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L'Homme Pluriel-Lahire

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bitus de Bourdieu par exemple). Les expériences sociales sont hétérogènes et l'unicité de l'individu une illusion. Après avoir convoqué le Proust du Contre Sainte-Beuve, Lahire affirme que " nous sommes pluriels, différents dans des situations de la vie ordinaire différentes, étrangers à d'autres parties de nous-mêmes lorsque nous sommes investis dans tel ou tel domaine de l'existence sociale ". Il convient de se méfier de ces tentatives de reconstitution d'une unité à partir par exemple d'entretiens (B. Lahire montre combien ceux-ci dépendent du contexte dans lequel ils se déroulent ; des enseignantes ne répondront sans doute pas de la même façon aux questions de l'enquêteur dans une salle de classe ou dans un café).

Ce qui nous séduit particulièrement dans ce livre, c'est l'appel constant à la trivialité, à l'analyse empirique au plus près du terrain. Il y a souvent abus lorsqu'on érige en modèle explicatif une circonstance particulière. À partir de la métaphore du sportif " en direct ", on bâtit par exemple une image de l'individu devant constamment improviser, pris dans l'urgence de l'action et obéissant à des schèmes d'action dont il n'est guère le maître. Or, le même sportif à l'entraînement n'agit pas du tout de la même façon De même doit-on garder beaucoup de réserves sur les possibilités de transfert d'une situation à une autre et B. Lahire plaide là encore pour une prise en compte du contexte, de la spécificité des situations.

Trois chapitres nous concernent plus particulièrement, nous, enseignants.

Dans "de l'expérience littéraire : lecture, rêverie et actes manqués", B. Lahire remet en cause notamment une opposition trop hâtive entre des pratiques ordinaires de la lecture de romans et des pratiques réflexives littéraires. Il montre combien la lecture romanesque des " lettrés " n'est sur le fond pas différente de celle des autres lecteurs, les textes littéraires étant avant tout des "déclencheurs de rêves éveillés qui permettent de faire un retour sur, de prolonger, d'accompagner ou de préparer l'action". L'auteur reproche à une certaine sociologie d'en rester à une conception superficielle, fondée sur la consommation culturelle ou sur les seuls avis des professionnels de la lecture centrés sur le style. En remettant au premier plan l'aspect expérientiel de la lecture, B. Lahire nous ouvre peut-être des perspectives pour rompre avec une vision trop formaliste de la littérature qui a eu tendance à envahir le secondaire.

Dans "École, action et langage", l'auteur insiste, comme il l'avait fait dans d'autres ouvrages, sur l'importance de la construction, dans l'école, d'un rapport distancié à la langue (qui n'est pas le "langage"). En opposition à la sociologie de Bourdieu qui dénonce la reproduction des inégalités, voire la création de ces inégalités à travers des exercices scolaires "détachés du réel", produits surtout pour sélectionner et exclure, Lahire montre que l'école a d'abord cette fonction nécessaire, dans nos sociétés, de " mise à distance " réflexive, de détachement par rapport à l'action immédiate, d'"intransitivité". Resterait à discuter sans doute les manières de mettre en uvre cette réflexivité ; l'exposé de B. Lahire pourrait conforter les tenants d'une certaine tradition d'enseignement de la langue très abstraite, alors que cette dernière est en crise et échoue à former de manière authentique les enfants des classes populaires. Mais sans doute est-ce là l'affaire des pédagogues et des didacticiens, stimulés cependant par l'analyse du sociologue.

Si un enseignant n'avait qu'un chapitre à lire, il devrait se plonger dans "les pratiques ordinaires d'écriture en action". Nous déplorons si souvent les grandes difficultés de nos élèves face à la page blanche ou la copie, mais que connaissons-nous en profondeur du rapport à l'écrit qui se construit dans les familles ? Que savons-nous des pratiques effectives de l'écrit, fussent-elles modestes : listes de commissions, agendas, pense-bêtes, etc. ? B. Lahire montre notamment combien l'écrit est peu valorisé dans certains milieux, surtout chez les hommes, puisqu'il est signe de faiblesse (de la capacité à se souvenir, de savoir se débrouiller sans avoir besoin d'un papier) En même temps, l'écriture, même limitée, permet la construction d'un autre rapport au temps et à l'action (début de planification, anticipation). On peut se demander si l'école sait bien utiliser ces pratiques ordinaires (qu'elle ignore en fait complètement). Les techniques savantes d'objectivation (les diagrammes ou schémas les plus compliqués) détruisent "le rapport pratique au monde", mais elles ne sont pas fondamentalement différentes des pratiques quotidiennes utilisées par les acteurs de la vie familiale et professionnelle ("ces techniques sont inégalement réparties socialement, mais sont présentes à un degré ou à un autre dans quasiment tous les foyers dès lors que leurs occupants ont acquis les bases du lire-écrire").

Redisons donc tout l'intérêt de lire un tel ouvrage, même si on est moins intéressé par les débats entre sociologues (on aurait cependant aimé savoir comment B. Lahire se situait par rapport au courant constitué autour de Alain Touraine et le CADIS par exemple). On ne peut que souscrire au vu de l'auteur de voir se développer des travaux approfondis qui se préoccupent moins de méthode et évitent les généralisations et soient au contraire ancrés dans un monde social complexe et pluriel. Ne revendiquons-nous pas la même chose dans le domaine de la pédagogie et de l'éducation.

Jean-Michel Zakhartchouk

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Bernard Lahire et l’enseignement des sciences sociales : une note de lecture.

Alain Beitone Avril 2002

Pour une culture commune

L’Institut de recherche de la FSU a publié il y a deux ans, sous la direction d’H. Romian, un ouvrage consacré au concept de culture commune (1). Ce livre, particulièrement riche, n’a pas eu selon moi l’écho qu’il mérite. En effet, les meilleur(e)s spécialistes du système scolaire et de la didactique ont contribué à ce volume et le concept de « culture commune » mérite un débat sérieux. Dans cette note de lecture cependant, je me limiterai à l’une des contributions, celle de B. Lahire (2), qui n’a provoqué aucune réaction, à ma connaissance, parmi les professeurs de Sciences Economiques et Sociales.

Qui est Bernard Lahire ?

Bernard Lahire est un sociologue dont les travaux ont rencontré une audience importante ces dernières années. Son enquête sur les rapports de la famille et de l’école (3), ses contributions à la réflexion sociologique sur l’illettrisme (4), sa posture à l’égard de P. Bourdieu (5), ses critiques à l’égard d’un certain irrationalisme en sociologie (6), sa volonté de sortir par le haut du débat holisme/individualisme (7), ont conduit à des publications nombreuses et remarquées. Il est actuellement professeur de sociologie à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ses prises de position méritent attention et débat.

Enseigner les sciences sociales dès l’école primaire

B. Lahire propose « l’enseignement pédagogiquement adapté des sciences sociales à l’école primaire ». Par sciences sociales, Lahire désigne ici la sociologie et l’anthropologie. Pour lui, la formation au regard sociologique est « une réponse adéquate aux exigences modernes de formation scolaire du citoyen ». Une telle formation aux sciences sociales est mieux à même de former des citoyens que des « slogans démocratiques » réduits au « simple et inutile prêchi-prêcha ». L’apport principal des sciences sociales à la formation du citoyen, c’est l’adoption du « relativisme anthropologique », c’est à dire « la prise de conscience de l’existence d’une multiplicité de « points de vue » liés aux différences sociales, culturelles, géographiques ». Pour Lahire, l’adoption par les élèves de la démarche intellectuelle propre aux sciences sociales « pourrait utilement contribuer à former des citoyens qui seraient un peu plus sujets de leurs actions dans un monde social dé-naturalisé, rendu un peu moins opaque, un peu moins étrange et un peu moins immaîtrisable ». Et il précise : « rien ne garantit aussi bien le rapport tolérant aux autres, dans leur différence (de sexe, de culture, de classe, de civilisation, etc.), que le rapport relativiste aux cultures qu’ont su historiquement conquérir les sciences du monde social ».

B. Lahire fait observer que si nous acceptons sans discussion que l’on enseigne l’histoire, la géographie ou les mathématiques à l’école primaire, on ne voit pas pourquoi il n’en irait pas de même des sciences du monde social : « La traduction « savoir savant »/« savoir scolaire » à l’école primaire ayant réussi pour des sciences de l’homme proches de l’anthropologie et de la sociologie

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