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ndre le mot à la note, voilà le nouage essentiel et vertueux qui s’est dessiné alors 1. Notons que ce geste s’adresse autant à soi-même, pour évaluer et prendre la mesure de son écriture musicale en train de se faire, qu’aux autres, pour poser et affirmer collectivement, au sein d’une pensée contemporaine singulière, son individualité, par la diction assumée de son faire. Parce qu’il s’inscrit dans une généalogie de compositeurs qui en ont laissé l’emprunte, ce nouage s’imposa avec d’autant plus d’évidence : Rameau, Wagner, Schoenberg, Boulez, autant de compositeurs qui témoignent d’une œuvre faite sous le compagnonnage vertueux du mot et de la note. Mon entrée en Master puis Doctorat me fournit cette opportunité de poser par écrit, avec la rigueur du contexte universitaire qu’elle appelle, les enjeux et réflexions qui accompagnent cette nécessité d’écrire de la musique, en les faisant traverser par un contexte intellectuel qui m’apparut comme le plus pertinent et productif. La motivation initiale de ce projet s’est alors rapidement dévoilée : interroger la logique de l’écriture musicale, sous la condition d’une pensée contemporaine singulière et productive à mes yeux, et que d’aucuns ont qualifié sous le paradigme de complexité. J’en appelai ainsi à une vaste introspection de l’écriture, sous l’évaluation des différents concepts issus de ce paradigme : comment les différentes catégories musicales émergent-elles, quelle est leur logique d’articulation, comment appréhender et nouer conjointement parties et tout d’une œuvre, comment articuler ensemble les différents niveaux et dimensions constitutifs de l’œuvre, quid de la relation entre ordre perceptif et ordre musical ? Somme toute, la question générale portée à l’écriture pouvait s’énoncer de la manière suivante : comment viser l’unité d’un projet musical, sans

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Le mot dont il est fait ici référence est celui de la réflexion et de la pensée, à distinguer de celui de la vocalité qui est tout autre.

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escamoter les singularités et contradictions qui l’animent et qui, in fine, affirment l’œuvre dans sa consistance et son histoire. Dans le foisonnement des concepts que la culture de la complexité entraîne dans son sillage, celui d’émergence retint particulièrement mon intérêt. Synonyme de créativité spontanée et remarquable, l’émergence se caractérise par un saut qualitatif surprenant et inattendu, résistant à toute explication causale par décomposition analytique de sa réalisation ; ce qu’une formule quelque peu galvaudée vient illustrer : « le tout est plus que la somme de ses parties ». C’est donc spontanément lui qui fut mobilisé, pour rendre compte du processus de créativité dans l’écriture, comme la constitution des différentes catégories du musical peut en témoigner. Dans le prolongement de cette première saisie, la notion d’émergence me conduit également à la réévaluation de l’incontournable rapport perception/écriture. Sa réalisation musicale s’affirme en effet au travers de ces deux ordres : celui de la perception d’un côté, comme « émergence perceptive », et celui de l’écriture et de sa formalisation de l’autre, comme « émergence algorithmique ». Dans le premier cas, c’est l’auditeur qui, au travers des opérations de sa perception, actualise et réalise le phénomène. Le principe de synthèse instrumentale en fournit un exemple probant, dans ce moment singulier où la superposition de deux timbres peut conduire la perception à fusionner une addition initiale en un timbre nouveau et virtuel, quoique bien réel pour la perception qui l’a fait venir au jour. L’émergence algorithmique dans l’écriture trouve quant à elle une de ses réalisations dans le modèle de « complexité par le bruit » emprunté à Henry Atlan [Atlan, 1983]. Dans ce dernier, au terme d’une suraccumulation des opérations de l’écriture, l’organisation structurelle bascule dans un niveau supérieur d’organisation, dont témoigne la surface musicale de l’écriture, par exemple dans sa constitution figurale. L’œuvre du compositeur Brian Ferneyhough nous en a offert un témoignage singulier, son processus d’écriture s’y accordant bien volontiers. Si au terme d’un premier temps de notre travail, l’émergence s’est avérée apte à rendre compte de ce moment névralgique de créativité dans l’écriture, par la constitution des différentes catégories du musical, sa réalisation conceptuelle nous a rapidement conduit à d’insolubles contradictions. Présence conjointe d’une rupture et d’un lien causal entre les deux niveaux d’engendrement du phénomène, ce que nous avons pu inscrire dans le couple continuité/discontinuité, effets non proportionnels à leurs causes, déterminisme des règles d’engendrement contre imprédictibilité du résultat, irréductibilité du tout par rapport aux parties qui le constituent néanmoins, les différents paradoxes constitutifs de l’émergence semblent ainsi résister à la logique traditionnelle. Sous l’impulsion d’auteurs comme le philosophe Lucien Sève, c’est vers une autre modalité de pensée que nous nous sommes alors orientés. Logique de référence de la contradiction, la dialectique s’est ainsi invitée pour apporter les outils conceptuels à même d’aborder et de faire travailler vertueusement ces couples contradictoires dans leur relation. C’est ainsi qu’un parcours initié depuis Hegel jusqu’à principalement Marx et Engels nous incita à accueillir la vertu incontournable, essentielle, inhérente à tout procès : la contradiction, comme mouvement qui voit s’affirmer l’unité dans la différence. C’est initialement la figure de la sursomption hégélienne qui nous y a introduit, terme qui, dans sa version allemande d’Aufhebung, en 3

traduit bien le mouvement interne subtile et multiple qui traverse une opposition et la différence qui la détermine : celle-ci se trouvent, je cite Hegel « à la fois nié, conservé et élevé à un plus haut degré de signification ». Très loin de la platitude du parcours thèse/antithèse/synthèse qu’on lui associe parfois à tort, la dialectique et sa figure d’Aufhebung rend compte de l’unité contradictoire d’une opposition, par la médiation de leur différence réalisée dans un troisième terme. C’est ainsi le néant passant dans l’être, opposition première de toutes les catégories essentielles et qui, trouvant sa médiation dans la figure du devenir, inaugure là tout le parcours des essentialités à venir. La transposition par Marx et Engels de ce mouvement dans le concret de la réalité sociale viendra ajouter à cette histoire sa dimension réelle et contemporaine, en dévoilant les multiples rapports et antagonismes que la société civile fait dynamiquement jouer dans sa totalité. La dialectique dans sa version matérialiste amorce alors un changement de perspective radicale et inédit : tout objet de la réalité devient ainsi rapport concret en mouvement, dont il convient de prendre la mesure et l’évaluation par la révélation de ses différentes déterminations. Et c’est l’histoire comme science objective nouvellement constituée qui trouve ici son véritable fondement. Comme un écho familier et porteur d’une promesse enfin saisie, cette immersion profonde et nécessaire dans la dialectique résonna alors comme le geste moteur de l’écriture musicale : accueillir et faire travailler les différences et oppositions pour fonder l’unité d’un projet musical, en assumant logiquement la contradiction productive qui les porte et les anime. C‘est bien le mouvement interne de l’écriture qui se dévoilait ici, dans la profondeur de son intimité. Dans un même élan, la complexité trouvait ici une réévaluation de ce qu’elle soutient avec parfois plus ou moins de rigueur conceptuel. Derrière les difficultés à cerner le concept de complexité, tant dans une démarche quantitative que qualitative, c’est bien la dialectique qui s’est avérée la plus à même de rendre compte de la logique impliquée dans ce paradigme. Parce qu’il vise à l’intégration plus qu’à l’exclusion, parce qu’il refuse la réduction et la décomposition analytiques au profit d’une démarche holistique qui admet le niveau du tout comme celui des parties, parce qu’il privilégie la connexion et l’interaction à l’opposé de l’isolement, le paradigme de complexité semble rencontrer dans la logique dialectique et son histoire les outils conceptuels à la hauteur des enjeux qu’il soulève. Mieux encore : c’est elle qui s’avère être la véritable pierre de touche de notre cible initiale. Cette percée introspective qui nous a conduit au cœur de l’écriture musicale nous a ainsi révélé sa véritable intimité : progresser par ce mouvement de sursomption, où la différence rencontre son opposé par un médiatisé qui en constitue alors sa nouvelle

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