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Bonnes Moeurs

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consultes - et qu'elle a été par la suite introduite dans le droit canonique après que les moralistes chrétiens l'aient reprise à leur compte l . Reste ce paradoxe, qui est au cœur de notre sujet: si la notion de bonnes mœurs appartient au lexique et au champ sémantique du droit, le droit n'en est pas moins incapable de défmir cette notion et il ne parvient à lui donner un contenu qu'en faisant en permanence référence à d'autres domaines du savoir, à d'autres normes, à d'autres champs conceptuels. D'un côté, donc, le droit est mis à contribution comme instrument de promotion des bonnes mœurs - plus exactement, pour les raisons qu'on explicitera plus loin, comme instrument de censure ou de répression des mauvaises mœurs (1). Mais de l'autre il s'abstient de définir ce dont il parle et qu'il prétend régir : les bonnes mœurs restent conceptuellement insaisissables (II). Peu importe, d'ailleurs, aussi longtemps que les "bonnes mœurs" vont de soi. C'est lorsqu'elles ne vont plus de soi que ce vide conceptuel pourrait commencer à faire problème; mais c'est précisément le moment où l'on constate la raréfaction progressive de cette notion et des notions voisines dans le corpus juridique, concomitante de la désuétude qui les affecte dans le langage courant : indice que le couple naguère encore si soudé que formaient les bonnes mœurs et le droit est en train de se désagréger lentement, discrètement, sous nos yeux (III). Puissance de la norme juridique pour cautionner l'existence des bonnes mœurs et mettre en place des dispositifs de répression et de censure des mauvaises mœurs ; impuissance de la norme juridique à définir le contenu des bonnes mœurs autrement qu'en empruntant à la morale ou au sens commun; impuissance encore de la norme juridique à contenir l'inexorable libéralisation des mœurs dans les sociétés contemporaines dont elle se borne à prendre acte. Tels sont quelques uns des enseignements que l'on peut tirer de l'analyse du traitement juridique des bonnes mœurs, qui offre ainsi l'occasion de mettre le droit "à l'épreuve".

1 - LE DROIT, INSTRUMENT DE CENSURE DES MAUVAISES MŒURS

Lorsqu'on évoque le rôle que le droit est appelé à jouer dans le domaine des bonnes mœurs, il faut toujours garder à l'esprit que l'essentiel de l'inculcation des "bonnes mœurs", c'est à dire, en pratique, des mœurs définies comme bonnes par les couches dominantes, aux couches dominées, à l'intérieur du processus global de "civilisation des mœurs" décrit par Norbert

1. Voir sur ce point Guyader (J.), "Les bonnes mœurs du clergé au XVè siècle", infra.

LE DROIT A L'ÉPREUVE DES BONNES MŒURS

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Elias 2 , s'est opéré historiquement par d'autres vecteurs que le droit: l'hygiène sociale, l'école, l'usine, l'habitat... , et a fait appel à d'autres acteurs que la justice: les pédagogues, les médecins, les urbanistes, les "philanthropes", les travailleurs sociaux... 3 • Le droit, en effet, n'est qu'un instrument très imparfait de normalisation des conduites et des comportements, comme le rappelait Michel Foucault dans La volonté de savoir à propos d'une question qui touche de près à celle qui nous occupe ici : la sexualité4 • Fonctionnant selon une logique de l'interdit: affirmer que ça n'est pas permis, et de la censure: empêcher que ça soit dit, le droit, discours normatü et prescriptü, est "hors d'état de rien produire", à l'opposé des méthodes "disciplinaires" qui s'assignent pour objectü de faire entrer de force les comportements dans un modèle préétablis. Dans ces limites, le droit n'en a pas moins un rôle à jouer dans la censure des mauvaises mœurs. D'abord parce que dans un Etat de droit l'interdit et la répression doivent se couler, au moins formellement, dans le moule du droit qui seulles légitime, passer par les instances respectivement habilitées à énoncer la norme d'une part, sanctionner sa violation de l'autre: c'est sur le droit, de fait, que prennent appui les instances de censure, qu'elles soient administratives, judiciaires, ou encore religieuses lorsqu'il s'agit d'appliquer le droit canon. Ensuite parce que la force du droit ne réside pas seulement dans le caractère impératü de ses prescriptions, mais tout autant dans sa capacité à imposer comme objective, évidente, incontestable l'image de l'ordre social qu'il dessine, laquelle incite à se conformer aux normes qu'il édicte avant et indépendamment de tout usage ou menace d'usage de la forcé. Inscrire sous

2. La société de cour, montre Elias, née de la "curialisation des guerriers", est la pépinière des nouveaux modes de comportement fondés sur l'autocontrainte, la répression de l'émotivité, le conditionnement uniforme des conduites, qui se diffusent progressivement dans l'ensemhle de la société. Et même si les couches inférieures citadines et rurales continuent à céder plus facilement à leurs émotions et à leurs pulsions, si leurs comportements sont moins rigoureusement réglés que ceux des couches supérieures correspondantes, le contraste va en s'atténuant. Pour Elias, cependant, ce n'est pas là un effet d'une volonté délibérée ou d'un effort d'inculcation unilatérale, mais une conséquence, par une sorte d'ajustement mécanique, des transformations de l'existence sociale et de l'interdépendance croissante entre les différents segments et couches de la société. Voir La dynamique de l'occident, trad. fr. Calmann-Lévy, 1975, rééd. Presses Pocket, p. 207 et s. 3. Ces processus indirects de normalisation des mœurs ont été mis en lumière de façon particulièrement suggestive dans une série de travaux historiques et sociologiques importants. On pense notamment aux travaux réalisés sous l'égide du CERFI dans les années 70 : "Le petit travailleur infatigahle", Recherches nO 25/1976, par Lion Murard et Patrick Zylherman ; "Disciplines à domicile", Recherches nO 28/1977, par Isaac Joseph et Philippe Fritsch; "L'haleine des fauhourgs", Recherches nO 29/1977, sous la direction de Lion Murard et Patrick Silherman. Voir aussi Donzelot (J.), La police des familles , Ed. de Minuit, 1977. 4. Gallimard, 1976, p. 109 et s. 5. On renvoie sur ce point à Surveiller et punir, Gallimard, 1975. 6. Sur les ressorts de l'efficacité du discours juridique, voir Loschak (D.), "Le droit, discours de pouvoir", Itinéraires. Mélanges Léo Hamon, Economica, 1982, pp. 429-444, et id. "Droit, normalité, normalisation", in Le droit en procès, CURAPP-PUF, 1983, pp. 51-78

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LES BONNES MŒURS

une forme ou sous une autre dans la loi l'obligation de respecter les bonnes mœurs, c'est donc, sinon donner force de loi à une impossible définition des bonnes mœurs, du moins faire admettre comme postulat nécessaire qu'il y a des bonnes mœurs et donc des mauvaises mœurs, et contribuer à dissimuler derrière ce postulat de nécessité, qui renvoie implicitement à la nature des choses, l'arbitraire et le caractère socialement déterminé de la frontière tracée entre les unes et les autres. Car, comme le relèvent François Ost et Michel van de Kerchove, l'analyse de la pratique répressive des tribunaux atteste que, en dépit d'un discours officiel qui nie tout effet de différenciation sociale, c'est bien "la morale, les goûts et les modes de vie de l'élite culturelle dominants qui servent d'étalon des bonnes mœurs ''1 • Pour mettre en lumière la façon dont le droit est utilisé comme instrument de censure des mauvaises mœurs on fera dans un premier temps un inventaire - non exhaustif -, à partir du droit positif actuel, des occurrences des mots "bonnes mœurs" et de ceux qui, tels la "moralité", leur sont sémantiquement apparentés, avant de s'interroger sur les différentes fonctions que remplit la référence aux bonnes mœurs.

A) La place des bonnes mœurs dans le droit positif

On partira d'un relevé des occurrences des termes "mœurs" et "bonnes mœurs", le premier apparaissant le plus souvent comme une formulation elliptique du second ; on retiendra ensuite les occurrences des termes qu'on peut considérer en première approximation, et sous réserve des nuances que l'on apportera plus loin (infra, II), comme appartenant au même champ sémantique ou à un champ sémantique voisin; enfin, on s'attachera aux hypothèses où la référence aux bonnes mœurs et à la moralité, quoique implicite, n'en est pas moins certaine.

1) Les occurrences des mots "mœurs" et "bonnes mœurs"

• La référence aux bonnes mœurs est présente dans le code civil dès l'article 6, qui dispose qu' "on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs" ; on la trouve ensuite dans le droit des successions, dans le droit des contrats, et encore à propos

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