “j'écris sur la valeur de l'argent”, il cite deux expériences différentes qui ont des conclusions identiques : « aussitôt je vois baisser pour moi le pont d'un château fort à l’entrée duquel je laissai l’espérance et la liberté » ; l'indice de temps souligne encore la rapidité de la censure et cette fois Figaro est emprisonné comme le souligne la phrase tout en atténuation et en ironie : l'entrée en prison est présentée comme un privilège qui permet de se débarrasser d'un fardeau.

La colère de Figaro, porte parole de Beaumarchais

(Il se lève.) Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu’ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! Je lui dirais… que les sottises imprimées n’ont d’importance qu’aux lieux où l’on en gêne le cours ; que, sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. 

  • Expression de sentiments personnels au conditionnel de souhait : « Que je voudrais bien tenir ». désignation dévalorisante : « un de ces puissants de quatre jours » la précision de temps souligne le peu de puissance, durée très courte. Figaro souligne leur manque de conscience : « si légers sur le mal qu’ils ordonnent », grâce à l'opposition entre « mal » et « si légers ». Mais eux aussi sont exposés au risque de tomber en mésestime : « une bonne disgrâce » : périphrase ironique de Figaro qui souhaite la disgrâce aux puissants pour qu'ils deviennent plus humbles après avoir « cuvé [leur] orgueil »
  • Figaro va une nouvelle fois exprimer sa pensée comme s'il était en tête à tête avec un puissant, comme il l'avait fait avec le comte : « je lui dirais » > vivacité du monologue qui ménage des moments où Figaro ne semble plus seul sur scène, il dialogue avec des personnages imaginaires.
  • Succession de maximes au style indirect pour renforcer la critique de la censure :« que les sottises imprimées n’ont d’importance qu’aux lieux où l’on en gêne le cours;
  • que, sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur: revendique la liberté d'expression et la possibilité de critiquer à la fois de manière positive (éloge flatteur) et négative (blâmer). Seuls le pouvoir autoritaire n'accepte que l'éloge.
  • et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. » ironie Écart entre la nature des écrits et leur impact; révèle la petitesse des censeurs: répétition de l'adjectif.

Phrases au présent + utilisation du pluriel et des articles définis qui donnent à ces phrases une portée universelle.

Eléments de conclusion : Ce monologue, particulièrement long, aurait pu être pesant et casser le rythme trépidant de la pièce. Or, cette satire est aussi un "morceau de théâtre" en tout point remarquable : elle donne à l'acteur qui interprète Figaro l'occasion de faire un numéro d'acteur total. Figaro décrit ainsi une société figée dans ses privilèges (on retrouvera cette même critique dans la bouche de l'Ingénu de Voltaire) En ce sens Beaumarchais est bien un homme des Lumières. Il critique ici les privilèges et le conservatisme, le manque de mobilité sociale qui rend impossible toute ascension par le talent. Il critique aussi un fléau pour les écrivains de son temps: la censure si redoutable à cause de laquelle certains ont perdu la vie. Mais cette critique se fait sur le mode de l'humour et de l'ironie et le passage reste fondamentalement un monologue de comédie. Le personnage de Figaro annonce tout de même les valets du XIXème et XXème siècle dont les revendications s’affirment, notamment Ruy Blas dont la rivalité face à Don Salluste va jusqu’à la mise à mort.

...

Télécharger au format  txt (14.1 Kb)   pdf (103.3 Kb)   docx (194 Kb)  
Voir 9 pages de plus »
Uniquement disponible sur DissertationsEnLigne.com