Itard Victor De l'Aveyron

uelle l’Homme ne serait rien sans la civilisation, il n’est pas d’accord avec la démonstration qu’en ont faite les philosophes des lumières : « vérité, sans doute, bien rebattue, mais qu’on n’a point encore rigoureusement démontrée ».

En effet, au XVIIIème siècle, la civilisation européenne, en pleine philosophie optimiste, était dans une période d’apologie du progrès, progrès scientifique et technique, moral. A l’époque, on pensait que le progrès représentait toujours une évolution vers le mieux, le meilleur, et qu’il était synonyme de raison. Mais d’autres civilisations, telles que les civilisations nomades d’Amérique, découvertes par les Européens à la fin du XVème siècle, n’ont pas du tout la même conception du monde. Elles ne sont pas du tout orientées vers l’innovation scientifique et technique, mais plutôt vers le lien avec la nature… Les philosophes européens ont alors qualifié ces civilisations de « sauvages », à l’opposé de l’Homme civilisé : la civilisation européenne est devenue un critère de jugement comparatif : « quelques peuplades errantes qu’ils ont regardées comme non civilisées parce qu’elles ne l’étaient point à notre manière ». Deux courants se sont alors développés : le mythe du « bon sauvage » de Rousseau et Diderot qui considèrent que la civilisation européenne devrait imiter ces populations considérées comme « non civilisées, simples, innocentes… ». C’est ainsi que Diderot décrit les Tahitiens dans son œuvre Supplément au voyage de Bougainville. Le courant opposé est celui de Voltaire, qui considère, lui, que justement le « sauvage » est intéressant, car perfectible grâce aux apports de la civilisation, sans les préjugés et défauts qui l’accompagnent, tels que les préjugés religieux et qui expose son point de vue notamment dans L’Ingénu. Mais ces deux courants justifiant que l’Homme a besoin de la civilisation pour accéder à son état d’humanité reposent sur une défaillance dès le départ : le préjugé selon lequel l’Homme peut ne pas être civilisé, et le refus de reconnaître la culture propre de ces peuplades. Jean Itard décrète que c’est impossible. Ils ont juste une culture différente de la civilisation européenne, que les Européens ne reconnaissent pas. Pour lui, toute idée de sauvagerie est une conception structurelle dépréciative, une inégalité sociale et culturelle créée par l’Homme. Ainsi, Jean Itard ne considère-t-il pas son protégé, Victor de L’Aveyron comme un sauvage, mais seulement comme un enfant n’ayant pas encore eu d’éducation ; il va donc tenter de la lui donner. Jean Itard pense donc que l’état de nature, pour l’Homme n’existe pas.

Par conséquent, il soutient que l’humanité et la civilisation sont indissociables, car l’Homme ne développe ses facultés que par le processus de civilisation, et, car on ne peut parler d’Homme sans civilisation : tout Homme est, par définition, civilisé. C’est une conception innovante et révolutionnaire par rapport aux idées de ses contemporains.

Jean Itard s’interroge ensuite sur les capacités sociales de l’Homme, et l’acquisition de sa culture.

D’autre part, il pense que l’Homme acquiert son statut d’être de culture grâce à tout un héritage social qu’il reçoit.

D’abord, la socialisation est l’apprentissage par l’individu de toutes les normes et valeurs qui régissent la société. Une société est un ensemble d’individus entre lesquels il existe des rapports organisés définis. Ainsi, dès la naissance, l’Homme se voit inculquer les normes sociales de la société dans laquelle il se trouve. On lui transmet également toutes les valeurs culturelles de cette civilisation, ce qui lui permet de s’intégrer, et ainsi de s’humaniser, s’éloignant inexorablement de l’état de nature par la culture et l’héritage social. Cette transmission se fait essentiellement par le langage. Ainsi, elle permet également à l’individu de développer sa capacité de réflexion, et de se construire. Elle développe sa conscience et son individualité, tout en l’intégrant au sein de la société. En effet, elle donne un rôle et une place définis à l’individu. Ainsi, par exemple, la place des parents, maris et femmes est clairement définie dès l’enfance, car généralement, ce sont les parents qui inculquent ces valeurs à l’enfant, en premier lieu. Elle donne également à tout individu des objectifs, tout d’abord prosaïques, tels que la conservation, la reproduction, puis des objectifs typiquement humains comme le bonheur, la justice, l’enrichissement personnel…

C’est donc de cette socialisation que dépend l’intégration au sein d’une société, et par là-même donc, de l’accès à l’humanité.

De plus, l’Homme naît perfectible comme on l’a dit précédemment, car contrairement aux animaux, il ne possède pas de déterminisme génétique. Il doit donc tout apprendre. Ainsi, au contact de la société, l’Homme devient « ce qu’on le fait être ; nécessairement élevé par ses semblables » comme le dit Jean Itard. L’Homme doit impérativement être éduqué, et ne peut le faire seul. Selon l’auteur, la plus grande force de l’Homme est sa capacité d’apprentissage par mimétisme. L’individu est influencé tout au long de sa vie par son environnement, son entourage, et il se construit ainsi. L’exemple de l’apprentissage du langage par imitation des proches, est un bon exemple. Ainsi, cette reproduction sociale favorise également la présence de classes sociales différentes. Par exemple, un enfant de milieu populaire, plutôt difficile, aura tendance à suivre l’exemple de ses parents, camarades, et à ne pas poursuivre d’études longues.

Cette thèse selon laquelle les facultés humaines ne peuvent se développer que dans les acquisitions sociales, est confirmée par l’exemple de Victor de l’Aveyron, ou l’enfant sauvage. En effet, ayant toujours vécu seul, ou presque, sans vraiment d’interactions sociales, l’enfant n’est pas apte à vivre