DissertationsEnLigne.com - Dissertations gratuites, mémoires, discours et notes de recherche
Recherche

De La Brièveté De La Vie

Note de Recherches : De La Brièveté De La Vie. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires
Page 1 sur 42

! pour qui sait l’employer, la vie est assez longue. Mais l’un est dominé par une in1

satiable avarice ; l’autre s’applique laborieusement à des travaux frivoles ; un autre se plonge dans le vin ; un autre s’endort dans l’inertie ; un autre nourrit une ambition toujours soumise aux jugements d’autrui ; un autre témérairement passionné pour le négoce est poussé par l’espoir du gain sur toutes les terres, par toutes les mers ; quelques-uns, tourmentés de l’ardeur des combats, ne sont jamais sans être occupés ou du soin de mettre les autres en péril ou de la crainte d’y tomber euxmêmes. On en voit qui, dévoués à d’illustres ingrats, se consument dans une servitude volontaire. (2) Plusieurs convoitent la fortune d’autrui ou maudissent leur destinée ; la plupart des hommes, n’ayant point de but certain, cédant à une légèreté vague, inconstante, importune à elle-même, sont ballottés sans cesse en de nouveaux desseins ; quelques-uns ne trouvent rien qui les attire ni qui leur plaise : et la mort les surprend dans leur langueur et leur incertitude. Aussi cette sentence sortie comme un oracle de la bouche d’un grand poète me parait-elle incontestable : Nous ne vivons que la moindre partie du temps de notre vie ; car tout le reste de sa durée n’est point de la vie, mais du temps. (3) Les vices nous entourent et nous pressent de tous côtés : ils ne nous permettent ni de nous relever, ni de reporter nos yeux vers la contemplation de la vérité ; ils nous tiennent plongés abîmés dans la fange des passions. Il ne nous est jamais permis de revenir à nous, même lorsque le hasard nous amène quelque relâche. Nous flottons comme sur une mer, profonde où, même après le vent, on sent encore le roulis des vagues ; et jamais à la tourmente de nos passions on ne voit succéder le calme. (4) Vous croyez que je ne parle que de ceux dont chacun publie les misères, mais considérez ces heureux du jour, autour desquels la foule se presse ; leurs biens les étouffent. Combien d’hommes que l’opulence accable ; combien d’autres pour cette éloquence, qui dans une lutte de chaque jour les force à déployer leur génie, ont épuisé leur poitrine ; combien sont pâles de leurs continuelles débauches ; que de grands à qui le peuple des clients toujours autour d’eux empressé ne laisse aucune liberté ! Enfin parcourez tous les rangs de la société, depuis les plus humbles jusqu’aux plus élevés : l’un réclame votre appui en justice, l’autre vous y assiste ; celui-ci voit sa vie en péril, celui-là le défend, cet autre est juge : nul ne s’appartient ; chacun se consume contre un autre. Informez-vous de ces clients dont les noms s’apprennent par cœur, vous verrez a quels signes on les reconnaît : celui-ci rend ses devoirs à un tel, celui-là à tel autre, personne ne s’en rend à soi-même. 2

(5) Enfin rien de plus extravagant que les colères de quelques-uns ; ils se plaignent de la hauteur des grands qui n’ont pas eu le temps de les recevoir. Comment oset-il se plaindre de l’orgueil d’un autre, celui qui jamais ne trouve un moment pour lui-même ! Cet homme, quel qu’il soit, avec son visage dédaigneux, vous a du moins regardé, il a prêté l’oreille à vos discours, vous a fait placer à ses côtés ; et vous, jamais vous n’avez daigné tourner un regard sur vous-même, ni vous donner audience.

Chapitre III.

(1) Vous n’êtes donc pas en droit de reprocher à personne ces bons offices ; car, vous les rendiez moins par le désir d’être avec un autre, que par impuissance de rester avec vous-même. Quand tous les génies qui ont jamais brillé se réuniraient pour méditer sur cet objet, ils ne pourraient s’étonner assez de cet aveuglement de l’esprit humain. Aucun homme ne souffre qu’on s’empare de ses propriétés ; et, pour le plus léger différend sur les limites, on a recours aux pierres et aux armes. Et pourtant la plupart permettent qu’on empiète sur leur vie ; on les voit même en livrer d’avance à d’autres la possession pleine et entière. Ou ne trouve personne qui vous fasse part de son argent, et chacun dissipe sa vie à tous venants. Tels s’appliquent à conserver leur patrimoine, qui, vienne l’occasion de perdre leur temps, s’en montrent prodigues, alors seulement que l’avarice serait une vertu. (2) Je m’adresserai volontiers ici à quelque homme de la foule des vieillards : « Tu es arrivé, je le vois, au terme le plus reculé de la vie humaine ; tu as cent ans on plus sur la tête ; hé bien, calcule l’emploi de ton temps ; dis-nous combien t’en ont enlevé un créancier, une maîtresse, un accusé, un client ; combien tes querelles avec ta femme, la correction de tes esclaves, tes démarches officieuses dans la ville. Ajoute les maladies que nos excès ont faites ; ajoute le temps qui s’est perdu dans l’inaction, et tu verras que tu as beaucoup moins d’années que tu n’en comptes. (3) Rappelle-toi combien de fois tu as persisté dans un projet ; combien de jours ont eu l’emploi que tu leur destinais ; quels avantages tu as retirés de toi-même ; quand ton visage a été calme et ton cœur intrépide ; quels travaux utiles ont rempli une si longue suite d’années ; combien d’hommes ont mis ta vie au pillage, sans que tu sentisses le prix de ce que tu perdais ; combien de temps t’ont dérobé des chagrins sans objet, des joies insensées, l’âpre convoitise, les charmes de la

3

conversation : vois alors combien peu il t’est resté de ce temps qui t’appartenait, et tu reconnaîtras que ta mort est prématurée. » (4) Quelle en est donc la cause ? Mortels, vous vivez comme si vous deviez toujours vivre. Il ne vous souvient jamais de la fragilité de votre existence ; vous ne remarquez pas combien de temps a déjà passé ; et vous le perdez comme s’il coulait d’une source intarissable, tandis que ce jour, que vous donnez à un tiers ou à quelque affaire, est peut-être le dernier de vos jours. Vos craintes sont de mortels ; à vos désirs on vous dirait immortels. (5) La plupart des hommes disent : A cinquante ans, j’irai vivre dans la retraite ; à soixante ans, je renoncerai aux emplois. Et qui vous a donné caution d’une vie plus longue ? qui permettra que tout se passe comme vous l’arrangez ? N’avez-vous pas honte de ne vous réserver que les restes de votre vie, et de destiner à la culture de votre esprit le seul temps qui n’est plus bon à rien ? N’est-il pas trop tard de commencer à vivre lorsqu’il faut sortir de la vie ? Quel fol oubli de notre condition mortelle, que de remettre à cinquante ou soixante ans les sages entreprise, et de vouloir commencer la vie à une époque où peu de personnes peuvent parvenir !

Chapitre IV.

(1) Entendez les paroles qui échappent aux hommes les plus puissants, les plus élevés en dignité ; ils désirent le repos, ils vantent ses douceurs, ils le mettent audessus de tous les autres biens dont ils jouissent, ils n’aspirent qu’à descendre du faîte des grandeurs, pourvu qu’ils puissent le faire sans danger ; car bien que rien au dehors ne l’attaque ni ne l’ébranle, la fortune est sujette à s’écrouler sur ellemême. (2) Le divin Auguste, à qui les dieux avaient plus accordé qu’à tout autre mortel, ne cessa de réclamer pour soi le repos et de souhaiter d’être délivré des soins du gouvernement. Dans tous ses discours il en revenait toujours à ce point qu’il espérait pour lui le repos. Au milieu de ses travaux il trouvait pour les alléger une consolation illusoire, mais douce toutefois, en se disant : Quelque jour je vivrai pour moi.

4

(3) Dans une de ses lettres, adressée au sénat, où il assurait que son repos, ne manquerait point de dignité, et ne démentirait point sa gloire, j’ai remarqué ces mots : « Mais de tels projets sont plus beaux à réaliser qu’en spéculation. Cependant mon impatience de voir arriver un moment si passionnément désiré, me procure du moins cet avantage, que puisque ce bien se fait encore attendre, j’en goûte d’avance les douceurs par le seul plaisir d’en parler. » (4) Combien faut-il que le repos lui parût précieux, puisqu’à défaut de la réalité, il en voulait jouir en imagination ! Celui qui voyait tout soumis a son unique volonté, qui tenait en ses mains les destinées des hommes et des nations, envisageait avec joie le jour où il pourrait se dépouiller de toute sa grandeur. (5) L’expérience lui avait prouvé combien ces biens dont l’éclat remplissait toute la terre, coûtaient de sueurs, et combien ils cachaient d’inquiétudes secrètes. Forcé de combattre à main armée d’abord ses concitoyens, ensuite ses collègues, enfin ses parents, il versa des flots de sang sur terre et sur mer ; entraîné par la guerre en Macédoine, en Sicile, en Egypte, en Syrie et en Asie, et presque sur tous les rivages, il dirigea contre les étrangers du dehors ses armées lassées de massacrer des Romains. Tandis qu’il pacifie les Alpes, et dompte des ennemis incorporés à l’empire dont ils troublaient la paix, tandis qu’il en recule les limites au delà du Rhin, de l’Euphrate et du Danube, dans Rome même, les poignards des Muréna, des Cépion, des Lépide, des Egnatius s’aiguisaient contre lui. (6) A peine est-il échappé à leurs embûches que sa fille et tant de jeunes patriciens, liés par l’adultère comme par un serment solennel, épouvantent sa vieillesse fatiguée, et lui font craindre pis qu’une nouvelle Cléopâtre avec un autre Antoine. Avait-il amputé ces plaies avec, les membres mêmes, d’autres

...

Télécharger au format  txt (61.6 Kb)   pdf (404.2 Kb)   docx (31.3 Kb)  
Voir 41 pages de plus »
Uniquement disponible sur DissertationsEnLigne.com