Le registre fantastique

Révisions : le registre littéraire fantastique – CORRECTION

Lisez attentivement l’extrait suivant puis répondez aux questions :

En visite dans le sud-ouest, le narrateur, amateur d'art, se trouve devant une statue de Vénus...

Quoi qu'il en soit, il est impossible de voir quelque chose de plus parfait que le corps de cette Vénus ; rien de plus suave, de plus voluptueux que ses contours ; rien de plus élégant et de plus noble que sa draperie. Je m'attendais à quelque ouvrage du Bas-Empire ; je voyais un chef-d’œuvre du meilleur temps de la statuaire. Ce qui me frappait surtout, c'était l'exquise vérité des formes, en sorte qu'on aurait pu les croire moulées sur nature, si la nature produisait d'aussi parfaits modèles.

La chevelure, relevée sur le front, paraissait avoir été dorée autrefois. La tête, petite, comme celle de presque toutes les statues grecques, était légèrement inclinée en avant. Quant à la figure, jamais je ne parviendrai à exprimer son caractère étrange, et dont le type ne se rapprochait de celui d'aucune statue antique dont il me souvienne. Ce n'était point cette beauté calme et sévère des sculpteurs grecs, qui, par système donnaient à tous les traits une majestueuse immobilité. Ici, au contraire, j'observais avec surprise l'intention marquée de l'artiste de rendre la malice arrivant jusqu'à la méchanceté. Tous les traits étaient contractés légèrement : les yeux un peu obliques, la bouche relevée des coins, les narines quelque peu gonflées. Dédain, ironie, cruauté, se lisaient sur ce visage d ‘une incroyable beauté cependant. En vérité, plus je regardais cette admirable statue, et plus j’éprouvais le sentiment pénible qu'une si merveilleuse beauté pût s'allier à l'absence de sensibilité.

Deux apprentis qui n’aiment pas la statue discutent en l’observant :

“ Si j’avais mon ciseau à froid (…) je lui ferais bientôt sauter ses grands yeux blancs, comme je tirerais une amande de sa coquille. Il y a pour plus de cent sous d’argent. ” Ils firent quelques pas en s’éloignant.

“ Il faut que je souhaite le bonsoir à l’idole ”, dit le plus grand des apprentis, s’arrêtant tout à coup. Il se baissa et probablement ramassa une pierre. Je le vis déployer le bras, lancer quelque chose, et aussitôt un coup sonore retentit sur le bronze Au même instant l’apprenti porta la main à sa tête en poussant un cri de douleur. “ Elle me l’a rejeté ! ” s’écria-t-il.

Et mes deux polissons prirent la fuite à toutes jambes. Il était évident que la pierre avait rebondi sur le métal.                                

                                                                                    Prosper MÉRIMÉE, La Vénus d’Ille.

QUESTIONS

1. Quel est le point de vue du narrateur dans ce passage ? Le point de vue adopté est interne : le narrateur dévoile ses impressions, son avis, ses sentiments. Justification : emploi de la première personne du singulier – « Je m‘attendais à quelque ouvrage du Bas-Empire ».  Sa description est-elle objective ou subjective ? Sa description est subjective, puisque soumise à son jugement, à se impressions... Justifiez votre réponse par un exemple du texte que vous expliquerez. Quel est l’intérêt de ce choix dans un récit fantastique ? Le point de vue interne qui rend la description subjective permet donc l’hésitation permanente entre explications réelles et surnaturelles. Le principe de l’hésitation, du doute est caractéristique du registre fantastique.
2. Comment s’organise la description de la statue : quel ordre a choisi le narrateur ? Le narrateur s’intéresse d’abord à la silhouette de la statue (vue d’ensemble) avant de nous livrer les détails de son visage. Il part donc d’une description générale avant de glisser vers les points de détail.
3. Quels sont les deux champs lexicaux dominants qui caractérisent la statue ? Pour chacun d’eux, relevez quatre mots ou expressions du texte. Les deux champs lexicaux qui s’opposent dans le texte sont ceux de la beauté (perfection) et de la méchanceté (malice). Voir relevé dans le texte.
4. Relevez dans le texte un adjectif épithète (« suave l.2, voluptueux l.2, étrange l.9 »), un adjectif apposé (« relevée l.7, petite l.7 »), une proposition subordonnée relative (« qui, par système donnaient à tous les traits une majestueuse immobilité » l.1-12) et un complément du nom (« du Bas-Empire l.3, des formes l.5 »).
5. En quoi cette description annonce –t-elle déjà le fantastique ? Le caractère singulier, « double » de la statue, qui allie beauté et malice, la rend déjà étrange, propre à la double interprétation (réelle /surnaturelle).

En quoi la dernière remarque de l’apprenti puis celle du narrateur sont-elles également typiques du processus fantastique ? Voir relevé dans le texte. À travers ces deux remarques, le narrateur oppose la superstition de l’apprenti au pragmatisme (démarche scientifique) du narrateur.