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Lettre à Mr. Jarvis, Correspondance in Ecrits de Thomas Jefferson, New-York, vol. VII, Derby & Jackson,1859, p. 178 

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Par   •  23 Avril 2023  •  Commentaire de texte  •  4 721 Mots (19 Pages)  •  322 Vues

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[pic 1]Université Paris-Panthéon-Assas, Licence numérique, 1ère année

Droit constitutionnel                        

Cours assuré par M. Thomas Ehrhard

BARAZNA Maxime.

Sujet à traiter : « Vous commenterez le texte suivant:

« Vous semblez [...] considérer les juges comme les arbitres ultimes de toutes les questions constitutionnelles ; c’est une doctrine bien dangereuse, et qui nous placerait sous le despotisme d’une oligarchie. Nos juges sont aussi honnêtes que les autres hommes, et pas davantage. Ils ont, avec d’autres, les mêmes passions pour le parti, pour le pouvoir, et le privilège de leurs corps. [...] leur pouvoir est d’autant plus dangereux qu’ils sont en fonction à vie, et non responsables, comme les autres fonctionnaires, devant les électeurs. »

(traduction) Lettre à Mr. Jarvis, Correspondance in Ecrits de Thomas Jefferson, New-York, vol. VII,

Derby & Jackson,1859, p. 178  »

        Charles Evans Hughes, président de la Cour Suprême des États Unis en qualité de Chief Justice des États Unis de 1930 à 1941, admettait que « Nous sommes régis par une Constitution, mais cette Constitution est ce que les juges disent qu’elle est. ». Cette idée de constitution vivante, laissant la parure de l’arbitre suprême aux juges sur la question des normes (et en particulier des lois constitutionnelles) fut très vite mise au coeur du débat, notamment aux États Unis, et ce, dès l’érection, la création institutionnelle du pays. En effet, dans un contexte de plein éveil culturel, scientifique et dans une certaine mesure moral, les États Unis s’érigent en défenseurs de leur propre indépendance: la guerre d’indépendance est déclarée à l’Angleterre dès le 15 avril 1775. Si cette dernière ne s’achève qu’en 1783, l’assemblée de Philadelphie, le 11 juin 1776, entreprend la rédaction de la célèbre Déclaration d’indépendance des États Unis, avec un comité de rédaction de 5 hommes, dont Thomas Jefferson, futur troisième Président des États Unis, de 1801 à 1809. Ce dernier, en étant chargé d’en rédiger l’ébauche, devient de facto le principal auteur de la déclaration, mais son travail écrit ne se limite pas à ce texte. En effet, la même année, il prend part à la réaction de la Constitution de Virginie (dont il occupera le poste de gouverneur de la région de 1779 à 1785) la même année ; deux ans plus tôt, son pamphlet célèbre qu’est l’ Aperçu sommaire des droits de l'Amérique britannique est publié. Malgré une controverse pour sa position sur l’esclavagisme (le présentant comme un défenseur des droits et des minorités, tout en le critiquant pour la possession de 700 esclaves sur ses propriétés), il est retenu pour être l’un des plus grands présidents des États Unis. Il est considéré notamment comme fervent opposant aux fédéralisme, « schisme » fondateur du two party system, étant ainsi à la tête des républicains-démocrates (voulant donner un pouvoir important aux États fédérés) contre les fédéralistes d’Hamilton. C’est donc dans l’optique d’une articulation de valeurs confortant la défense des droits individuels, de la démocratie et de la République que T. Jefferson s’érige: c’est en ce sens qu’il critique, notamment, tout faste cérémonial à l’image du discours annuel du Président des États Unis (qu’il ne fera donc pas durant toute sa présidence), ou encore le cas de la monarchie de Louis XVI lorsqu’il est ambassadeur en France de 1785 à 1789. N’ayant pas pu participer aux débats concernant la Constitution des États Unis de 1787, il arrive tout de même à les suivre grâce à sa correspondance. Son oeuvre épistolaire ne se limite cependant pas à la période d’élaboration institutionnelle américaine: ses correspondances comportent des destinataires nombreux et aux sujets variés. Certaines sont célèbres, notamment celle datant du 28 septembre 1820, lorsque Jefferson, après son second mandat présidentiel, décide de se fixer dans sa résidence du Monticello. Cette lettre s’adresse à Mr William  Charles Jarvis, un financier, marchand et diplomate américain (notamment connu pour l’introduction de la race ovine mérinos d’Espagne), et est révélatrice de toute l’articulation des idées  cités que Thomas Jefferson défend, particulièrement son attachement à la défense des droits des citoyens, de la liberté et de la démocratie républicaine. C’est en ce sens que cette correspondance fait écho à une décision célèbre de la Cour Suprême pendant son premier mandat présidentiel: l’arrêt Madison contre Marbury de 1803. En effet, cet arrêt, octroyant un réel pouvoir de contrôle et de vérification de la constitutionnalité des lois fut vivement critiqué par T. Jefferson. Cette critique est ainsi établie dans la lettre s’adressant à Mr. Jarvis, expliquant en quoi une telle décision place le pays, selon lui, sous « le despotisme d’une oligarchie ». Les tensions sont ainsi vives entre toutes les parties contribuant à la création et à la stabilisation de l’État: au moment de la rédaction de cette lettre (qui fut publiée plus tard dans un recueil publié par ordre de la commission mixte du Congrès sur la bibliothèque, à partir des manuscrits originaux, déposés au département d’État dès 1853 à New York dans un recueil en 9 volumes et dont cette lettre fait partie du 7ème volume publié par la Derby and Jacskon en 1859), le payses encore en pleine formation ; les deux partis principaux n’ont qu’une vingtaine d’années, et la présidence de Jefferson représente par exemple la première alternance entre les deux forces politiques en place. Ainsi, cette correspondance peut représenter un jeu crucial aussi bien par la portée que l’auteur y insuffle, tout comme le sujet qui est en jeu à l’intérieur: la séparation des pouvoirs, le fonctionnement institutionnel des États Unis, plus généralement la peur d’un « gouvernement des juges » (expression qui n’existe pas encore), voir le maintien d’un État de droit et de la démocratie. Ainsi, c’est une période où la démocratie, même si elle s’est installée, n’a pas encore dévoilée sa pérennité sur le temps long ; le travail d’une instauration durable des valeurs défenderesses de la liberté des individus par la démocratie et la république reste encore, dans une certaine mesure, incertaine. De plus, le climat de tensions est exacerbé en 1820 avec la crise dans l’État fédéral provoquée par l’entrée la même année de l’État du Missouri, avec la crainte d’une mise en majorité des États esclavagistes, la Floride est codée un an plus tot par l’Espagne ;  pour remonter encore, pendant la présidence même de Jefferson, la ratification de l’achat de la Louisiane au Français le 30 avril 1803 double la superficie du territoire américain. Tout reste donc à encore établir durablement en vue de maintenir les valeurs que Jefferson prone, valeurs qui sont selon sa conviction l’antithèse du despotisme, de la monarchie. C’est en ce sens que cette correspondance, traitant d’un sujet aussi important qu’est le pouvoir judiciaire et ses limites ( Franklin D. Roosevelt affirmait d’ailleurs que « Les institutions américaines sont un attelage à trois chevaux: le Président, le Congrès, et la Cour Suprême; mais le cochet c’est le peuple ») en un climat et contexte aussi fulgurant est réellement fondamentale au regard du droit, particulièrement du droit constitutionnel. Dès lors, par cette citation, Thomas Jefferson dévoile sa peur d’un contrôle de constitutionnalité des normes comme instigateur d’un gouvernement des juges. Dans cette mesure, il est possible de se demander:

        Dans quelle mesure cet extrait de la lettre à Mr. Jarvis par Thomas Jefferson essaie de dévoiler la contradiction entre la promotion d’un État de droit et la réelle menace  pour la démocratie que constituerait un « gouvernement des juges »?

        Si l’extrait s’efforce de montrer que l’accord d’une faculté de trancher en dernier ressort aux juges sur les normes peut faire éclore le danger de l’oligarchie judiciaire (I), sa position marquée dévoile plus une peur qu’une affirmation pratique, contredisant la réalité d’une justice constitutionnelle comme protectrice des droits des citoyens dans le cadre de la résolution du paradoxe entre État de droit et démocratie (II).

  1. Le contrôle de constitutionnalité, ou l’avancement de l’oligarchie judiciaire.

        Dans cet échange aux allures de plaidoyer dénonciateur de la décision de la Cour Suprême, Thomas Jefferson affiche en effet sa peur de l’établissement d’une oligarchie, car selon lui le contrôle de constitutionnalité accordé aux juge permet d’accroitre leur pouvoir au regard de la justice constitutionnelle (A), ce qui n’est toutefois en réalité pas partagé par tout le monde concernant le degré d’immixtion des juges, créant un véritable débat de fond que la correspondance révèle (B).

  1. Un accroissement du pouvoir de la justice constitutionnelle par le contrôle de constitutionnalité.

        Il est vrai que la critique concernant le pouvoir, selon T. Jefferson, déséquilibré des juges s’observe dès la première phrase: « Vous semblez [...] considérer les juges comme les arbitres ultimes de toutes les questions constitutionnelles ». En effet, par cet extrait crucial, l’auteur énonce en fait que dans les tribunaux des États Unis, et même dans des tribunaux ordinaires, de remettre en question la conformité, la validité constitutionnelle d’une loi. Si en France cela se fait plutôt par voie d’action (même si l’instauration de la Question prioritaire de constitutionnalité en 2008 élargit le champ de compétence, mais ce n’est pas le sujet), ici T. Jefferson énonce plutôt le contrôle au cas par cas, dans un cadre précis où l’application d’une loi particulière peut poser problème: c’est le contrôle par voie d’exception. Il convient dès lors, pour comprendre pleinement ce dont il est question, de revenir sur l’origine même de la promotion du pouvoir des juges. Cela peut être mis en cause notamment par le rôle crucial et décisif de l’adoption de la Déclaration des droits par les treize États indépendants, limitant dès lors le pouvoir législatif de la Constitution et permettant, par l’arrêt Madison contre Marbury de 1803, le contrôle de la constitutionnalité des lois fédérales par la Cour Suprême. Ainsi, pour décider de la conformité d’une loi à la Constitution, il faut lui donner voix, l’interpréter. C’est en ce sens que la peur de T. Jefferson se comprend: la dangerosité du pouvoir remis aux juges constitutionnels afin d’effectuer cette tache complexe mais vitale. Ainsi, pour les américains dits conservateurs, il est nécessaire de rester fidèle à l’intention originale des Pères fondateurs (dont T. Jefferson fait partie), tandis que les plus progressistes insistent sur le besoin d’adapter le droit aux exigences nouvelles qui apparaissent sous la lecture d’une lumière elle aussi nouvelle. Alors, le juge se retrouve d’une certaine manière « créateur », peut « créer » le droit ce que critique T. Jefferson, rôle auparavant réservé au souverain (et que T. Jefferson n’approuve pas non plus.). La question de réel pouvoir des juges émerge alors lorsque ces derniers, autonomes, disposent d’un pouvoir d’interprétation menant à des choix discrétionnaires. C’est ainsi que le juge se voit obliger de trancher, face à des lectures et interprétation de la constitution et de la loi différentes. C’est donc une partie que T. Jefferson omet d’admettre: plus que voulant uniquement être des arbitres de dernier ressort, ces derniers le sont pour le bon fonctionnement du système institutionnel. De plus, le pouvoir judiciaire ne s’appuie pas uniquement sur les dites lois, les « questions constitutionnelles », mais également sur ce qui existe à leur principe, pour ainsi dire des idées supérieures: les « droit d’humanités », ou « droits de l’homme ». Ici, T. Jefferson questionne ainsi la légitimité constitutionnelle à établir une justice constitutionnelle : en effet, le caractère plutôt flou des textes constitutionnels pose le problème du pouvoir d’interprétation octroyé au juge. Les juges sont « non responsables devant les électeurs », c’est à dire qu’il sont nommés tout en étant en mesure de contrôler l’expression de la volonté générale, c’est à dire la loi. Ainsi, le juge s’est vu attribuer les reproches de l’émergence de principes considérés comme indéterminés, comme les principes fondamentaux reconnus par les Lois de la République, tout en essayant d’y identifier des critères clairs et stricts d’identification (par exemple le Conseil constitutionnel en France qui lui ne se considère pas comme « maitre des sources du droit constitutionnel »). En fait, la position adoptée de T. Jefferson témoigne du fait que la position même des juges reste énormément controversée, car la notion même de « droits de l’homme » est très étendue et vague, alors même que la manière de juger se borne à « appliquer la loi », donc ne peut être « fixe ». T. Jefferson signe ainsi les prémices d’une peur de l’arbitraire, ou l’instauration d’un contrôle de constitutionnalité pour y faire face serait lui même erroné, s’il est entre les mains des juges. Cette optique de début se poursuit d’ailleurs dans le temps, car la loi, outre le fait d’être soumise à la constitution, appartient au peuple (et presque 200 ans plus tard, une campagne des Républicains qui a suivi l’arrêt Texas contre Johnson en 1989 l’indique). Dès lors, la question de l’exclusivité du contrôle par le juge constitutionnel soulevée par T. Jefferson apparait totalement légitime, d’autant plus que les juges ne possèdent pas l’approbation du peuple. En effet, l’interprétation des juges reste l’un des problèmes principaux face auxquels le contrôle de constitutionnalité doit s’élever. 169 ans après la rédaction de la lettre, elle reste encore d’actualité, comme en témoigne la décision Stanford contre Kentucky, où l’opinion de la Cour Suprême énonce que si l’on cherche « à dépasser le texte constitutionnel en cherchant à introduire de la sagesse dans les dispositions pénales (cela) reviendrait à remplacer les juges qui disent le droit par un comité de philosophes-rois » ; l’idée d’une oligarchie est toujours présente. Si le contrôle de constitutionnalité est critiqué et dénoncé par T. Jefferson, il reste contraint de l’accepter ; en réalité, le débat se donne réellement pour cible le degré dit d’interventionnisme des juges constitutionnels.

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