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Villiers De L'Isle-Adam : Le Réalisme Dans La Peine De Mort

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ce meuble pourrait servir à couper le pain chez les grands boulangers. Où donc est la simple dignité de la Loi, l'indémodée solennité de la Mort, la hauteur de l'exemple, le «sérieux» de la sentence ? Phrases, paraît-il, tout cela...

C'en est une, aussi, de dire cela : car on ne sort pas des phases sur la terre. Les uns se traduisent en phrases viles, les autres en phrases nobles : - chacun son choix : et l'on est pas libre de choisir : c'est fait en naissant, de quelque sourire que l'on essaie d'en douter.

- Passons. - Pendant que je regarde flotter sur le miroitement de la large lame l'ombre des feuillages environnants, cette lame disparaît tout d'un coup. J'entends un choc sec et lourd, amorti par des ressorts, - pareil à celui d'une demoiselle enfonçant un pavé. Je comprends. C'est un essai. La planche mortelle s'est couchée sur sa coulisse, comme une rallonge de table, plagiant ainsi le chevalet du classique Procuste. Rien de nouveau sous la lune ! Donc l'on répète, ici, le drame pour les accessoires. - Ah ! j'aperçois, soudain, à côté de moi, le metteur en scène lui-même, qui échange un coup d'oeil oblique avec ses deux régisseurs. - En face de l'instrument se tient quelqu'un (M. le chef de la Sûreté, je crois) devant la censure duquel on a fait jouer le tragique mécanisme. Il approuve de la tête en silence, - puis tire sa montre dont il essaie de distinguer l'heure.

Ayant résumé l'outil du regard, il se dirige vers le seuil de la prison pour les derniers ordres, car le petit jour blanchit peu à peu l'espace, les choses, les silhouettes ; lanternes et réverbères jaunissent. Le moment approche.

Chacun pense : Dort-il ?

Le geôlier-chef, qui passe, affirme que «oui, et profondément».

A l'entrée, auprès d'un fourgon, je vois une forme noire, un prêtre : c'est l'aumônier. Je viens à lui. Sa voix est fort émue, ses yeux sont en pleurs ; il a le frisson. Il est tout jeune ; long et blond. C'est sa première tête. Mais on l'appelle à voix basse. Il est temps de réveiller le dormeur. Il entre, suivi des cinq ou six témoins d'ordonnance. L'exécuteur et ses seconds ferment la marche.

Leur réapparition, augmentée d'un nouveau personnage, se produira, désormais, sous trente ou trente-cinq minutes au plus.

Je m'éloigne donc et me promène dans une allée, vers la foule lointaine.

Les étoiles pâlissent : on commence à s'entrevoir.

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Je suis un peu pensif, je l'avoue. De cette guillotine moins l'échafaud, - de cette chute un peu trop basse, en vérité, du couteau légal (qui a l'air de s'abîmer dans une souricière) se dégage, pour tout esprit, l'impression d'on ne sait quelle grossièreté dérisoire, commise envers la Loi, la Nation, l'Humanité et la Mort. Ce sans-façon trivial, cette exagération dans le terre-à-terre de l'instrument justicier n'est ici que de la plus choquante inconvenance. Guillotine d'un peuple d'hommes d'affaires. - L'aspect de l'appareil semble, en effet, nous dire, avec une prud'homie spécieuse :

- «Tel individu a tué. Soit. Nous l'expédions donc à son tour, de la manière la plus brève, la moins cruelle possible, c'est-à-dire en gens pressés, pratiques AVANT TOUT et peu soucieux du théâtral, du déclamatoire. Pour lui épargner quelques secondes d'angoisses inutiles, NOUS avons supprimé des marches d'un moyen âge aujourd'hui démodé, ce qui réduit la peine au strict nécessaire».

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- Nous ?... Qui cela ?

Tout d'abord cette mesure doit être illégale, car une loi, quelque ancien décret, un droit de coutume française, au moins (que la Révolution, elle-même adopta mille et mille fois), ont dû prescrire l'échafaud, stipuler sa hauteur approximative et son ensemble formel, comme condition expresse, réglementaire, du fonctionnement normal de la peine de mort. Or, cette loi, ce décret, n'ayant pas été rapportés par les Chambres, nul particulier, se couvrît-il d'un assentiment tacite ou verbal quelconque, n'a licence de les abroger ni de les modifier à mesure et au gré de son fantaisisme.

Quant à la prétendue philantropie de cet «adoucissement», 1° le condamné qui s'évanouit durant la toilette, anesthésié par sa syncope, ne ressentira nul surcroît d'horreur pour quelques marches qu'on l'aide à monter ; d'ailleurs, se laisser porter en cette circonstance, c'est mériter d'être porté ; 2° Celui qui, d'une conscience enfin réveillée, peut-être, par l'expiatoire agonie quotidienne qu'il a subie depuis l'heure de son arrêt, tient, maintenant, à bien montrer que, sans exagérée terreur ni vile forfanterie, il meurt du moins mieux qu'il n'a vécu, a droit, en toute éventualité, à ce que son désir prévaille ici. Les marches de l'échafaud sont en effet, la propriété de tout condamné à mort, et c'est le frustrer d'une illusion quand même sacrée que de lui ravir, avec elles, l'occasion de sauvegarder en nous (s'il y tient) sa triste mémoire d'une aggravation d'opprobre imméritée.

Bref, en abaissant à ce point son instrument de mort avec des allures d'une obséquiosité déplacée, d'une sensiblerie louche, la Loi n'a pas à donner à celui qu'elle punit l'exemple du cynisme.

Il ne peut que trop se passer, la plupart du temps, de cet encouragement-là.

Quand au «théâtral» et au «déclamatoire», on ne l'évite pas. On conserve les mille fantasmagories d'un cérémonial suranné, les hermines et les robes rouges de la Cour d'assises, le ton solennel de la sentence, le déploiement nocturne des troupes, le salut funèbre des sabres, l'embrassement du prêtre, (qui ne doit plus sembler à d'aucuns qu'une dernière concession au moyen âge, une perte de temps), toute cette antique mise en scène de mystérieux symboles, on la tolère, - mais en éludant comme oiseux celui de l'Echafaud qui, seul, les conclut, les sanctionne et en rétracte l'intime réalité ; l'on dément le respect (dès lors douteux !) dont on feignait de les honorer jusqu'à lui ; l'on compromet ainsi le sérieux de tout le reste de la Loi, ce qui ne peut qu'inquiéter gratuitement les dernières consciences.

On ne peut supprimer un anneau dans la chaîne des symboles de la loi sans infirmer les autres et faire douter de leur gravité.

Au dire de quelques-uns, la presse qui entoure la guillotine, aujourd'hui, suffit à la publicité de l'exécution : la plate-forme ne ferait plus que double emploi. - Mais c'est le fait unique de tuer au grand air qui constitue la publicité donnée par la Loi ! La presse n'est là que pour constater cette publicité même, dont elle fait partie, et pour la divulguer ensuite à la foule, comme le vent qui passe emporte un cri.

La Plate-forme notifie tout autre chose ! En effet, l'Etat s'arrogeant, ici, froidement, un attribut d'un caractère extra-vital, absolu, divin, pour ainsi dire, l'Echafaud, dans son figuré, ne doit être élevé au-dessus du niveau moyen des têtes humaines que parce qu'il représente et matérialise le terrain supérieur de la Loi - qui, au-dessus de toute vengeance individuelle ou sociale avertit et préserve SEULEMENT au moyen de l'expiation même, - et qui, ne pouvant en aucun cas, descendre jusqu'au criminel, l'élève jusqu'à elle pour ne le frapper qu'à hauteur d'Humanité.

La guillotine, en un mot, n'est qu'un billot perfectionné, lequel n'a de raison d'être que sur sa plate-forme officielle. Elle et lui sont d'ensemble. Une même dénomination sombre enveloppe leur oeuvre commune. Aux yeux de la foule, les marches de l'Echafaud sont impressionnantes pour le même motif que les gradins d'une estrade sur laquelle on distribue des récompenses sont honorifiques. Car ce n'est pas sur un échafaud d'où l'on puisse descendre, ni sur un tel échafaudage, que monte ici le criminel : être monté sur l'Echafaud signifie que l'on y est mort - et ce qui constitue l'exemple, bien plus que le spectacle restreint du fait, c'est la tradition d'effroi de cette parole autour d'un nom. Avoir été guillotiné n'est qu'une locution elliptique sous-entendant, quand même, sur l'Echaffaud. De telle sorte que soustraire celui-ci de l'exécution, c'est faire mentir la Loi, c'est avouer qu'on ne l'ose plus qu'à demi, ce qui est d'une timidité indigne d'une jurisprudence respectée.

Concluons. - Si, comme on nous l'affirme, cette étrange modification n'est due qu'à l'imaginative de feu l'exécuteur précédent, je trouve qu'il a excédé, ici, son mandat. Qu'il ait amélioré l'économie de la machine, rien de plus louable ! Mais

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