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Syllogismes

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'ai du mal à porter le poids de mon propre corps…

JEAN.

C'est de la neurasthénie alcoolique, la mélancolie du buveur de vin...

BÉRENGER, continuant.

Je sens à chaque instant mon corps, comme s'il était de plomb, ou comme si je portais un autre homme sur mon dos je ne me suis pas habitué à moi-même. Je ne sais pas si je suis moi. Dès que je bois un peu, le fardeau disparaît, et je me reconnais, je deviens moi.

JEAN.

Des élucubrations ! Bérenger, regardez-moi. Je pèse plus que vous. Pourtant, je me sens léger, léger, léger (II bouge ses bras comme s'il allait s'envoler. Le Vieux Monsieur et le Logicien qui sont de nouveau entrés sur le plateau ont fait quelques pas sur la scène en devisant. Juste à ce moment, ils passent à côté de jean et de Bérenger. Un bras de jean heurte très fort le Vieux Monsieur qui bascule dans les bras du Logicien.)

LE LOGICIEN, continuant la discussion.

Un exemple de syllogisme . (Il est heurté.) Oh !...

LE VIEUX MONSIEUR, à Jean.

Attention. (Au Logicien.) Pardon.

JEAN, au Vieux Monsieur.

Pardon

LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.

Il n'y a pas de mal.

LE VIEUX MONSIEUR, à Jean.

Il n'y a pas de mal.

(Le Vieux Monsieur et le Logicien vont s'asseoir à l'une des tables de la terrasse, un peu à droite et derrière Jean et Bérenger )

BÉRENGER, à Jean.

Vous avez de la force.

JEAN.

Oui, j'ai de la force, j'ai de la force pour plusieurs raisons. D'abord, j'ai de la force parce que j'ai de la force, ensuite j'ai de la force parce que j'ai de la force morale. J'ai aussi de la force parce que je suis pas alcoolisé. Je ne veux pas vous vexer, mon cher ami, mais je dois vous dire que c'est l'alcool qui pèse en réalité.

LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.

Voici donc un syllogisme exemplaire Le chat a quatre pattes. Isidore et Fricot ont chacun quatre pattes Donc Isidore et Fricot sont chats.

LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.

Mon chien aussi a quatre pattes.

LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.

Alors, c'est un chat.

BÉRENGER, à Jean.

Moi, j'ai à peine la force de vivre. Je n'en ai plus envie peut-être.

LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien après avoir longuement réfléchi.

Donc, logiquement, mon chien serait un chat.

LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.

Logiquement, oui. Mais le contraire est aussi vrai.

BÉRENGER, à Jean.

La solitude me pèse. La société aussi.

JEAN, à Bérenger.

Vous vous contredisez. Est-ce la solitude qui pèse, ou est-ce la multitude ? Vous vous prenez pour un penseur et vous n'avez aucune logique.

LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.

C'est très beau, la logique.

LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur

A condition de ne pas en abuser.

BÉRENGER, à Jean.

C'est une chose anormale de vivre.

JEAN.

Au contraire. Rien de plus naturel. La preuve : tout le monde vit.

BÉRENGER.

Les morts sont plus nombreux que les vivants. Leur nombre augmente. Les vivants sont rares.

JEAN.

Les morts, ça n'existe pas, c'est le cas de le dire !... Ah ! ah! … (Gros rire.) Ceux-là aussi vous pèsent ? Comment peuvent peser des choses qui n'existent pas?

BÉRENGER.

Je me demande moi-même si j'existe.

JEAN, à Bérenger.

Vous n'existez pas, mon cher, parce que vous ne pensez pas ! Pensez, et vous serez.

LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.

Autre syllogisme : tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat.

LE VIEUX MONSIEUR.

Et il a quatre pattes C'est vrai, j'ai un chat qui s'appelle Socrate.

LE LOGICIEN. Vous voyez...

Eugène Ionesco, Rhinocéros (1959), in Théâtre, III, éd. Gallimard.

En savoir plus sur la pièce : RHINOCÉROS

Présentation

ORIENTATIONS ET THÈMES

Rhinocéros fut créé à Düsseldorf en 1959 puis mis en scène à Paris en 1960 par Jean-Louis Barrault qui en assura le succès. Dans Notes et contre-notes, Ionesco évoque la simplicité de la forme : " Je respecte les lois fondamentales du théâtre : une idée simple, une progression également simple et une chute. " En effet, la pièce se compose de trois actes, dont le second est divisé en deux tableaux. L'auteur en donne ainsi l'orientation générale et l'argument :

Bien qu'elle soit une farce, elle est surtout une tragédie. [...] Nous assistons à la transformation mentale de toute une collectivité: les valeurs anciennes se dégradent. sont bouleversées, d'autres naissent et s'imposent. Un homme assiste impuissant à la transformation de son monde contre laquelle il ne peut rien, il ne sait plus s'il a raison ou non, il débat sans espoir, il est le dernier de son espèce. II est perdu.

STRUCTURE DE LA PIÈCE ET ÉVOLUTION

Le décor du premier acte présente une rue, une épicerie, une terrasse de café, une église au loin. Deux personnages attablés à la terrasse conversent Jean et Bérenger, interrompus par le galop d'un rhinocéros qui suscite le rassemblement d'une ménagère, d'un épicier et d'une épicière, du patron du café, de la serveuse, d'un vieux monsieur et d'un logicien. Ensuite survient Daisy, une collègue de bureau de Jean et Bérenger. L'opinion publique est ainsi représentée, bouleversée par la présence des rhinocéros, préoccupée par ce scandale.

Le premier tableau du second acte se déroule dans le bureau de l'administration où travaillent Bérenger et ses collègues : on échange des vues sur le nouveau scandale lorsque surgit Mme Boeuf, épouse d'un des employés, absent ce jour-là, et poursuivie par un rhinocéros qui se révèle être son mari, métamorphosé. Les pompiers, avertis, font descendre tout le monde par la grande échelle, pour échapper à l'invasion des rhinocéros. Le second tableau présente un lieu plus intime, la chambre de Jean. Bérenger vient le visiter alors qu'il est alité. C'est l'occasion d'une nouvelle discussion entre eux au cours de laquelle Jean se métamorphose progressivement en rhinocéros, prêt à piétiner son ancien ami. À la fin du tableau, une multitude de rhinocéros surgissent, envahissent les lieux tandis que Bérenger s'enfuit.

Le troisième acte se déroule dans la chambre de Bérenger et comporte quatre scènes : tout d'abord, Bérenger, seul, est la proie de cauchemars, croyant être lui aussi contaminé. Dans la deuxième scène, Dudard, un collègue, tente d'expliquer et de légitimer devant son interlocuteur inquiet l'épidémie de rhinocérite, quand arrive Daisy qui exhorte Bérenger au calme. Dudard, attiré par les rhinocéros, sort et les laisse seuls. Débute alors une scène d'amour, interrompue par la sonnerie du téléphone et des barrissements : malgré les exhortations éperdues de Bérenger, Daisy répond à leur appel. La dernière scène présente alors un monologue de Bérenger, hésitant, déchiré jusqu'à un ultime sursaut de résistance qui fait de lui " le dernier homme "...

La pièce présente donc un rythme très soutenu, faisant alterner des dialogues restreints à deux ou trois personnages (voire un monologue) et des passages mouvementés. Les conversations collectives regroupent de nombreux personnages qui symbolisent l'opinion publique et ses vagues successives. L’irruption des rhinocéros perturbe ces échanges ; ils prolifèrent peu à peu tandis que les personnages humains disparaissent un à un. L'auteur Se focalise donc tour à tour sur l'unité - le personnage de Bérenger en crise, la transformation inéluctable de Jean - et sur la multiplicité d'une

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