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L'art, Bergson : Pourquoi, étant plus détaché de la réalité, arrive-t-il à y voir plus de choses ?

Fiche de lecture : L'art, Bergson : Pourquoi, étant plus détaché de la réalité, arrive-t-il à y voir plus de choses ?. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires

Par   •  4 Mai 2023  •  Fiche de lecture  •  2 416 Mots (10 Pages)  •  374 Vues

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Correction du 3ème sujet sur le texte de Bergson concernant l’art.

Texte :

Remarquons que l’artiste a toujours passé pour un « idéaliste ». On entend par là qu’il est moins préoccupé que nous du côté positif et matériel de la vie. C’est, au sens propre du mot, un « distrait ». Pourquoi, étant plus détaché de la réalité, arrive-t-il à y voir plus de choses ? On ne le comprendrait pas, si la vision que nous avons ordinairement des objets extérieurs et de nous-mêmes n’était une vision que notre attachement à la réalité, notre besoin de vivre et d’agir, nous a amenés à rétrécir et à vider. De fait, il serait aisé de montrer que, plus nous sommes préoccupés de vivre, moins nous sommes enclins à contempler, et que les nécessités de l’action tendent à limiter le champ de la vision. […] Auxiliaire (1) de l’action, [la perception] isole, dans l’ensemble de la réalité, ce qui nous intéresse ; elle nous montre moins les choses mêmes que le parti que nous en pouvons tirer. Par avance elle les classe, par avance elle les étiquette ; nous regardons à peine l’objet, il nous suffit de savoir à quelle catégorie il appartient. Mais, de loin en loin, par un accident heureux, des hommes surgissent dont les sens ou la conscience sont moins adhérents à la vie. La nature a oublié d’attacher leur faculté de percevoir à leur faculté d’agir. Quand ils regardent une chose, ils la voient pour elle, et non plus pour eux. Ils ne perçoivent plus simplement en vue d’agir ; ils perçoivent pour percevoir, - pour rien, pour le plaisir. Par un certain côté d’eux-mêmes, soit par leur conscience, soit par un de leurs sens, ils naissent détachés ; et, selon que ce détachement est celui de tel ou tel sens, ou de la conscience, ils sont peintres ou sculpteurs, musiciens ou poètes. C’est donc bien une vision plus directe de la réalité que nous trouvons dans les différents arts ; et c’est parce que l’artiste songe moins à utiliser sa perception qu’il perçoit un plus grand nombre de choses.

Henri Bergson, « la perception du changement », in La Pensée et le Mouvant, 1934.

(1) Auxiliaire : aide, soutien.

Rédaction de la copie

Le candidat a le choix entre deux manières de rédiger l’explication de texte. Il peut :

-soit répondre dans l’ordre, de manière précise et développée, aux questions posées (option n°1);

-soit suivre le développement de son choix (option n°2).

Il indique son option de rédaction (option n°1 ou option n°2) au début de sa copie.

Questions de l’option n°1

A – Eléments d’analyse

  1. Qu’est-ce qui fait dire à Bergson que l’artiste est un « distrait », qu’il est « moins préoccupé que nous du côté […] matériel de la vie » ?

La distraction attribuée à l’artiste vient de ce qu’il paraît ne pas voir le monde tel que les autres le voient car l’artiste ne semble pas être en train de réaliser une tâche, de vouloir accomplir des plans comme nous le faisons tous. Il a l’air « dans la Lune » comme on le dit parfois, car il ne fait pas attention aux choses qui comptent pour réussir ses entreprises. C’est cette différence que le texte veut montrer car elle contient l’explication de la différence entre l’artiste et les autres hommes.

  1. Quel est le paradoxe souligné ligne 3 ?

Ce qui paraît paradoxal est que le détachement attribué à l’artiste est ce qui lui permet de voir « plus de choses ». C’est paradoxal car nous supposons habituellement que c’est l’attention portée au monde qui nous permet de bien le voir. Ce que le cas de l’artiste montre d’après Bergson, c’est que ce n’est pas l’attention qui est déterminante mais le type de rapport qui commande cette attention. Celui qui agit sera concentré, mais sur ce qui peut être utile à son action alors que celui qui n’est pas orienté par une activité à réaliser sera plus libre de regarder ce que le monde contient. C’est ce que la réponse suivante va permettre de préciser.

  1. En quoi « les nécessités de l’action » tendent-elles à « limiter le champ de la vision » ?

C’est en comprenant en quoi la vision ordinaire du monde est une vision rétrécie que nous pouvons comprendre en quoi il est possible d’envisager à quelles conditions une vision différente est possible. Si la vision ordinaire des choses est rétrécie, c’est parce que nous n’avons pas besoin de voir chaque chose pour ce qu’elle est dans sa singularité, mais telle qu’elle est identifiée à partir d’une catégorie générale. C’est en tant qu’exemplaire de telle catégorie (groupe) que telle chose sera vue car c’est par la connaissance attachée à ce groupe qu’elle sera ou pas utile. Si je veux m’asseoir, je cherche une chaise parce que je sais ce qu’est une chaise. Dès lors, je ne regarde pas la chose elle-même, mais en quoi elle est conforme à son concept, c'est-à-dire à ce qu’elle est supposée être (est-ce que cette chaise est cassée ou pas, par exemple).

  1. Par rapport à notre vision ordinaire des choses, comment se distingue l’artiste ?

Nous pouvons dès lors comprendre en quoi la vision de l’artiste se distingue de cette vision ordinaire. L’artiste sera celui qui ne verra pas chaque chose seulement en fonction de ce qu’elle est pour l’usage, mais en tant qu’elle est une chose qui existe de façon singulière et distincte des autres. Il ne voit pas les choses par leur « étiquette », mais il les voit telles qu’elles se montrent elles-mêmes, telles qu’elles sont dans leur simple existence. La condition de cette vision est qu’il ne faut rien vouloir faire avec les choses, n’avoir aucun intérêt à satisfaire pour lequel elles seraient un moyen. Il faut se détacher du monde, c'est-à-dire se détacher de toute volonté d’agir et ne faire que regarder les choses, pour rien d’autre que les regarder.

B – Eléments de synthèse

  1. D’ordinaire, comment la perception nous aide-t-elle à agir ?

Nous avons déjà commencé de répondre à cette question, mais nous pouvons ajouter quelques remarques sur le rapport de la perception et de l’action. Au-delà de l’évidence selon laquelle celui qui ne verrait rien ne pourrait guère agir, il faut comprendre que notre vision, lorsqu’elle est au service de l’action, a une fonction de discrimination des choses. Il s’agit de sélectionner ce qui convient de ce qui ne convient pas pour notre but. Nous ne voyons donc pas des choses mais des fonctions, c'est-à-dire ce que sont les choses du point de vue général de leur capacité. C’est ce qui rend l’action possible. Nous réduisons les choses aux éléments que nous connaissons et que nous pouvons facilement identifier. Lorsque je cherche une chaise, je regarde tout ce que je vois du point de vue de la possibilité pour moi de m’asseoir. Je ne connais pas chaque chose telle qu’elle est dans sa singularité, je ne le pourrai pas, ou bien cela prendrait trop de temps et, en tous cas, cela ne me serait pas utile. C’est parce que nous savons reconnaitre les choses selon des caractéristiques générales et donc communes, que nous pouvons les utiliser et nous y retrouver dans les situations diverses où nous voulons agir. La connaissance des choses est toujours une façon de réduire chaque chose à certaines de ses caractéristiques par lesquelles elle sera identifiée selon une catégorie générale : une chaise par exemple. La vision déterminée par l’action est toujours une vision qui appauvrie le réel, mais pour le rendre plus facilement identifiable et utilisable.

  1. Selon Bergson, chez l’artiste, la « faculté de percevoir » n’est pas « attachée » à « la faculté d’agir ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Cela signifie, d’après ce que nous venons de voir, que sa capacité de voir n’est pas déterminée par ce que demande l’action qui cherche à satisfaire des besoins, c'est-à-dire l’action utile. C’est ce que veut dire l’idée que la vision n’est pas « attachée » : elle n’est pas déterminée ou commandée, au service de l’action. Elle est donc plus libre. L’artiste est celui qui peut voir le réel tel qu’il se montre et non tel qu’il est lorsqu’il est réduit à ce que nous y cherchons. L’artiste ne cherche rien, c'est-à-dire qu’il n’impose rien à l’avance au réel : il ne le regarde pas avec un modèle pour y reconnaître ce qui y correspond. Il peut donc recevoir le réel tel qu’il est.

        Mais, si notre analyse est juste, ne doit-on pas admettre que la conséquence de cette liberté du regard de l’artiste doit être qu’il voit tout mais ne reconnaît rien. Autrement dit, on pourra se demander ce que voit l’artiste s’il ne voit pas selon les concepts : il ne verra pas une chaise mais une forme existante. Faisons attention à ne pas caricaturer ce que veut dire Bergson. L’artiste ne réduit pas la chose à son concept, ce qui ne veut pas dire qu’il ne sait pas comment sont comprises les choses ordinairement, car sauf à ne pas avoir été éduqué, il ne peut pas ne pas voir que cette chose est appelée une chaise. Sa différence est qu’il ne s’arrêtera pas là : il la regardera pour ce qu’elle montre d’elle-même, au-delà de son identification par sa fonction (son concept). Etre un artiste c’est voir plus que ce que l’on a appris à reconnaître pour pouvoir agir.

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