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Le Theatre

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Temps modernes. D’emblée surgit donc la question de la distinction entre ces deux adjectifs. « Nouveau » ne suppose pas de référence à un sens de l’Histoire ; ce qui est « nouveau » est frais, jeune, souvent surprenant mais n’est pas forcément un progrès (du moins un progrès historique) par rapport au passé qui précède – d’où la possibilité d’un usage ironique ou péjoratif (« Voilà du nouveau ! », « C’est nouveau ça ! », ou encore « C’est nouveau, ça vient de sortir ! », voire « le petit nouveau ») qui semble plus limité pour « moderne ». On sait que c’est avec cette valeur péjorative que le critique du Monde, Émile Henriot, en 1957, avait employé l’adjectif pour qualifier précisément La Jalousie de Robbe-Grillet et Tropismes (qui venait d’être réédité) de Nathalie Sarraute. « Nouveau », contrairement à l’étymologie, convient à ce qui ressortit au cours de la mode – laquelle n’est pas censée épouser le progrès historique, mais être, au contraire, à la fois cyclique et capricieuse.

Ce caractère cyclique – venu de la Nature plus que de l’Histoire – se retrouve dans le terme « renouveau » et la notion de « renouvellement ». Il n’y a rien d’équivalent – sauf erreur – avec « moderne » (« modernisation » n’implique aucun retour à un passé). « Le nouveau est un renouveau », écrit abruptement Henri Meschonnic, dans « Le Mythe du nouveau », chapitre de Modernité Modernité [1]. Le Printemps, en effet, c’est le renouveau (d’où les « pommes de terre nouvelles », le « vin nouveau », etc.). Derrière la notion de nouveauté on peut donc soupçonner une temporalité « naturaliste » ou vitaliste. C’est ce que confirmeraient les métaphores vitalistes utilisées par Robbe-Grillet pour évoquer l’évolution des formes littéraires (nous en donnerons des exemples plus loin). Cela nous paraît s’accorder avec l’idée qu’il y a une évolution – souvent conçue comme cyclique – propre aux formes littéraires et/ou artistiques, largement autonome (sinon complètement indépendante) par rapport au cours d’une Histoire finalisée et échappant au conditionnement socio-historique des autres activités humaines. C’est là d’ailleurs, nous semble-t-il, une caractéristique définitoire du « formalisme ». Ce n’est donc pas par hasard que l’on a parlé de « Nouveau Roman » en situant l’entreprise dans une perspective formaliste. Nous verrons cependant que Robbe-Grillet n’entend pas renoncer complètement au déterminisme historique, mais pour des raisons qui nous semblent principalement stratégiques.

Il resterait à s’interroger sur le rapport entre « nouveau » et « contemporain » ou « actuel ». Ces deux derniers qualificatifs semblent se référer à un présent hypostasié, saisi dans son autonomie par rapport au passé ou au futur. Le « nouveau » au contraire n’existe pas sans l’« ancien », le passé. C’est sur cette opposition binaire entre « ancien » (le roman « balzacien ») et « nouveau » que Robbe-Grillet va bâtir tous ses plaidoyers en faveur du Nouveau Roman – raison pour laquelle les qualificatifs de « contemporain » ou d’« actuel » viennent assez rarement sous sa plume (mais il faudrait des statistiques), malgré leur caractère valorisant.

On pourrait donc tenter de proposer de classer les arguments de Robbe-Grillet en faveur du Nouveau Roman en trois catégories sans cohérence les unes avec les autres :

– Le Nouveau Roman est représentatif de son époque il est donc « moderne ». Pour le meilleur et pour le pire, il est la forme littéraire la mieux adaptée à la société contemporaine, aux « temps modernes » (titre de la revue de Sartre et du célèbre film de Chaplin). Robbe-Grillet ne développe que très prudemment cette thèse – nous verrons pourquoi. On peut dire que c’est aussi la thèse de la critique sociologique (i. e. marxiste) de l’époque : Lucien Goldmann avec sa thèse de la « réification », Jacques Leenhardt avec sa « lecture politique » de La Jalousie. Cette thèse exige, en tout cas, que soit récusée la thèse de la mode passagère. C’est ce que fait Robbe-Grillet, notamment dans un article repris en 1963 : « Du réalisme à la réalité ».

– Le Nouveau Roman est l’expression littéraire de la philosophie la plus récente, celle qui semble devoir succéder, dans l’histoire de la philosophie (qui est, peut-être, elle, progressiste ?), à toutes les doctrines et tous les systèmes précédents. C’est la phénoménologie, qui périme, notamment, l’existentialisme sartrien, mais aussi et peut-être surtout le marxisme – cadre dans lequel doit nécessairement être pensée « la » révolution, aux yeux de beaucoup d’intellectuels de l’époque. Mais la phénoménologie est, elle aussi, révolutionnaire ; elle exige, à sa manière, que l’on fasse « table rase du passé » (par la « réduction phénoménologique », analogue à la démarche cartésienne). Le Nouveau Roman est donc à la fois ultramoderne et révolutionnaire.

– Troisième série d’arguments : le Nouveau Roman assume son « formalisme ». Il est une recherche qui n’est guidée par aucune conception a priori de l’avenir, par aucune idéologie progressiste. Il est « aventure de l’écriture » (Ricardou), recherche d’une forme discursive nouvelle appelée, semble-t-il à remplacer le récit (cf. Butor). La narration d’une histoire à personnages est malgré tout considérée par Robbe-Grillet – à la suite de Barthes – comme un modèle discursif « bourgeois », voire « humaniste ». En cela le Nouveau Roman est donc militant et « révolutionnaire » – et pas seulement « aventuriste ». L’intérêt vient de ce que ce n’est plus dans le personnage devenu « conscience malheureuse » ou « problématique » (comme chez Lukacs) que le Nouveau Roman situe la crise de la bourgeoisie occidentale, mais dans la forme narrative (et dans le personnage en tant qu’actant, non en tant que caractère). Ce formalisme s’exprime dans des métaphores typiquement vitalistes, qui supposent une certaine autonomie de l’évolution des formes par rapport au cours de l’Histoire et qui justifient donc la préférence accordée à « nouveau » plutôt qu’à « moderne ».

Le Nouveau Roman, moderne pour le meilleur et pour le pire

La formulation la plus nette de cette idée se trouve dans la fameuse critique de la notion de personnage (« Sur quelques notions périmées ») :

Peut-être n’est-ce pas un progrès, mais il est certain que l’époque actuelle est bien celle du numéro matricule. Le destin du monde a cessé, pour nous, de s’identifier à l’ascension ou à la chute de quelques hommes, de quelques familles. Le monde lui-même n’est plus cette propriété privée, héréditaire et monnayable, cette sorte de proie qu’il s’agissait moins de connaître que de conquérir. Avoir un nom, c’était très important sans doute au temps de la bourgeoisie balzacienne. […]

Notre monde, aujourd’hui, est moins sûr de lui-même, plus modeste peut-être puisqu’il a renoncé à la toute-puissance de la personne, mais plus ambitieux aussi puisqu’il regarde au-delà. Le culte exclusif de « l’humain » a fait place à une prise de conscience plus vaste, moins anthropocentriste [2].

Il faut reconnaître la grande prudence stratégique de Robbe-Grillet. Voir dans le Nouveau Roman une rupture par rapport aux attentes de la « bourgeoisie balzacienne » (attentes qui perdureraient dans la petite bourgeoisie contemporaine), c’est le situer dans la perspective d’un progrès politique et social identifié à la lutte des classes, c’est donc se ranger, à l’instar de Roland Barthes, aux côtés de la gauche bien-pensante des années 1950. Mais, dans le même article, quelques pages plus loin, Robbe-Grillet prendra très explicitement ses distances avec cette même gauche…

Pour le reste, il faut remarquer la superposition (par glissement) de trois notions : l’individualisme (dans le paragraphe qui précède notre citation, le « roman de personnages » est dit avoir marqué « l’apogée de l’individu »), la « bourgeoisie » (dite « balzacienne ») et l’anthropocentrisme (autrement dit, « culte de l’humain »). Ce glissement de l’individualisme à l’humanisme (i. e. de l’anti-individualisme à l’anti-humanisme) est caractéristique d’une tactique visant à se concilier à la fois l’opinion progressiste classique, dominante (l’idéal communiste appelle à lutter contre l’individualisme) et les intellectuels « structuralistes » qui commencent à attirer l’attention sur le caractère relatif de la notion d’« homme » [3]. L’« époque du numéro matricule » marque aussi bien la fin, peut-être souhaitable, de l’individualisme que celle, peut-être inquiétante, de l’humanisme. Pour le meilleur et pour le pire.

L’un des principaux soutiens théoriques de la thèse d’un Nouveau Roman représentatif, pour le pire, de l’époque contemporaine, est incontestablement Lucien Goldmann, spécialiste reconnu (et alors très écouté) de la sociologie de la littérature. On peut citer ce passage significatif (parmi d’autres) de la principale réflexion de Lucien Goldmann sur le Nouveau Roman : « Nouveau Roman et réalité » (1962) :

Ce que constate Robbe-Grillet, ce qui fait le sujet de ses deux premiers romans, est la grande transformation sociale et humaine, née de l’apparition de deux phénomènes nouveaux et d’une importance capitale, d’une part, les autorégulations

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