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Le Lai Du Chevrefeuille

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e l'on traduit-adapte. Par exemple, L'Énéide de Virgile n'est pas seulement traduit, mais adapté aux valeurs morales et intellectuelles de l'époque. Il en ressort un texte nouveau, L'Énéas. Il n'y a donc pas encore d'écrivains au sens où on l'entend aujourd'hui, mais il commence à y avoir des adaptateurs de la tradition antique écrite. On adapte aussi la tradition orale. En effet, lors de cette deuxième Renaissance, on s'intéresse également beaucoup au folklore celte, et cet intérêt va aussi transparaître dans cette littérature qui commence à naître au XIIème siècle.

On peut trouver tous ces principes que nous venons d'expliquer dans le prologue des Lais de Marie de France : le poète n'est pas un créateur, il se situe dans une tradition. Marie de France nous dit :

Custume fu as ancïens, / Ceo tes[ti]moine Precïens, / Es livres ke jadis feseient / Assez oscurement diseient / Pur ceus ki a venir esteient / E ki apprendre les deveient, / K'i peüssent gloser la lettre / E de lur sen le surplus mettre.

Traduction de Philippe Walter : Il était de coutume chez les anciens, Prisciens en témoigne, que, dans les livres qu'ils faisaient jadis, ils s'exprimaient assez obscurément en vue de ceux qui devaient leur succéder et qui devaient apprendre leurs écrits, afin qu'ils puissent ajouter des gloses au texte.

Ce que l'on peut comprendre ici, c'est que d'une part Marie de France se situe bien dans un héritage (« les anciens »). D'autre part, cet héritage littéraire est souvent obscur, d'où la nécessité à présent (au XIIème siècle) de faire preuve d'intelligence. Cette intelligence passe par l'ajout de « gloses à la lettre, » c'est-à-dire qu'il faut ajouter du sens dans les écrits anciens, il faut les adapter.

Héritages : Antiquité latine et Folklore breton

Ainsi, les origines de l'oeuvre de Marie de France se situent dans deux pôles. D'une part dans l'Antiquité latine (à laquelle elle fait référence : Ovide pour les théories érotiques, Priscien pour la rhétorique). D'autre part dans le folklore breton.

Nous pouvons nous attarder sur cette influence de la culture bretonne et celtique. Les Celtes sont à l'origine un peuple venant d'Asie, et qui s'est ensuite diversifié en différentes branches dont une celtique, qui est venue, par migration, s'installer en Gaule, en Irlande, en Bretagne, en Espagne, et au Portugal. Ce peuple installé en Europe occidentale a une puissance militaire importante (notamment contre les Romains, jusqu'à la guerre des Gaules). Ensuite, les celtes sont romanisés, c'est-à-dire qu'il sont intégrés aux romains qui ont vaincus. Au Vème siècle, les peuplades romanisés subissent une nouvelle invasion : c'est l'arrivée des tribus saxonnes à partir de l'actuelle Allemagne. Face à cette invasion, les populations celtes migrent en Irlande, au Pays de Galles, en Cornouailles, et en Bretagne. C'est pour cela que l'on retrouve aujourd'hui les langues celtes au Pays de Galles, en Écosse et en Bretagne. Le peuple celte est finalement vaincu et se marginalise petit à petit. Au XIIème siècle, le roi d'Angleterre Henri II possède l'Angleterre et également tout l'ouest de la France (car il est marié à Aliénor d'Aquitaine, qui possède la partie ouest de la France). Par cette situation d'intermédiaire entre Angleterre et France, les échanges culturels sont facilités. Et c'est ainsi qu'au XIIème siècle l'influence du monde celtique se fait : les conteurs mettent à l'écrit certains points de la mythologie celtique.

Les Lais de Marie de France sont inspirés de vieux contes celtiques. La donnée folklorique celte est adaptée, transposée à l'écrit, et transcrite en langue romane.

Actualisation des idéaux et des thématiques

On puise dans les récits celtes des idéaux qui sont réactualisés au XIIème : notamment ce qui concerne le rôle de la femme (voir la fine amor). Les récits celtes décrivent en effet abondamment les pouvoirs magiques de la femme (alors que les mythologies romaine ou grecque sont trop misogynes). La culture orale du folklore breton se trouve donc une nouvelle source de thèmes qui vont se développer au XIIème siècle et qui fondent la naissance de la littérature française, et notamment les Lais.

L'Autre Monde

A partir des Lais, ainsi que des romans de l'époque va se fonder une culture dite courtoise, indépendante de la culture officielle ecclésiastique et religieuse. Cette culture courtoise est basée sur plusieurs thèmes fondamentaux (qui trouvent eux-mêmes leur origine dans le folklore breton) dont le thème de l'Autre Monde : cet Autre-Monde, les personnages des Lais y pénètrent souvent, il s'agit d'un « ailleurs si proche du monde humain qu'on y pénètre parfois sans le savoir » (Philippe Walter, préface aux Lais édition Folio Classique bilingue, p22). Il est une sorte de prolongation sur un mode idéal du monde humain. C'est avant tout le monde des fées (femme-fée aussi bien que homme-fée) et la frontière entre l'Autre-Monde et le monde des humains est si ténue que la rencontre entre un mortel et une fée est très possible, et fonde la matière narrative de plusieurs des lais.

Dans le lai de Yonec, l'opposition entre les êtres de ce monde ci et les fées de l'Autre-Monde est majeure : une dame est enfermée dans une tour par son mari, qui craint de se la voir ravir. Mais un jour, après s'être lamentée sur son sort, elle aperçoit l'ombre d'un grand oiseau qui entre dans sa chambre par la fenêtre et soudain se transforme en « beau et noble chevalier » (« chevaler bel e gent devint » - p228).

Jeo vus ai lungement amé

E en mun quor mut desiré;

Unques femme fors vus n'amai

Ne jamés autre ne amerai.

Traduction : Cela fait longtemps que je vous aime et je vous ai beaucoup désirée dans mon coeur. Jamais je n'ai aimé d'autre femme que vous.

Il y a entre les deux personnages un amour d'élection et d'exception. Ainsi, on peut se demander si cet Autre-Monde n'est pas un moyen de symboliser le monde de l'amour. D'ailleurs, c'est souvent à travers le personnage féerique que le héros est initié au monde surnaturel de l'amour.

Le lai : briéveté

Comme nous l'indiquions plus haut, la travail de Marie de France est un travail d'adaptation du matériau antique ainsi que du folklore breton. Cette adaptation va d'abord dans le sens de la concision de la forme. En effet, elle fait le choix de la forme du lai, qui exige concision et densité du texte. Les lais sont en effet assez court - jamais plus de six cents vers. Il n'y a ainsi pas de description détaillée des personnages, les lieux sont à peine évoqués. C'est un art de la suggestion qui régit ainsi le lai, voire une esthétique du silence. C'est le non-dit qui prime, et ainsi, on se trouve face à un texte qui évoque et qui suscite de la part du lecteur un pouvoir d'interprétation du lai. En effet, en apparence, le lai est assez innocent, il conte des histoires d'amour qui parfois finissent bien, parfois sont tragiques, mais tout est raconté d'une façon assez brève, et linéaire. Pourtant, c'est tout un art du symbole qui régit les Lais de Marie de France. Elle élabore une écriture basée sur les images qui enrichissent la valeur poétique des textes.

Symbolisme dans le Lai du Chévrefeuille

On peut prendre pour exemple l'emblème végétal et notamment l'image du chèvrefeuille dans le « lai du Chèvrefeuille. » Pour communiquer avec sa bien aimée Yseult, Tristan est obligé de graver des inscriptions sur une branche de noisetier autour de laquelle est enroulé un chèvrefeuille. Selon Philippe Walter, Tristan n'utilise pas notre alphabet pour écrire sur le coudrier, car l'inscription est beaucoup trop longue pour tenir sur une branche. Il utiliserait un système d'écriture très en vigueur chez les Celtes, qu'est l'alphabet ogamique. Cette écriture n'est utilisée que pour la magie, et non pour communiquer.

On se trouve donc face à deux formes de symbole :

•Le symbole induit par l'écriture en un alphabet différent du nôtre (si l'on admet cette thèse avec P. Walter). L'écriture doit être déchiffrée par Yseult, on peut l'imaginer, et on est donc face à une première sorte d'hermétisme. L'utilisation d'un autre alphabet introduit une réflexion sur le cryptage métaphorique, sur la manière de signifier les idées.

•Le symbole du chèvrefeuille : la plante qui s'enroule autour de la branche permet se signifier l'inséparabilité des deux amants. Il permet de suggérer l'amour des amants sans l'exprimer par le langage habituel. Marie de France préfère le sémantisme floral, le langage secret. La devise retirée de cet emblème est aussi à interpréter

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